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Nancy. Opéra national de Lorraine. 13-12-2024. Gioachino Rossini (1792-1868) : La Cenerentola, opéra bouffe en deux actes sur un livret de Jacopo Ferretti, d’après le conte Cendrillon de Charles Perrault. Mise en scène : Fabrice Murgia. Scénographie : Vincent Lemaire. Costumes : Clara Peluffo Valentini. Vidéo et lumières : Emily Brassier et Giacinto Caponio. Avec : Beth Taylor, Angelina ; Dave Monaco, Ramiro ; Guyla Nagy, Don Magnifico ; Alessio Arduini, Dandini ; Sam Carl, Alidoro ; Héloïse Poulet, Clorinda ; Alix Le Saux, Thisbe. Chœur de l’Opéra national de Lorraine (Chef de chœur : Guillaume Fauchère), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, direction : Giulio Cilona.
Une Cendrillon punkette et un Prince charmant en clone d'Edward aux mains d'argent. C'est ce que propose la mise en scène humoristique et attrayante de Fabrice Murgia. Avec les deux rôles principaux aguerris au chant rossinien et la direction experte de Giulio Cilona, le spectacle nancéien a de quoi séduire le public.
Seize ans après sa précédente représentation à Nancy, La Cenerentola de Rossini vient à nouveau égayer les fêtes de fin d'année à l'Opéra national de Lorraine. Mais cette fois, foin de l'univers traditionnel, féérique et sucré du conte de Perrault. S'inspirant notamment des films de Tim Burton et du cinéma d'horreur américain des années 30, le metteur en scène Fabrice Murgia nous entraîne dans un monde décalé, drolatique et un tantinet effrayant. Ainsi, avec son look gothique, son maquillage expressionniste et sa forte personnalité, Angelina n'est plus une douce jeune fille effacée et soumise mais une rebelle qui sait pertinemment tirer les ficelles et même convoquer les forces obscures pour prendre possession des autres, au sens vaudou du terme. Sa chambre, coincée sous l'escalier du décor soigné et fonctionnel de Vincent Lemaire, est envahie de squelettes, crânes, monstres marins, corbeaux et autres poupées aux yeux vides qu'elle dissèque à l'occasion. Elle reconnaît immédiatement en Ramiro son alter ego, qu'il arbore une crête iroquoise et un costume noir ocellé de blanc (Edward aux mains d'argent) ou un masque de Frankenstein. Et avec son look de Raspoutine, Alidoro se révèle plus inquiétant que positif de même que le chœur d'agents secrets, avec oreillettes et lunettes noires, se transformant en zombies.
Les personnages uniformément comiques en pâtissent et Fabrice Murgia peine plus à les caractériser. Passant d'un cow-boy trumpiste à un Dracula d'opérette, Don Magnifico n'est qu'un pantin qui manque de consistance. Odieuses et pépiantes, les deux sœurs Clorinda et Thisbe sont conformes à la tradition et sans surprise, tout comme Dandini en perpétuelle agitation, dont on perçoit mal les motivations. La direction d'acteurs règle soigneusement les mouvements, utilise avec efficacité l'immense escalier du décor mais se raréfie pour les airs et ensembles afin de permettre aux chanteurs de se concentrer sur le chant. On peut néanmoins le déplorer. L'usage, habituel chez Fabrice Murgia, de la vidéo en direct permet certes de révéler la vie parallèle d'Angelina mais apporte par ailleurs assez peu, voire se montre encombrant avec ses deux cameramans présents sur le plateau. Malgré ses limites et ces quelques réserves, cette mise en scène a l'immense intérêt d'offrir un regard original, renouvelle notre lecture du conte de Perrault et semble avoir conquis le public.
Après sa superbe Bradamante dans Alcina à Nancy (malheureusement interrompue dès la première par le Covid), on pouvait s'interroger sur l'adéquation des moyens de pur contralto de Beth Taylor au rôle d'Angelina. La réussite est pourtant totale. Avec sa forte personnalité scénique, elle joue à la perfection le jeu de la mise en scène. Graves plantureux, aigus solides mais toujours forte, vocalises libres et déliées, la voix suit impeccablement toutes ses intentions. En Ramiro, Dave Monaco confirme qu'il est un ténor rossinien avec lequel il faut compter. Timbre suave, riche et sans aucune nasalité, aisance du suraigu et des coloratures, précision rythmique et présence scénique, il en a tous les atouts. Héloïse Poulet et Alix Le Saux réussissent aussi avec talent leur duo des sœurs, puissantes, acidulées, pertinentes scéniquement.
Du côté des voix graves, le bilan est plus mitigé. Le Dandini d'Alessio Arduini a pour lui la séduction du timbre, la puissance de la projection, la faconde et la présence scénique. Mais cet éminent mozartien, qui a chanté les trois rôles de baryton-basse dans Don Giovanni, Guglielmo de Cosi fan Tutte ou Le Comte des Nozze di Figaro sur les plus grandes scènes, se montre ce soir moins à l'aise dans le chant syllabique et les ornementations typiquement rossiniens. En Alidoro, Sam Carl est d'un puissance vocale impressionnante mais engorgé et peu flexible. Après un fort intéressant Urok dans Manru de Paderewski, Gyula Nagy s‘avère franchement insuffisant en Don Magnifico au souffle court, aux graves absents et sans vis comica.
Premier chef invité de l'Opéra national de Lorraine, Giulio Cilona impose dès l'Ouverture la motorique et son art du crescendo rossinien. Suivi impeccablement par l'Orchestre de l'Opéra national de Lorraine, aux magnifiques interventions instrumentales, et par un Chœur masculin de l'Opéra national de Lorraine à la parfaite homogénéité, il assure sans temps mort un rythme allant et une irréprochable mise en place. Au final, un spectacle reçu avec chaleur par le public, tout particulièrement pour les deux interprètes principaux, le chef et l'orchestre.
Crédits photographiques : Alix Le Saux (Thisbe), Héloïse Poulet (Clorinda), Beth Taylor (Angelina) / Chœur de l'Opéra national de Lorraine, Alix Le Saux (Thisbe), Alessio Arduini (Dandini), Beth Taylor (Angelina), Héloïse Poulet (Clorinda) / Dave Monaco (Ramiro), Beth Taylor (Angelina) © Simon Gosselin
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Nancy. Opéra national de Lorraine. 13-12-2024. Gioachino Rossini (1792-1868) : La Cenerentola, opéra bouffe en deux actes sur un livret de Jacopo Ferretti, d’après le conte Cendrillon de Charles Perrault. Mise en scène : Fabrice Murgia. Scénographie : Vincent Lemaire. Costumes : Clara Peluffo Valentini. Vidéo et lumières : Emily Brassier et Giacinto Caponio. Avec : Beth Taylor, Angelina ; Dave Monaco, Ramiro ; Guyla Nagy, Don Magnifico ; Alessio Arduini, Dandini ; Sam Carl, Alidoro ; Héloïse Poulet, Clorinda ; Alix Le Saux, Thisbe. Chœur de l’Opéra national de Lorraine (Chef de chœur : Guillaume Fauchère), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, direction : Giulio Cilona.