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Genève. Grand Théâtre. 12-XII-2024. Umberto Giordano (1867-1948) : Fedora, opéra en trois actes sur un livret d’Arturo Collautti d’après le drame éponyme de Victorien Sardou. Mise en scène : Arnaud Bernard. Décors et costumes : Johannes Leiacker. Lumières : Fabrice Kebour. Création vidéo : Paul-Henry Rouget de Conigliano. Avec Aleksandra Kurzak (Princesse Fedora Romazov) ; Yulia Zasimova (Comtesse Olga Sukarev) ; Roberto Alagna (Comte Loris Ipanov) ; Simone Del Savio (de Siriex, un diplomate) ; Mark Kurmanbayev (inspecteur Gretch) ; Sbastià Peris (Loreck) ; Vladimir Kazakov (Cirillo) ; Luois Zaïtoun (Baron Rouvel) ; Igor Gnidil (Boroff, un médecin) ; Georgi Sredkov (Sergio, un serviteur) ; Rodrigo Garcia (Nicola, un serviteur) ; Céline Mot (Dimitri, servant) : David Webb (Désiré, servant) ; Anna Manzoni (Garçon paysan) ; David Greilsammer (Lazinski, un pianiste). Choeur du Grand Théâtre de Genève (direction : Mark Biggins). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Antonino Fogliani.
Spectacle jubilatoire au Grand Théâtre de Genève avec l'opéra d'Umberto Giordano Fedora porté par un Roberto Alagna en excellente forme et la prise de rôle d'une Aleksandra Kurzak divinement inspirée.
Quelques minutes à peine après le début de l'opéra, Aleksandra Kurzak (Princesse Fedora Romazov) est confrontée à son premier aria Ed ecco il suo ritratto. Quelle belle autorité vocale, quel aplomb ! On se régale au magnifique pianissimo de la fin de son aria, qu'elle envoie étendue sur le lit, la tête renversée en arrière. Le ton est donné. Le Grand Théâtre de Genève résonne de la voix d'une artiste comme cette institution n' en avait plus montré sur sa scène depuis de nombreuses années. Sans que jamais elle ne force sa voix, sans qu'elle ne soit dans la démonstration, Aleksandra Kurzak incarne le mot à travers un chant que la musique illumine. Plus rien n'existe autre que l'esprit insufflé dans cette voix, que l'implication entière de l'artiste dans son théâtre, dans son rôle. Un théâtre lyrique où, par la magie d'une présence vocale, costumes, décors et lumières disparaissent derrière le message inspiré de l'artiste. Irrésistiblement, on sent le besoin d'applaudir la beauté de l'interprétation, la justesse du ton, la qualité du timbre, la grandeur de la musique. Mais l'instant déjà passe, l'orchestre efface l'émotion du présent pour se projeter vers d'autres horizons musicaux.
Il fallait que cette voix résonne ainsi parce que sans elle, on peine à s'intéresser à la mise en scène d'Arnaud Bernard. A transposer cette intrigue se déroulant au temps des mouvements nihilistes russes du milieu du 19e siècle dans celui de la Russie de Staline, voire contemporain à celui de Poutine, n'apporte rien au drame inspiré de la pièce de Victorien Sardou. De fait, dans un prologue à l'Ouverture de l'opéra, le metteur en scène nous fait assister dans une série de scènes grand-guignolesques au meurtre du fiancé de Fedora en faisant graviter autour de cet assassinat une série de personnages assez mal définis qui, au lieu d'éclairer le spectateur, le plonge dans une certaine confusion. Umberto Giordano et son librettiste l'avaient bien compris en faisant débuter l'opéra avec la courte agonie et la mort de Vladimir, le fiancé de Fedora. On saura plus tard que l'assassin de Vladimir est le Comte Loris Ipanov, devenu l'amant éperdu de la Princesse Fedora. Elle apprendra trop tard le crime de son amant, trop tard pour arrêter le complot de vengeance qu'elle avait ourdi.
Même la présence continuelle de personnages espionnant le comportement des deux amants et de leur compagnie selon les méthodes du KGB, dont les actualités télévisées se sont largement fait écho, n'arrive pas à effacer le climat du 19ème siècle qui règne dans la musique et les mots de Fedora. La puissance de la musique d'Umberto Giordano alliée aux très beaux décors et costumes (Johannes Leiacker) dessinent, malgré cette transposition, le climat de cette époque et l'image qu'on se fait de cette diaspora russe s'épanchant avec insouciance dans les palaces et les résidences de l'Europe d'avant la défaite de Sedan et les deux Guerres mondiales. Notons d'autre part que dans sa direction d'acteurs, Arnaud Bernard ne convainc pas totalement dans la mesure où son spectacle privilégie le jeu des deux principaux protagonistes au détriment des autres rôles. Reste alors l'impression qu'on a affaire à deux mondes : il y a Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak d'une part et… les autres. Ainsi des personnages tels que la Comtesse Olga Sukarev ou le diplomate de Siriex mériteraient une meilleure attention scénique, pour une meilleure compréhension de l'intrigue.
