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Fermer les yeux pour voir plus loin avec Richard Peduzzi 

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Richard Peduzzi, avec Arnaud Laporte. Percussion Discussion. Actes Sud. 194 p. 23€. 2024

 

Avec Percussion Discussion, Actes Sud permet au grand scénographe français de replonger pour la troisième fois dans ses souvenirs en compagnie d'Arnaud Laporte.

« Brünnhilde s'endort et se réveille dans le plus beau décor du monde », écrivait en 1977, Sylvie de Nussac de retour de Bayreuth, à l'occasion du Ring du Centenaire. A-t'on effectivement fait plus immarcescible que ce décor, certes inspiré d'un tableau d'Arnold Böcklin – auquel il a offert dans la foulée une providentielle résurrection -, mais qui, un demi-siècle plus tard, reste effectivement ce que l'amateur de choc esthétique à l'opéra a vu de plus beau dans sa vie. Celui de Lucio Silla, lui aussi tout en camaïeu de pierre grise, sculpté par l'ombre et la lumière, fit aussi son petit effet aux Amandiers, à Milan, Bruxelles. L'un et l'autre ont placé l'imaginaire hanséatique de au pinacle des scénographies d'opéra.

L'homme ténébreux (ainsi imaginait-on Peduzzi) était sorti de l'ombre pour le mirifique Histoire d'un Ring, conséquent volume à plusieurs voix édité après les cinq années historiques de Bayreuth, puis pour deux soliloques : Je l'ai déjà joué demain et Là-bas c'est dehors suivi de L'Odeur du théâtre. Le voici de retour, livrant « des parts de lui qu'il n'avait pas révélées » à Arnaud Laporte, journaliste et producteur à France Culture qui, bien qu'il doute dans l'ouvrage que l'année de Lulu fut 1979 (ce que tout lyricomane a inscrit dans la chair de sa mémoire), et bien qu'il virilise, dans Rêve d'automne, Michèle Marquais en Michel Marquais, eut l'heur d'animer en 2010 au Louvre, le seul – et passionnant – échange public (intégralement retranscrit en conclusion de l'ouvrage) que partagea avec son alter ego scénographique.

De Karma à Famille, en passant par Inspirations et Transmission, les onze sections de Percussion Discussion sont ponctués de quelques oasis tous intitulés Fermer les yeux : l'occasion, pour l'homme qui avoue préférer les perspectives (un chapitre complet est consacré à l'exposition à la Galerie des Gobelins commanditée par le Mobilier national : Perspectives) aux rétrospectives, d'élargir encore son champ de vision et par là même le nôtre. « On ne sait jamais d'où viennent les idées… » « Ce que je cherche plus que jamais c'est d'exprimer le dedans, la profondeur des choses, tout en considérant l'extérieur. » « C'est dans la cage de scène que j'ai trouvé l'endroit où peindre mes rêves. » « Le temps qui avance nous éloigne de plus en plus du monde. Il faut se battre contre ça, aller au devant des choses et des gens. » « Je suis le contraire de mondain mais j'aime le monde. » « Le présent n'existe qu'une seconde…» « Une scène de théâtre est un ciel et une terre. » Le cœur de l'ouvrage recèle seize pages d'esquisses donnant une idée de ce « peindre avec mes émotions, mes sentiments » avec lequel l'artiste préfère se définir.

Le « cancre » qu'il fut (hanté par le syndrome de « l'imposteur »), futur directeur de l'Ecole des arts décoratifs, futur pensionnaire de la Villa Médicis, futur commissaire d'expositions, rend un hommage appuyé à l'un de ses enseignants, Charles Auffret, dont, par un de ces détours dont la vie est coutumière, il deviendra plus tard plus tard le «supérieur hiérarchique ».

Se demandant régulièrement s'il est décorateur ou peintre, , qui n'eut de cesse de savourer sa chance que ni Chéreau ni Bondy ne lui imposèrent leurs idées (avouant au passage qu'avec d'autres metteurs en scène n'était pas aussi fort « ce lien entre les acteurs et le décor»), dessina aussi du mobilier (Louvre, Orsay…), architectura aussi des intérieurs, fit sien le mantra de Cézanne (« aller au paysage ») en professant : « Regarder c'est mon métier. » Il évoque aussi, à son domicile (où vécut Charles Dullin), son émotion journalière pour les photos témoins du temps qui passe, parle de ses proches, confesse sa vigilance face à l'évolution politique du monde (les lignes sur l'actuelle Italie). Il confie, de Wagner à Barbara, ses goûts musicaux (le titre de l'opuscule est d'ailleurs emprunté à une pièce de Charlie Mingus) mais aussi cinématographiques (il fut le décorateur des premiers films de Chéreau), gardant la mémoire vive des tournages de films de Fellini où il eut la chance d'assister à Cinecittà.

On sourit en cours de route d'apprendre que le « gamin des douze travaux d'Hercule à Bayreuth » qu'il fut jalousa la « grande beauté » des dessins de . Et l'on se pince enfin pour croire à ses révélations concernant l'impasse entre les deux hommes consécutive au premier Ring (1976), aux déclarations de l'un : « Je ne voulais plus travailler avec lui », comme de l'autre : « Je ne voulais plus lui parler ». A Bayreuth, les spectateurs du second Ring, celui, si magnifiquement revu et corrigé, de l'été 77, étaient loin de se douter combien ils l'avaient échappé belle !

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Richard Peduzzi, avec Arnaud Laporte. Percussion Discussion. Actes Sud. 194 p. 23€. 2024

 
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