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Sarah Bernhardt, la Divine. Un film de Guillaume Nicloux. Musique : Claude Debussy, César Franck, Franz Schubert, Charles Gounod, Maurice Ravel, Reynaldo Hahn… Avec : Sandrine Kiberalin, Laurent Lafitte, Grégoire Leprince-Ringuet, Sébastien Pouzeroux, Laurent Stocker, Amira Casar, Pauline Etienne, Mathilde Ollivier, Clément Hervieu-Léger, Sylvain Creuzevault, Agnès Varda, Catherine Michel, Stéphane Lerouge, Jean-Luc Godard, Jean-Paul Rappeneau, Sting, Arthur Mazet, Arthur Igual,… Distribution : Memento Distribution. Sortie le 18 décembre 2024. Format: 2,35. Durée : 98:00
Sarah Bernhardt, la Divine est le premier film français consacré à la mythique comédienne. Mais la réalisation de Guillaume Nicloux, étrangement scénarisée, sans fulgurance cinématographique, ne rend guère service à la légende qu'elle était censée honorer.
Cela fait quelques années que l'on connaît Guillaume Nicloux en réalisateur de films aussi estimables (Cette femme-là, Valley of Love, Les Confins du monde…) que dépourvus de style. Ce n'est pas Sarah Bernhardt, la Divine qui va infirmer ce constat tant le geste du réalisateur français se révèle bien timoré (comme le fut récemment celui d'Anne Fontaine sur Ravel) en regard d'une légende de théâtre qui après avoir traversé les continents aussi bien que les siècles, est inscrite aujourd'hui au fronton d'un grand théâtre parisien : l'ex-Théâtre de la Ville re-baptisé depuis 2023 (comme il le fut de 1899 à 1940 sous la direction de la grande artiste) le Théâtre Sarah Bernhardt. Une légende surnommée « La Voix d'or », ou « L'Impératrice du théâtre », immortalisée en littérature par Proust (La Berma, c'est elle) tout au long de La Recherche du temps perdu, et pour qui Jean Cocteau inventa le terme de « monstre sacré ».
L'énorme travail de reconstitution de Sarah Bernhardt, La Divine, tant sur le plan des costumes que des intérieurs, est à saluer mais c'est une maigre consolation en regard d'un scénario qui réduit les grands rôles de la tragédienne au pire rôle qui soit : celui de l'amoureuse délaissée. Le fil rouge du film tisse une passion d'une vie entre Sarah et celui qui fut son pendant masculin en terme de talent : Lucien Guitry. Cette passion cochant tous les clichés du genre, et dont rien de surcroît ne corrobore la véracité historiquement parlant, nuit singulièrement à l'aura d'un personnage et se réduit, entre deux flamboyances (son célèbre « Laissez-moi il faut que je me quitte » avant d'entrer en scène), à la plus pénible des relations, de celles qui donnent envie de fuir. En « Divan le Terrible » (tel était l'hilarant surnom de Lucien), Laurent Lafitte fait ce qu'il peut mais à l'impossible nul Sociétaire de la Comédie Française n'est tenu. Aucun personnage ne convainc d'ailleurs vraiment, et surtout pas celui de l'amante Louise Abbéma vainement défendu par Amira Casar, les scènes de sexe, aussi brèves que laborieuses, apparaissant même particulièrement incongrues dans le tableau qu'entend brosser le film à partir du fabuleux carnet d'adresses de la comédienne : Guitry père et fils, Rostand, Freud, Zola… les célébrités de l'époque sont toutes là. Une partie du temps de ce film très bref est d'ailleurs consommée en pure perte à identifier sous la barbe et le fond de teint les talentueux comédiens (Grégoire Leprince-Ringuet est quasi-méconnaissable) embarqués dans ce film dont la chronologie s'articule sur une absence de chronologie autour de deux moments-phares : l'amputation d'une jambe que les chutes de Tosca de Sardou (un des rôles mythiques de Sarah) avaient peu ménagée (ce qui lui valut le surnom de « Mère La Chaise » puisqu'elle ne voulut jamais de prothèse), et la mythique Journée Sarah Bernhardt organisée en 1896 par ses amis. Un moment-charnière si l'on accepte de suivre dans son postulat ce film peu soucieux de vérité historique, même s'il tient à rendre à Sarah ce qui fut à Sarah : l'actrice fut aussi peintre, sculptrice, directrice de théâtre, mais également la première à interpréter des rôles d'hommes, à se passer du corset, à utiliser la « réclame » pour son image…
Cent ans après sa mort, on regrette vraiment que la femme libre (dans ses amours comme dans ses opinions), non-conformiste (domestiquant lynx et boa, elle aimait à répéter ses rôles allongée dans un cercueil) et intelligemment politisée qu'elle fut (peine de mort, Affaire Dreyfus…) ne soit pas récompensée de ses engagements par un geste de cinéma autrement moins empesé que celui de Guillaume Nicloux, dont les réalisations précédentes avaient pourtant toujours fait montre d'une certaine confraternité (ses collaborations avec Michel Houellebecq) avec des personnages singuliers.
Le carnet d'adresses musicales de Sarah Bernhardt, La Divine est à l'aune du carnet mondain de l'héroïne, qui invite le piano des plus grands : Chopin et Schubert (ses fameuses pièces hongroises) ; mais aussi les compositeurs de la bande-son de son temps : Debussy (Clair de Lune), Franck (son Prélude, Fugue et Variation), Gounod (Ave Maria), Hahn (un À Chloris bien chiche). D'une appréciable omniprésence, ces pièces au charme inaltérable apportent au film la grâce qui lui fait défaut. Lorsque l'orchestre paraît enfin, c'est Ravel qui prête sa Pavane pour une infante défunte au moment d'accompagner le funèbre des derniers plans. En quittant la salle, on songe une nouvelle fois à la façon assez unique dont le Molière d'Ariane Mnouchkine avait su délaisser l'hagiographie, même en filmant son héros en scène, défi que s'interdit prudemment le film de Guillaume Nicloux, dont les seuls moments convaincants sont les images d'archives qui l'ouvrent et le closent. Un comble.
L'incarnation en roue libre de La Divine par Sandrine Kiberlain, de laquelle le film entend faire son épine dorsale, aurait davantage fait son effet dans l'écrin d'un vrai geste de cinéma, plutôt que dans les cases du roman-photo (le film pourrait s'intituler « Nous deux ») qu'elle s'épuise à animer de son invraisemblable énergie. La valse des regrets se leste pour finir du souvenir intact d'une des premières apparitions, dans les salles obscures, de l'immense comédienne qu'à l'instar de son illustre modèle, elle est aussi : Quadrille, le premier film de Valérie Lemercier. Un film de 1997 dont l'indiscutable stylisation esthétique apparaît aujourd'hui comme ce qui fait cruellement défaut à Sarah Bernhardt, la Divine. Quadrille adaptait… une pièce d'un autre Guitry, le fils de Lucien : Sacha.
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Sarah Bernhardt, la Divine. Un film de Guillaume Nicloux. Musique : Claude Debussy, César Franck, Franz Schubert, Charles Gounod, Maurice Ravel, Reynaldo Hahn… Avec : Sandrine Kiberalin, Laurent Lafitte, Grégoire Leprince-Ringuet, Sébastien Pouzeroux, Laurent Stocker, Amira Casar, Pauline Etienne, Mathilde Ollivier, Clément Hervieu-Léger, Sylvain Creuzevault, Agnès Varda, Catherine Michel, Stéphane Lerouge, Jean-Luc Godard, Jean-Paul Rappeneau, Sting, Arthur Mazet, Arthur Igual,… Distribution : Memento Distribution. Sortie le 18 décembre 2024. Format: 2,35. Durée : 98:00