Festival Sonomundo : une troisième édition qui rapproche les continents
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Paris. Bibliothèque La Grange-Fleuret. Festival Sonomundo 28 et 30-XI-2024
28-XI, 19h. Pia Alvarado (née en 1988) : Pregunta por las lilas (CM) ; José Sosaya (né en 1956) : Antigona XVI ; Yemit Ledesma (née en 1989) : Luna griega ; Aurelio Tello (né en 1951) : Antigona V ; Mark Contreras Waiss (né en 1995) : Vocalise (CM) ; Antigona IX et X. Poèmes de Jorge Eduardo Eielson ; Maya Villanueva, soprano ; Jacques Comby, piano.
21h : Maria Alejandra Castro Espejo (née en 1978) : I Looked in the Mirror and Found Myself Multiplied, pour ensemble ; Heitor Villa-Lobos (1887-1959) : Quintette pour flûte, harpe et trio à cordes ; Juan Arroyo (né en 1981) : Wayra aux Indes parallèles, pour mezzo-soprano et ensemble (CM). Ensemble Regards ; direction Juan Arroyo.
30-XI : 21h : Vincent Trollet (né en 1978) : Deux chants sous le ciel d’Ignis, pour mezzo-soprano et petit ensemble ; Antonin Rey : Petit set pour les nerfs, pour deux violons ; Charlotte Bray (née en 1982) : Fire Burning in snow, pour mezzo-soprano et ensemble ; Maurice Ravel (1875-1937) : Le Tombeau de Couperin, arrangement Antonin Rey
Accueilli par la Bibliothèque La Grange-Fleuret et emmené par Juan Arroyo, Vincent Trollet et Lionel Gérin, le festival Sonomundo, en lien avec l'Ensemble Regards, courait sur trois jours au rythme de deux concerts par soirée.
Le Pérou, sous toutes ses formes
En présence de l'ambassadeur du Pérou qui soutient la manifestation, le festival est inauguré avec un programme 100 % latino-américain mêlant œuvres du répertoire et créations. Le premier concert à 19h invite deux membres de l'Ensemble Regards, la soprano Maya Villanueva et le pianiste Jacques Comby. Cinq compositeurs péruviens sont à l'affiche qui ont mis en musique les poèmes de leur compatriote Jorge Eduardo Eielson dont on fête en 2024 le centenaire de la naissance. Les poèmes, dont on aurait aimé lire le texte sinon la traduction, sont extraits de son cycle Antigona.
Venant des rangs du public, la soprano Maya Villanueva arrive sur scène en manipulant de petits instruments de percussions. Donnée en création et bien défendue par les deux interprètes, Preguntas por las lilas de Pia Alvarado est une œuvre courte et ciselée qui balance entre voix parlée et chantée, modifiant l'espace lorsque la soprano chante dans les cordes du piano. Plus conventionnelle, Antigona XVI de José Sosaya met en valeur le piano éloquent de Jacques Comby qui sertit la ligne sensible et bien timbrée du chant. En relief également, le piano sous-tend la voix dans Luna griega de Yemit Ledesma. Dans Antigona V d'Aurelio Tello, l'écriture vocale exigeante met à la peine la voix un rien tendue de Maya Villanueva. Si Antigona IX et X de Mark Contreras Waiss (tout juste 29 ans) se coule dans le moule traditionnel de la mélodie accompagnée, sa Vocalise donnée en création prend une belle envergure sonore, nappée des résonances généreuses du piano de Jacques Comby.
Après une pause on retrouve les musiciens de l'Ensemble Regards sous la direction de Juan Arroyo pour la création de Maria Alejandra Castro Espejo, compositrice d'origine péruvienne qui vit aux Pays-Bas. I Looked in the Mirror and Found Myself Multiplied met l'alto d'Élodie Gaudet en vedette. Il débute seul, balayant le spectre du grave à l'aigu via des glissades microtonales avant d'être rejoint par ses partenaires qui ajoutent leurs couleurs à une image quasi spectrale ; la trajectoire est un rien sinueuse, entre densité et fluidité du matériau, avant la seconde cadence de la soliste, plus méditative, qui termine la pièce et laisse l'écoute en suspens. Les musiciens sont sans chef dans le quintette pour flûte, harpe et trio à cordes du Brésilien Heitor Villa-Lobos, une œuvre tressant habilement le mélo populaire et l'écriture savante. Les instruments chantent à tour de rôle, la harpe de Constance Luzzati, la flûte volubile de Samuel Casale et les cordes parfois en canon. Lumière et nervures rythmiques dans le troisième mouvement ne sont pas sans évoquer la verve d'un Milhaud.