Reste que le plaisir le plus tangible s'illustre dans la musique d'Umberto Giordano que la baguette du chef italien Antonino Fogliani exprime avec un lyrisme animé d'un grande profondeur devant un Orchestre de la Suisse Romande magnifique et en grande forme.
Sur le plateau, si la soprano Aleksandra Kurzak (Fedora) confirme tout au long de la soirée l'admirable impression laissée aux premiers accents de l'opéra, elle incarne une Princesse Fedora d'une belle et grande dignité. Devant les références discographiques du rôle, en particulier avec les documents inoubliables laissés par la soprano Magda Olivero, l'approche vocale d'Aleksandra Kurzak donne une impression sans doute moins vériste de ce personnage mais ô combien plus touchante par sa capacité à adoucir sa voix dans les moments d'extrême douleur que Fedora traverse sans que ces sentiments soient surjoués ou chantés dans l'excès. A ses côtés, Roberto Alagna (Comte Loris Ipanov) apparait en très grande forme. Dès ses premières notes, on entend l'évidence d'une voix au-dessus des autres. Là aussi, le rôle a ses références avec les Mario del Monaco, Giuseppe di Stefano, Giacomo Giacomini ou encore Placido Domingo du disque. On pouvait se demander si, en affrontant ce rôle écrasant, le ténor pourrait tenir la distance sans être obligé de hurler son désespoir comme le faisaient ses prédécesseurs. Quand bien même sa voix n'a plus le brillant de ses jeunes années, la prestation de Roberto Alagna est empreinte d'une grande intelligence vocale. Imprimant à son personnage une virilité mesurée, sans jamais se départir de sa puissance, il donne à entendre un amoureux noble et tourmenté à la fois, en parfaite adéquation avec le Comte Loris Ipanov de l'intrigue. Certes chacun l'espérait dans la célèbre cantilène Amor ti vieta. Admirable tout au long de l'opéra, à notre goût, il ne fut cependant pas à son meilleur dans cet air qu'il chante sur un tempo très lent comme s'il devait démontrer au public que ses moyens vocaux n'avaient rien perdu de leur superbe.
Quant aux autres rôles, comme nous le soulignions plus haut, le manque de soin apporté à leur présence sur scène, les fait presque disparaître aux yeux, et surtout aux oreilles, du spectateur. C'est le cas de la soprano ukrainienne Yullia Zasimova (Comtesse Olga Sukarev), pourtant dotée d'une très belle voix : l'amie quelque peu déjantée de la Princesse Fedora méritait d'être mieux mise en avant qu'avec cette ridicule perruque blonde dont on l'a coiffée, ainsi que du costume noir qui la rend indistincte des autres personnages de moindre importance. Il en va de même pour le baryton italien Simone Del Savio (De Siriex, le diplomate) dont on aurait aimé que soit plus soignée sa «russitude», même si on l'attendait plus caricatural dans sa chanson La donna russe è femina due volte , laquelle manque sensiblement d'esprit slave ! Parmi les nombreux petits rôles se détache le baryton Vladimir Kazakov (Cirillo, cocher) dont le joli timbre ne manque pas de charme.
Lorsque le rideau tombe sur l'ultime scène de la mort de Fedora jouée dans une belle intimité par une Aleksandra Kurzak bouleversante et inspirée et un Roberto Alagna des plus sensibles, le public genevois réserve un triomphe à ces deux artistes dont la générosité vocale mérite tous les compliments. Devant un public sensiblement différent de celui qu'on a l'habitude de voir au Grand Théâtre de Genève, ils ont animé une soirée d'opéra comme on aime les vivre. Avec du chant, des beaux décors, de très beaux éclairages (Fabrice Kebour), de la belle musique et du rêve même dans le drame !
Crédit photographique : © Carole Parodi/GTG
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Genève. Grand Théâtre. 12-XII-2024. Umberto Giordano (1867-1948) : Fedora, opéra en trois actes sur un livret d’Arturo Collautti d’après le drame éponyme de Victorien Sardou. Mise en scène : Arnaud Bernard. Décors et costumes : Johannes Leiacker. Lumières : Fabrice Kebour. Création vidéo : Paul-Henry Rouget de Conigliano. Avec Aleksandra Kurzak (Princesse Fedora Romazov) ; Yulia Zasimova (Comtesse Olga Sukarev) ; Roberto Alagna (Comte Loris Ipanov) ; Simone Del Savio (de Siriex, un diplomate) ; Mark Kurmanbayev (inspecteur Gretch) ; Sbastià Peris (Loreck) ; Vladimir Kazakov (Cirillo) ; Luois Zaïtoun (Baron Rouvel) ; Igor Gnidil (Boroff, un médecin) ; Georgi Sredkov (Sergio, un serviteur) ; Rodrigo Garcia (Nicola, un serviteur) ; Céline Mot (Dimitri, servant) : David Webb (Désiré, servant) ; Anna Manzoni (Garçon paysan) ; David Greilsammer (Lazinski, un pianiste). Choeur du Grand Théâtre de Genève (direction : Mark Biggins). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Antonino Fogliani.