Avec Kaija Saariaho au coeur de la constellation contemporaine
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Paris. Philharmonie. Amphithéâtre. 21-XI-2024. Kaija Saariaho (1952-2023) : Sept Papillons (IV, V, VI), pour violoncelle ; Oi Kuu, pour clarinette basse et violoncelle ; Laconisme de l’aile, pour flûte et électronique ; Cendres, pour flûte alto, violoncelle et piano ; Dolce tormento, pour flûte piccolo ; Gérard Grisey (1946-1998) : Nout – extrait d’Anubis Nout, pour clarinette contrebasse ; Esa-Pekka Salonen (né en 1958) : Meeting pour clavecin et clarinette ; Tristan Murail (né en 1947) : Une lettre de Vincent, pour flûte et violoncelle ; Magnus Lindberg (né en 1958) : Trio pour clarinette, violoncelle et piano. Solistes de l’Ensemble Intercontemporain : Sophie Cherrier, flûte ; Martin Adámek, clarinettes ; Sébastien Vichard, piano, clavecin ; Renaud Déjardin, violoncelle ; Clément Marie, ingénieur du son
Kaija Saariaho nous a quittés il y a plus d'un an déjà mais sa musique est plus vivante que jamais, magnifiée ce soir par les solistes de l'Intercontemporain.
Quatre musiciens sur le plateau de l'amphithéâtre du musée de la musique et autant d'instruments pour lesquels la compositrice a beaucoup écrit, s'entourant de ses interprètes et amis fidèles qui ont stimulé son désir d'écrire : la flûtiste Camilla Hoitenga, le clarinettiste Kari Krikku et le violoncelliste Anssi Kartunen, notamment. C'est à ce dernier qu'elle dédie Sept Papillons (2000), un cycle de miniatures, joué partiellement ce soir, qui sert de fil rouge à ce voyage de l'écoute sans applaudissement, rythmé par les jeux de lumière ; la musique de Kaija Saariaho y voisine celle de ses compatriotes et complices, Esa-Pekka Salonen et Magnus Lindberg, avec qui elle fonda dans sa jeunesse le groupe Korvat auki (Ouvrez vos oreilles). S'ajoutent à la galaxie finlandaise les deux représentants de l'école spectrale à laquelle se rattache la compositrice, Tristan Murail et Gérard Grisey.
C'est dans la pénombre et l'outrenoir du registre que débute le concert avec Nout (1983), extrait d'Anubis-Nout de Gérard Grisey, et la clarinette contrebasse de Martin Adámek : musique hiératique et insaisissable qui déploie ses colonnes de son, des graves métalliques à la chaleur du médium et le saisissement des sons multiphoniques qui vrillent l'espace de résonance. Dans un subtil fondu enchaîné, Papillon VI, musique frémissante, vibratile et dardant ses reflets argentés, passe sous l'archet délicat de Renaud Déjardin. Le violoncelliste est face à la clarinette basse dans Oi Kuu (« Pour la lune ») de Kaija Saariaho toujours, une pièce brève (1990) où les deux instruments évoluent dans un même spectre harmonique et un même registre ; seul le mode de production des deux sonorités créé la différence. La compositrice emprunte des fragments de texte aux Oiseaux de Saint-John Perse dans Laconisme de l'aile (1982), sa deuxième pièce pour flûte solo. Sophie Cherrier arrive des coulisses en parlant avant de mêler à son jeu le souffle puis les mots du poète. Avec une légère réverbération et dans un espace démultiplié par l'électronique se dessinent les souples trajectoires au profil microtonal ployant vers le grave ; les légers flatterzunge, sons fusées ou éoliens sont autant de subtilités acoustiques qui en nuancent le tracé.
Meeting d'Esa-Pekka Salonen est la rencontre du clavecin (Sébastien Vichard) et de la clarinette jouant au début en parfaite synchronie. Lorsqu'ils reprennent leur autonomie, les deux instruments deviennent des personnages volubiles. Les traits sont virtuoses et la rythmique presque jazz qui donne du ressort à cette joute sonore défendue bec et ongles par les deux interprètes. