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Paris. Philharmonie – Grande salle Pierre Boulez. 6-XII-2024. Joseph Haydn (1732-1809) : Concerto pour piano en ré majeur Hob. XVIII. 11 ; Igor Stravinski (1882-1971) : Capriccio pour piano et orchestre ; Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Symphonie n° 2 en mi mineur op. 27. Jean-Frédéric Neuburger, piano. Orchestre Philharmonique de Radio-France, direction : Tugan Sokhiev
Après avoir dirigé tout récemment sur cette même scène le Philharmonique de Munich et l'Orchestre de l'Opéra de Paris, Tugan Sokhiev retrouvait l'Orchestre Philharmonique de Radio-France, qu'il n'avait plus dirigé depuis 2009, accompagné de Jean-Frédéric Neuburger en soliste.
Revêtu ce soir de sa « casquette » de pianiste Jean-Frédéric Neuburger se présente sur la scène de la Philharmonie de Paris pour un programme original, déjà donné la veille à la Halle aux grains de Toulouse, appariant dans un grand écart pianistique Haydn et Stravinski au travers de deux œuvres diamétralement opposées, rarement données en concert.
Le Concerto pour Piano en ré majeur Hob. XVIII 11 de Joseph Haydn, composé vers 1780, contemporain de l'avènement du piano forte, est l'occasion pour Jean-Frédéric Neuburger d'une interprétation remarquable, très classique, sans variations agogiques excessives, ni pathos outrancier. Après une entame orchestrale joliment cantabile, presque galante, le premier mouvement Vivace voit l'entrée un peu précipitée du piano. On admire d'emblée la sonorité très claire, la légèreté du toucher, la variété, l'énergie et la virtuosité du jeu, ainsi que l'équilibre et la complicité entre orchestre et soliste. Plus rêveur et méditatif, porté par de nombreuses variations rythmiques, le deuxième mouvement, Adagio, voit le soliste faire cavalier seul sur une superbe cantilène teintée d'une pointe de dramatisme, prolongée par une longue cadence haute en couleurs. Le troisième mouvement Rondo all'Ungarese renoue avec la virtuosité et la danse pour conclure cette belle interprétation dans un dialogue serré avec l'orchestre.
D'un climat tout différent, très rythmique, le Capriccio pour piano et orchestre d'Igor Stravinski, composé en 1949, assure la suite de la première partie dans un contraste saisissant. Le Presto initial annoncé par quelques violents accords orchestraux et une courte phrase du violon solo cède rapidement la parole au piano, sur des rythmes martelés et syncopés agrémentés d'accents jazzy dont on apprécie l'indiscutable virtuosité, la dynamique soutenue, l'impeccable mise en place et la complicité étroite avec la petite harmonie au sein d'un foisonnement de timbres. L'Andante rapsodico, soutenu par la pulsation rythmique des cordes graves, introduit une atmosphère plus narrative, inquiète et envoutante, avant que l'Allegro capriccioso ne retrouve les accents de la fête populaire et dansante dans un maelstrom orchestral coloré, non dépourvu d'humour, faisant intervenir le piano et tous les pupitres de la phalange parisienne.
Le Tango d'Igor Stravinski, dans sa version originale pour piano, donné en « bis » clôture la première partie.
Mais le meilleur reste assurément à venir dans la seconde partie, toute entière dévolue à la Symphonie n° 2 de Sergueï Rachmaninov. Composée en 1908, caractérisée par son ampleur narrative, par le souffle épique et le lyrisme intense qui irriguent toute la partition, cette symphonie permet une fois encore à Tugan Sokhiev de faire valoir son impressionnante maestria dans le répertoire russe.
Introduit par les cordes graves, sur un tempo très lent, le Largo-allegro initial s'ouvre sur un sentiment d'attente inquiète et lancinante avant que le phrasé ne s'anime dans une intense effusion lyrique qui fait intervenir tous les pupitres de l'orchestre (et tout particulièrement la clarinette de Nicolas Baldeyrou), juste avant un crescendo parfaitement amené (cuivres) qui constitue l'acmé de la tension et de l'urgence. L'Allegro molto fait la part belle aux cordes, au cor, aux vents et aux percussions dans un Scherzo à la vitalité robuste où l'on savoure la rigueur de la mise en place, le lyrisme contrasté du trio, ainsi que la clarté dans l'agencement des plans sonores valorisant de beaux contrechants (réminiscences du Dies Irae ébauchées par les cors). L'Adagio, typiquement rachmaninovien développe ensuite une magnifique mélodie poignante, d'un lyrisme éperdu, portée par une polyphonie riche (petite harmonie, cor, violon solo) dont Tugan Sokhiev rythme les entrées avec une rigueur et une précision quasi chirurgicales, sculptant la pâte sonore à mains nues en grandes vagues recrutant cordes et vents (clarinette). Cordes lyriques et virevoltantes, vents véhéments (flûte et hautbois), ambiance festive, dynamique infernale constituent les différents substrats de l'Allegro vivace final qui termine cette interprétation mémorable dans une énergie irrésistible et une joie rayonnante. Magnifique !
Crédit photographique : © Frédéric Charmeux
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