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Il était une fois Michel Legrand : le testament cinématographique

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Il était une fois Michel Legrand. Un film de David Herzog Dessites. Musique : Michel Legrand. Avec : Michel Legrand, Jacques Demy, Macha Méril, Nadia Boulanger, Christiane Legrand, Rosalie Varda, Catherine Deneuve, Agnès Varda, Catherine Michel, Stéphane Lerouge, Jean-Luc Godard, Jean-Paul Rappeneau, Sting, Nathalie Dessay, Marie Oppert,… Distribution : Dulac Distribution Diaphana. Sortie le 4 décembre 2024. Format: 1,85. Durée : 109:00

 

Cinq ans après la disparition du compositeur, le documentaire de David Hertzog Dessites retrace au plus près de sa personnalité la carrière d'un compositeur-arrangeur-chanteur-pianiste-chef d'orchestre qui ne fut que musique : .

Il était une fois… Le bien-nommé Il était une fois retrace le quasi-conte de fées que fut la vie de Michel Legrand. Le film, et c'est sa singularité, est une aussi belle histoire que celle qu'il raconte. On apprend d'abord, comment, en un très émouvant retour des choses, le réalisateur s'est trouvé destiné à accompagner aux frontières de la mort le compositeur qui, à son insu, avait, quelques décennies plus tôt, accompagné sa propre naissance… En 1968, les parents de David Hertzog Dessites se sont rencontrés en allant voir L'Affaire Thomas Crown, avant que certain Moulins de mon cœur entêtant de la B.O. n'accompagnât leurs amours et, dans la foulée, l'avènement de leur premier enfant. Presque un demi-siècle plus tard, en 2017, ce dernier rencontrait l'auteur de la musique qui l'avait bercé in utero, afin de l'entraîner dans son rêve de cinéma. , qui avait déjà été confronté plus de 200 fois au 7ème Art, finira par se laisser convaincre par la passion du réalisateur de bande-annonces et de making of qu'était alors devenu son jeune interlocuteur. Parvenant même à saisir la solitude du compositeur au travail, Il était une fois Michel Legrand est donc forcément un peu plus qu'un documentaire.

Tout y est, d'une vie en musique commencée à l'âge de dix ans au Conservatoire de Paris, au glorieux concert de décembre 2018, à la Philharmonie de Paris, un mois avant la mort du compositeur. De ses débuts en France, avec les enseignements drastiques de Nadia Boulanger (pressentant l'exceptionnel de son talent, elle ne lui octroya jamais son diplôme afin de le maintenir le plus longtemps possible à ses côtés), à ses fréquentations (Davies, Coltrane, Brel, Gréco, Nougaro…) et, bien sûr, dès 1954, à ses épousailles avec l'image, via la Nouvelle vague naissante.

Avec beaucoup d'esprit, Michel Legrand affirme que, s'ils avaient connu le cinéma, Bach et Monteverdi auraient composé pour lui, tout en reconnaissant aussitôt avec autant d'humilité que son propre talent pour la musique de films (parfois le seul intérêt de moult réalisations dispensables, on en conviendra) ne fait pas pour autant de lui un compositeur classique. Vieux complexe d'infériorité qu'une Nathalie Dessay surgie en fin de parcours se régala d'égratigner. Brouillant les frontières, Legrand s'essaya à l'opéra, l'oratorio, au concerto. Que manque-t'il à son sulfureux Marguerite pour échapper à son simple statut de musical ? Ne vibre-t'on pas autant autant en écoutant les Variations Goldberg que Les Parapluies de Cherbourg ou Les Demoiselles de Rochefort ? C'est d'ailleurs par ces dernières que le film s'ouvre et se referme, ce qui n'est pas sans contredire quelque peu l'assurance de la harpiste Catherine Michel, qui affirme que Yentl est la meilleure partition de Legrand…


