Concerts, La Scène, Musique symphonique

Herbert Blomstedt et les Berliner Philharmoniker, la musique et la vie

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Berlin. Philharmonie. 20-XII-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n° 20 KV. 466 ; Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 9. Leif Ove Andsnes, piano ; Berliner Philharmoniker, direction : Herbert Blomstedt

Blomstedt n'a de cesse de remettre Bruckner sur le métier, ici avec la Symphonie n° 9, mais le grand miracle de la soirée, grâce à , est mozartien.

Désormais, chaque concert d' est précédé par une inquiétude : viendra-t-il ? Toujours plus fragile physiquement, il a montré au cours de l'année 2024 qu'il n'a rien perdu de sa puissance d'évocation musicale, que ce soit dans une indépassable Huitième symphonie de Bruckner à Paris ou pour un formidable programme choral à Salzbourg. Ce concert berlinois, et ce n'est pas le moins impressionnant de son parcours, a lieu après une tournée en Asie, et quelques semaines avant une tournée aux États-Unis. Le programme de ce soir n'en est pas moins généreux, avec le Concerto n° 20 de Mozart avant les trois mouvements achevés de la Neuvième symphonie de Bruckner : on n'est pas surpris, dans les derniers moments du concert, de percevoir une baisse du contrôle qui se traduit notamment par des cuivres beaucoup trop présents, mais cela n'obère en rien ce qui a précédé.

Et d'abord Mozart : a consacré un projet de longue haleine à son parcours pianistique dans les années 1780, sous le titre Mozart Momentum, dirigeant les concertos depuis le piano ; cette fois, il laisse l'orchestre à un chef, mais il n'y perd rien en liberté et en spontanéité. Il y a quelque chose d'une recréation dans son interprétation : détachant les notes avec brio, semblant parfois comme hésiter comme quand on cherche la meilleure formulation de ses pensées, parfois au contraire prolixe et solaire, sans aucun maniérisme : le plus merveilleux ici est que cette densité interprétative, où l'attente de la note suivante laisse l'auditeur suspendu aux mains du pianiste, semble ouvrir des espaces infinis plutôt que de saturer le texte à force d'intentions. Le drame du premier mouvement n'y perd rien en intensité émotionnelle, grâce aussi à la relation avec l'orchestre et le chef : on entend tant de concertos où l'accompagnement se réduit à une toile de fond pour laisser briller la star du moment que l'entente de ce soir a tout d'une révélation. Blomstedt est constamment présent, avec le souci évident de ne pas voler la vedette au soliste, mais au contraire de le soutenir en véritable partenaire. La fraîcheur juvénile de la musique, sa spontanéité où les émotions affleurent sans faire perdre de vue la continuité musicale, la générosité du son mozartien donnent l'impression d'une recréation. L'orchestre, avec un premier violon invité (, de l'Orchestre de la Radio bavaroise), est visiblement aussi heureux à la fin du concerto que le public, et ce n'est pas peu dire – et le hautbois d'Albrecht Mayer, encore une fois, a fait des miracles.

Après l'entracte, retrouve une œuvre qu'il a beaucoup dirigée, la neuvième de Bruckner : il serait facile de donner une interprétation métaphysique de cette œuvre ultime, d'en faire une sorte de testament pour le chef comme pour le compositeur, mais ce n'est pas ce qu'on y entendra ce soir. Blomstedt se refuse à voir dans cette musique autre chose qu' »une musique profane, destinée au concert » qu'il entend interpréter « sans encens sonore », et il s'en tient à ce programme. Loin de lui toute tentation d'étirer cette musique à la manière de l'enregistrement testamentaire de Sergiu Celibidache : au contraire, le premier mouvement bruisse de tous les combats de la destinée humaine, jusqu'à un climax d'une puissance dramatique irrésistible. On ne perd rien, pourtant, en travail de la matière sonore, allant chercher tantôt jusqu'au plus noir des cordes graves, ravivant les blessures par l'éclat cru de la flûte solo, avec des textures en volume en perpétuel renouvellement.

Le scherzo bénéficie de cette même puissance d'évocation que Blomstedt tire de la matière orchestrale, avec un sens du mouvement : les pizzicatos du début ont à la fois une légèreté d'elfe et une forme de présence obsédante, comme une rémanence. L'atmosphère dramatique qui suit n'est jamais écrasante, on y entend une urgence sans compromission possible ; le contraste avec le trio, bondissant et malicieux, est particulièrement frappant. Le finale, on l'a dit, ne nous convainc pas jusqu'au bout ; mais son entrée en matière parsifalienne, non sans ambiguïté expressive, les appels des cuivres qui suivent, tout ceci exprime ici bien l' »aspiration à l'éternité » qui caractérise pour Blomstedt la musique de Bruckner. L'intranquillité de l'esprit en quête de sens s'y fait entendre, avec les seuls moyens de la musique, avec un orchestre et un chef unis dans une même direction. Avec un chef indifférent, l'orchestre berlinois peut parfois sonner bien peu subtil ; quand un chef sait comme ici susciter son enthousiasme, on ne voit pas quelle concurrence peut lui résister.

Crédits photographiques : © Monika Rittershaus

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