Les « Incas du Pérou », 2ᵉ Entrée des Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau, ont titillé l'imaginaire sonore de Juan Arroyo (Péruvien fixé en France) dans Wayra aux Indes parallèles dont il dirige la création parisienne. Le compositeur a remanié l'histoire de Louis Fuzelier à sa manière facétieuse. L'héroïne Wayra (alias Phani-Palla) invoque Hymen, balançant entre l'officier espagnol Carlos et le grand prêtre du soleil Huascar. La mezzo-soprano Emmanuelle Monier est sur le devant de la scène, exprimant avec une énergie combattive et une aisance vocale tout terrain l'embarras autant que l'ardeur sensuelle qui habitent l'héroïne : « Hymen, viens ! Hymen, viens m'unir au vainqueur que j'adore » chante-t-elle. Les toms sont joués à main nue (Sylvain Devaux) dans un premier tableau qui lance l'action avant une deuxième scène plus offensive amenant souffle et distorsion du son grâce au tuyau harmonique mis en résonance par le percussionniste. L'intensité croît avec le rythme haletant de la flûte basse en bois de Louna Dekker-Vargas et le piccolo ardent de Samuel Casale. Les mots de la chanteuse deviennent phonèmes et son souffle est halètement dans un dernier tableau qui fait monter le désir jusqu'à l'orgasme : « Or, dieux, autels, fondez tous en un hymen vainqueur » : Wayra aux Indes parallèles est un hommage à l'amour et à ses multiples formes, souligne le compositeur dont la partition, au vu de son envergure dramaturgique, appelle l'opéra.
Des îles britanniques à la France
Le dernier concert du festival met deux créations au programme : celle de Vincent Trollet d'abord, qui fait revenir sur la scène Emmanuelle Monier. Dans Deux chants sous le ciel d'Ignis, sur des poèmes de Gabrielle Althen, le compositeur entretient un rapport singulier entre texte et musique, cherchant la fusion organique entre la ligne vocale et le timbre instrumental. Au côté de ses partenaires, la voix ample et chaleureuse de la mezzo-soprano donne l'envergure et la force expressive de ce diptyque ardent chanté en français puis en italien. La seconde création, Petit set pour les nerfs est une commande de l'Ensemble Regards passée au Français Antonin Rey. Elle convoque les deux violonistes de la phalange, Pauline Klaus et Lucie Leker. Ludique et rythmique, théâtral parfois et répétitif mais aussi mélodique, ce bicinium se décline en quatre numéros et autant de configurations sonores ciselées sous les archets des deux instrumentistes complices.
Peu connu encore en France, Charlotte Bray est une compositrice britannique que le public parisien pourra réentendre dans les semaines à venir, à l'Orchestre de Paris (4 et 5 décembre) puis au sein de l'Ensemble Intercontemporain le 6 janvier prochain. Fire Burning in snow (« Feu brûlant dans la neige ») est une pièce pour mezzo et petit ensemble de 2013, écrite en hommage à Jonathan Harvey où la compositrice emprunte trois poèmes à l'écrivaine Nicki Jackowska. Le thème est sombre et l'écriture instrumentale épurée qui fait entendre un hautbois lugubre (Sylvain Devaux en vedette) au sein d'un espace et d'une temporalité mouvants qui réclamaient peut-être la présence d'un chef. Emmanuelle Monier fait vivre le texte avec une belle intensité dramatique et une palette de couleurs qui lui donne tout son relief.
L'idée de terminer la soirée avec Le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel sous la direction de Juan Arroyo ne va pas de soi… L'arrangement qu'en fait Antonin Rey pour huit instruments, avec la harpe de Constance Luzzati et le hautbois de Sylvain Devaux fonctionne bien mais l'aventure, dans une acoustique aussi peu flatteuse qui ne permet ni la fluidité de l'écriture ni le chatoiement des couleurs ravéliennes, est par trop ambitieuse et peine à satisfaire notre écoute.
Crédit photographique : Ensemble Regards avec Juan Arroyo à la BLGF © Sonomundo ; Maya Villanueva © Sonomundo ; Charlotte Bray © David Beecroft
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Paris. Bibliothèque La Grange-Fleuret. Festival Sonomundo 28 et 30-XI-2024
28-XI, 19h. Pia Alvarado (née en 1988) : Pregunta por las lilas (CM) ; José Sosaya (né en 1956) : Antigona XVI ; Yemit Ledesma (née en 1989) : Luna griega ; Aurelio Tello (né en 1951) : Antigona V ; Mark Contreras Waiss (né en 1995) : Vocalise (CM) ; Antigona IX et X. Poèmes de Jorge Eduardo Eielson ; Maya Villanueva, soprano ; Jacques Comby, piano.
21h : Maria Alejandra Castro Espejo (née en 1978) : I Looked in the Mirror and Found Myself Multiplied, pour ensemble ; Heitor Villa-Lobos (1887-1959) : Quintette pour flûte, harpe et trio à cordes ; Juan Arroyo (né en 1981) : Wayra aux Indes parallèles, pour mezzo-soprano et ensemble (CM). Ensemble Regards ; direction Juan Arroyo.
30-XI : 21h : Vincent Trollet (né en 1978) : Deux chants sous le ciel d’Ignis, pour mezzo-soprano et petit ensemble ; Antonin Rey : Petit set pour les nerfs, pour deux violons ; Charlotte Bray (née en 1982) : Fire Burning in snow, pour mezzo-soprano et ensemble ; Maurice Ravel (1875-1937) : Le Tombeau de Couperin, arrangement Antonin Rey