Malgré Barbra Streisand, Robert Altman, Sidney Pollack, ou Norman Jewison qui avoua avoir eu besoin de la B.O. pour monter cette décisive Affaire Thomas Crown, c'est bien en France que le carnet d'adresses de Michel Legrand impressionne le plus : Agnès Varda (le prégnant solo de Corinne Marchand Cléo de cinq à sept) et Jacques Demy (l'éblouissant diptyque Parapluies/Demoiselles) sont ceux qui ont su le mieux extirper le suc mélodique et mélancolique d'un homme qu'une enfance malmenée par un père inconséquent semblait devoir condamner au seul statut d'entertainer. Les gammes qui concluent l'intro des Demoiselles de Rochefort sont est un des plus parlants exemples de cette tentation toute classique que d'autres réalisateurs (Losey pour Le Messager dont le piano de Legrand constitue carrément le cœur battant) n'auront plus qu'à solliciter. Et que dire de la fugue qui ouvre et referme Peau d'âne, du délicieux pastiche baroque des Mariés de l'an II, ou même, plus récemment de l'irrésistible La Rançon de la gloire, son antépénultième partition pour le cinéma, tous trois absents regrettables (surtout en regard de la présence quant à elle bien effective de Xavier Beauvois) d'un film qui donne la préséance au versant jazzy du génial artiste, face bien visible certes brillante mais tellement plus volatile. Sont en revanche bien là quelques fragrances de la dernière B.O. (un film posthume d'Orson Welles), achevée à l'orée de la mort.


Il était une fois Michel Legrand
a l'honnêteté de ne pas faire l'impasse sur le caractère pour le moins rugueux d'un artiste dont on apprend que l'homme qu'il n'en fut pas moins ne supportait pas qu'on le détestât, et dont les glaçantes rodomontades précédaient des revirements à faire fondre le plus atteint des collaborateurs : « Hier je t'en voulais ; aujourd'hui je t'épouse » déclara-t'il ainsi au chef d'orchestre dont les nombreux témoignages ne sont pas les moins précieux du film. La même appréciable objectivité aborde les moments de creux, dont la terrible expérience de la dépression, ou encore ce moment déchirant où, au TCE, Macha Méril, sa dernière et lumineuse compagne, dut s'avancer en bord de scène pour annoncer que le virtuose ne serait pas en mesure de jouer.

De larges extraits du dernier concert à la Philharmonie concluent Il était une fois Michel Legrand en film à suspense : on y voit l'artiste (notamment accompagné de Stéphane Lerouge, acteur majeur de la musique de film au disque), après avoir joué comme émerveillé par son clavier, devoir céder la place à , le temps de refaire le plein d'énergie, pour pouvoir revenir donner le signal de la fin, devant la caméra bouleversée du réalisateur, d'une carrière commencée 75 ans plus tôt : on n'est pas prêt d'oublier le moment étonnant où Michel Legrand, comme ressuscité par la musique, laisse échapper volontairement (ou non) sa baguette. Qu'il soit permis de pencher là pour le geste délibéré d'un artiste de 86 ans qui, comme s'il exprimait en direct ses dernières volontés, tient à jouer une ultime fois comme l'enfant qu'il confesse n'avoir jamais cessé d'être.

Crédits photographiques : © Dulac Distribution

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3 commentaires sur “Il était une fois Michel Legrand : le testament cinématographique”

  • Foucaud dit :

    Il était le fils de Marcelle Der Mikaëlian (sœur du chef d’orchestre Jacques Hélian, d’origine arménienne. Un génie issu des « restes de l’épée », suite au génocide perpétré par l’Empire ottoman qui avait épargné, par extraordinaire, un peu, son ascendance .
    C’est parce qu’il visait l’excellence qui était à ce point si exigeant et d’abord, avec lui-même. La vie le lui a bien rendu.

  • Christophe dit :

    Monsieur Jean-Luc Clairet,
    quel plaisir de vous lire.
    La beauté de votre verbe s’ajoute au plaisir que m’a procuré ce film.
    Film qui nous grandit.

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