Jeanne d’Arc au bûcher : Marion Cotillard bouleversante dans le rôle de Jeanne
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Paris. Grande Salle Pierre Boulez. 13-XII-2024. Arthur Honegger (1892-1955) : Jeanne d’Arc au bûcher, oratorio dramatique en 11 scènes et un prologue (1938) sur un livret de Paul Claudel. Version de concert. Avec : Marion Cotillard, Jeanne ; Eric Genovèse, Frère Dominique ; Benjamin Gazzeri, narrateur ; Jean-Baptiste Le Vaillant, narrateur ; Ilse Eerens, La Vierge ; Isabelle Druet, Marguerite ; Svetlana Lifar, Catherine ; Julian Dran, ténor ; Nicolas Courjal, basse ; Wiener Singverein, Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris et Orchestre de la Radio de Francfort, direction : Alain Altinoglu
Un oratorio dramatique et haletant d'Arthur Honegger pour une interprétation qui ne l'est pas moins, dominée par l'incarnation incandescente de Marion Cotillard dans le rôle-titre.
C'est à la danseuse et chorégraphe juive Ida Rubinstein que l'on doit cette heureuse rencontre œcuménique entre la magie du mot du très catholique Paul Claudel et la théâtralité de la musique du calviniste Arthur Honegger. Une œuvre hors normes par son sujet historique sensible, sa genèse particulière (Claudel en eut une vision mystique lors d'un voyage entre Bruxelles et Paris !) et par son intense impact émotionnel, elle fut créée en 1938 par Paul Sacher à Bâle, révisée en 1944 avec l'adjonction d'un Prologue, établissant un parallèle entre les deux occupations…
Après les sonorités sombres (vents) du Prologue qui pleure (chœur) la France, occupée par l'envahisseur anglais et bourguignon, l'œuvre se décline en onze scènes qui retracent l'extraordinaire l'itinéraire de Jeanne depuis la révélation initiale jusqu'au martyr final.
En cette année 1431, l'espoir aura un nom, Jeanne, la pucelle lorraine de Domrémy, annoncée au monde par les Voix du Ciel. Entourée de l'affection compatissante de Frère Dominique (Eric Génovèse) Jeanne (émouvante Marion Cotillard, frêle, vêtue de noir) revit alors le livre de sa vie (Le Livre) en reprenant à rebours tous les éléments marquants de son étrange quête. A cet insolite appel céleste répondent bientôt les Voix de la Terre (baryton et ténor) tandis que le drame et l'urgence se font jour sous les assauts et les rythmes sauvages de l'orchestre de la Radio de Francfort et du Wiener Singverein qui affirment avec véhémence la condamnation de la Pucelle pour sorcellerie, relapse et hérésie. Elle sera livrée au Tribunal des bêtes, présidé par le Cochon (allusion à l'abbé Cauchon de Rouen à la solde des anglais) assisté d'un mouton et d'un âne. Cet épisode particulièrement savoureux, grotesque, humoristique et chargé de dérision, servi par un chœur qui bêle, un orchestre qui swingue et un Porcus (ténor aux aigus hystériques) qui s'exprime dans un latin de foire, conduit aux « aveux » extirpés de force et à la condamnation définitive de Jeanne. Très émouvant l'épisode suivant, Au Poteau, retrouve les couleurs du drame (un chien qui hurle, glissando des ondes Martenot) tout en se chargeant d'un discours subversif contre l'Eglise, suppôt du Diable, qui acte la condamnation inique au bucher et la décision de livrer Jeanne aux Anglais à l'issue d'une incompréhensible Partie de Cartes mettant en scène le Roi de France, celui d'Angleterre et le Duc De Bourgogne. Au terme de la partie, les cloches sonnent, le drame s'intensifie sur un tempo lancinant, Catherine (Svetlana Lifar) et Marguerite (Isabelle Druet) réconfortent Jeanne en évoquant sa jeunesse en Lorraine, puis vient le sacre du Roi qui va-t-a Rheims où se mêlent avec un rare bonheur l'esprit joyeux de fête populaire et le choral grégorien empreint d'une solennité (cuivres et percussions) un rien martiale. Dans la scène suivante, L'épée de Jeanne, juste avant de monter sur le bucher, Jeanne évoque avec nostalgie et ferveur, à grand renfort de comptines enfantines (Trimazô avec chœur d'enfants), les paysages pleins de fraicheur de la Normandie et de sa Lorraine natale, sorte de paradis perdu d'où lui vient son épée qui s'appelle l'Amour. Puis soudain, la Vierge apparait (Ilse Eerens) pour présenter à Jeanne cette flamme qui sera sa dernière épreuve, climax du drame qui la retrouve seule, bouleversante, affirmant encore sa foi dans un ultime sursaut avant d'être dévorée par les flammes (crescendo de l'orchestre) précédant un retour au silence, juste troublé par la poignante cantilène de la flute posant un point final à cette interprétation mémorable, magnifique alchimie entre théâtre et musique, portée par l'incarnation incandescente, véritablement habitée et captivante, de Marion Cotillard, (elle finira en larmes) exaltée par un orchestre de la Radio de Francfort irréprochable (vents, ondes Martenot) et des Chœurs superlatifs (Wiener Singverein et Chœur d'enfant de l'Orchestre de Paris) dont on admire tout à la fois la précision, la diction et la clarté de la polyphonie, l'ensemble conduit avec une maestria admirable par Alain Altinoglu. Sublime !
Crédit photographique : © Sebastian Reimold
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Paris. Grande Salle Pierre Boulez. 13-XII-2024. Arthur Honegger (1892-1955) : Jeanne d’Arc au bûcher, oratorio dramatique en 11 scènes et un prologue (1938) sur un livret de Paul Claudel. Version de concert. Avec : Marion Cotillard, Jeanne ; Eric Genovèse, Frère Dominique ; Benjamin Gazzeri, narrateur ; Jean-Baptiste Le Vaillant, narrateur ; Ilse Eerens, La Vierge ; Isabelle Druet, Marguerite ; Svetlana Lifar, Catherine ; Julian Dran, ténor ; Nicolas Courjal, basse ; Wiener Singverein, Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris et Orchestre de la Radio de Francfort, direction : Alain Altinoglu