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Lausanne. Opéra. 26-XI-2024. Franz Liszt (1811-1886) : Die Lorelei S273/2, Ein Traum, Nocturne S207 (piano solo), Oh! quand je dors S282/2. Josef Hadar (1926-2006) : Erev Shel Shoshanim. Jacqueline Mani (1931-2016) : Le petit chat triste. Franz Schubert (1797-1828) : Du bist die Ruh op.59 no.3, Nacht und Traüme D 827. Richard Strauss (1864-1949) : Meinen Kinde op. 37 no. 3, Die Nacht op. 10 no. 3, «Kornblümen», Mädchenblumen op. 22 no. 1, «Mohnblumen», Mädchenblumen op. 22 no. 2, «Epheu» Mädchenblumen op. 22 no. 3. Edvard Grieg (1843-1907) : Ein Traum op.48 no. 6. Lili Boulanger (1893-1918) : Clairières dans le ciel no. 1, no. 2 et no. 4. Cécile Chaminade (1857-1944) : Ma première lettre. Germaine Taillefer (1892-1983) : Six chansons françaises : Non, la fidélité…, Mon mari m’a diffamée, les trois présents. Francis Poulenc (1899-1963) : Hommage à Édith Piaf, Improvisation no. 15 (piano solo). Darius Milhaud (1892-1974) : «Tay toi, babillarde arondelle» , Chanson de Ronsard op. 223 no. 3. Marguerite Monod (1903-1961) : Hymne à l’amour. Sabine Devieilhe (soprano), Mathieu Pordoy (piano).
Devant une salle comble, précédée de sa réputation, applaudie chaleureusement dès son entrée en scène, Sabine Devieilhe délivre un récital d'une exceptionnelle qualité de présentation et d'interprétation.
Entrant en scène en courant et en sautillant comme une enfant, entraînant derrière elle son pianiste accompagnateur, Sabine Devieilhe semble impatiente de chanter. On l'imagine follement enjouée, jusqu'à l'insouciance mais, dès les premières notes de Ein Traum d'Edvard Grieg, on reste stupéfait de l'implication de la soprano dans l'interprétation qu'elle apporte à son chant. Extrêmement concentrée, chaque mot est pensé avec un profond engagement artistique dans l'articulation, dans le sens, dans l'intention. D'emblée, elle nous entraîne dans son discours. Non pas dans le mot lui-même mais dans l'intention musicale que la soprano française apporte à ce mot, à cette phrase, à ce poème. Dans ces quelques minutes de chant inspiré, tout l'art de Sabine Devieilhe. Avec son legato, sa justesse de son, sa ligne de chant, tout en elle contribue à donner au texte les couleurs, les ambiances, les drames du poème. A peine éteinte la dernière note de ce premier air que le public, unanime, applaudit à tout rompre.
C'est alors, qu'après quelques mots de la soprano relevant la réaction du public comme une preuve du «pouvoir de la voix» que va se dérouler un récital des plus insolites. La tradition veut qu'un chanteur choisisse des mélodies d'un compositeur qu'il interprète en cycles plus ou moins longs. Ce n'est qu'au terme de cet exercice que le public applaudit. L'artiste et son accompagnateur sortent alors de scène quelques instants puis, reviennent pour entamer un autre cycle de mélodies. Et ainsi de suite. Rien de tel avec Sabine Devieilhe. Dès la fin d'un air, elle se tourne vers son pianiste qui, en quelques secondes et en touches discrètes, introduit l'air suivant que la soprano chante, presque comme s'il s'agissait d'une autre strophe de l'air précédent. On a ainsi, une continuité de ton qui agit comme une série de peintures aux couleurs différentes sur un thème d'exposition unique. A ce petit jeu, la soprano et son pianiste sont parfaits.
