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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 3-XII-2024. Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893) : Les Saisons op. 37a ; Tchaïkovski-Earl Wild : Danse des petits cygnes (transcription) ; Alexandre Scriabine (1872-1915) : Sonate n°4 op. 30 en fa dièse majeur ; Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Sonate n°7 op. 83 en si bémol mineur. Bruce Liu, piano.
Deux ans après avoir remplacé au pied levé Jean-Philippe Collard, le jeune pianiste 1er Prix du Concours Chopin 2021 de Varsovie est revenu au Théâtre des Champs-Élysées avec un programme cent pour cent russe.
Ce n'est cette fois pas le compositeur polonais qui lui a valu sa consécration à Varsovie que Bruce Liu, pianiste né en France de parents chinois, montréalais depuis l'âge de six ans, a choisi d'interpréter lors de ce récital parisien, mais un florilège d'œuvres du répertoire russe puisé chez Tchaïkovski, Scriabine et Prokofiev.
Bruce Liu, dont l'aisance technique confère une fluidité et une solidité sans failles aux pièces les plus redoutables du répertoire pianistique, une qualité qui ne manquera pas d'impressionner dans la Sonate n°4 opus 30 d'Alexandre Scriabine puis dans celle n°7 op. 83 de Sergueï Prokofiev, articule son récital à partir des Saisons op. 37a de Piotr Ilitch Tchaïkovski, divisées en deux « semestres » ouvrant chaque partie. Les titres évocateurs de leurs douze pièces – douze mois – miniatures vivantes et poétiques qui n'appellent aucune démonstration de virtuosité pianistique (hormis peut-être Août-la moisson), permettent au pianiste de laisser libre cours à son imagination, au déploiement d'une expression raffinée dans un souci permanent de séduction. Ce qui en soi pour ces pièces fonctionne bien, parce que tout cela reste élégant, délicat, joli, en dépit de quelques coquetteries superfétatoires parfois. Entre légèreté, tendresse, et parfois douce mélancolie (Octobre-Chant d'automne), le pianiste s'attache à la caractérisation des pièces comme s'il jouait dans l'intimité d'un salon. Les nuances et le phrasé sont subtils, mais l'intention est parfois appuyée plus que nécessaire, comme dans la valse de Décembre-Noël au rubato un peu trop complaisant. La Danse des petits cygnes extraite du Lac des cygnes de Tchaïkovski, dans la transcription d'Earl Wild, remplace le Scherzo extrait du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn (transcription de Serge Rachmaninov) initialement prévu. Sous un toucher elfique, le pianiste livre ici une délicieuse miniature, perle de virtuosité tout en délicatesse. On pénètre dans un autre monde avec la Sonate n°4 de Scriabine qui termine la première partie de récital. L'Andante de cette sonate en deux mouvements enchaînés qui ouvre la deuxième période créative du compositeur, frappe par la ténuité, l'immatérialité du son désincarné que donne Bruce Liu à son début. Jouée d'un seul tenant, dans une fluidité exemplaire, les rythmes et le mouvement dynamique bien réalisés, l'œuvre d'une écriture complexe manque cependant de clarté à l'oreille par défaut de variété de timbres, de couleurs, par trop de fondu des plans sonores peu différenciés.
La pièce en tous points convaincante de son récital est sans conteste la Sonate n°7 op. 83 de Prokofiev, célèbre deuxième de ses trois sonates de guerre. Bruce Liu adopte ici une sonorité dense et pleine, habille de sarcasme l'Allegro inquieto, noircit ses basses, leur donne du gras, du sale, ce qu'elles réclament, aiguise le tranchant du trait. À l'intérieur du mouvement l'andantino par deux fois contraste avec la violence par son expression rêveuse empreinte de désolation. L'Andante caloroso est pris à un tempo lent appuyé a des allures de marche funèbre. Le motorisme fiévreux, la brûlante netteté rythmique, l'énergie fascinante, l'exultation tragique du Precipitato servi par une main gauche particulièrement efficace, embrasent la salle toute entière.
Mais Pourquoi Bruce Liu a-t-il besoin ensuite d'en faire des tonnes dans la Valse en la mineur op. posthume de Frédéric Chopin, son premier bis ? Jouée là encore complaisamment, très lente et maniérée… Ses affinités avec Chopin nous apparaissent plus justes dans la Fantaisie-Impromptu op. 66, avant une tendre première scène des Kinderszenen op. 15 de Robert Schumann pour dire bonsoir au public qui l'a si chaleureusement accueilli.
Crédit photographique : concert © Jany Campello / ResMusica ; portrait © Christopher Koestlin
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