Ainsi, la première partie du récital illustre le thème de la nuit, du rêve et des angoisses de l'absence avec la charmante mélodie du début du siècle dernier Le petit chat triste de Jacqueline Mani qui précède le magnifique Du bist die Ruh de Schubert que termine Sabine Devieilhe sur un aigu pianissimo de rêve. Puis après une Berceuse cosaque d'un auteur anonyme, c'est sur une attaque d'un indicible pianissimo que Schubert revient avec Nacht und Traüme que le pianiste Mathieu Pordoy, très inspiré, prolonge par un délicat Nocturne de Franz Liszt dans un théâtre qui s'assombrit lentement jusqu'au noir total pour goûter jusqu'à la lie les ambiances laissées par ces deux artistes.
Avant l'entracte, Sabine Devieilhe nous offre deux langueurs straussiennes du plus bel effet avec Meinen Kinde et Die Nacht elles aussi interprétées dans la continuité d'un chant éthéré parfaitement maîtrisé, sans affect, sans pathos.
Au retour de l'entracte, c'est avec un poème de Victor Hugo mis en musique par Franz Liszt (Oh! quand je dors) que la soprano aborde avec une délicatesse extrême offrant l'un des plus beau moment de cette soirée. Il y a chez Sabine Devieilhe une approche de la mélodie française une pureté respectueuse qui touche. Comme une élégance du mot qu'on retrouve dans les trois airs de Lili Boulanger, mieux encore sur les poèmes de Francis Jammes (Elle était descendue au bas de la prairie, Elle est gravement gaie et Un poète disait). Autre moment de grâce avec Ma première lettre de Cécile Chaminade chantée avec une simplicité touchante. Et c'est avec un surprenant Hymne à l'amour de Marguerite Monod chanté tout en touches de distinction, de raffinement, comme une prière offrant un éclairage bien personnel à une chanson chargée de références qu'on pourrait croire insurpassables.
Si dans Tay toy, babillarde arondelle de Darius Milhaud on a pu apprécier l'extraordinaire technique vocale de Sabine Devieilhe, quand bien même l'ensemble de ce récital reste exemplaire de rigueur, de justesse, de construction et d'interprétation, on aurait aimé néanmoins qu'une certaine folie s'invite dans cette heure et demie de récital. La soprano française maîtrise si bien son instrument et son chant qu'on a l'impression d'entendre les mêmes intonations dans presque chacune des mélodies qu'elle propose.
Formidable artisan du succès amplement mérité de cette soirée, le pianiste Mathieu Pordoy est un complice de luxe de ce récital. Avec un public de l'Opéra de Lausanne retrouvant avec bonheur l'expérience du récital de chant abandonné depuis quelques années, la nouvelle direction a misé gagnant avec cette formidable soirée.
Crédit photographique : © Jacques Schmitt/Resmusica
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Lausanne. Opéra. 26-XI-2024. Franz Liszt (1811-1886) : Die Lorelei S273/2, Ein Traum, Nocturne S207 (piano solo), Oh! quand je dors S282/2. Josef Hadar (1926-2006) : Erev Shel Shoshanim. Jacqueline Mani (1931-2016) : Le petit chat triste. Franz Schubert (1797-1828) : Du bist die Ruh op.59 no.3, Nacht und Traüme D 827. Richard Strauss (1864-1949) : Meinen Kinde op. 37 no. 3, Die Nacht op. 10 no. 3, «Kornblümen», Mädchenblumen op. 22 no. 1, «Mohnblumen», Mädchenblumen op. 22 no. 2, «Epheu» Mädchenblumen op. 22 no. 3. Edvard Grieg (1843-1907) : Ein Traum op.48 no. 6. Lili Boulanger (1893-1918) : Clairières dans le ciel no. 1, no. 2 et no. 4. Cécile Chaminade (1857-1944) : Ma première lettre. Germaine Taillefer (1892-1983) : Six chansons françaises : Non, la fidélité…, Mon mari m’a diffamée, les trois présents. Francis Poulenc (1899-1963) : Hommage à Édith Piaf, Improvisation no. 15 (piano solo). Darius Milhaud (1892-1974) : «Tay toi, babillarde arondelle» , Chanson de Ronsard op. 223 no. 3. Marguerite Monod (1903-1961) : Hymne à l’amour. Sabine Devieilhe (soprano), Mathieu Pordoy (piano).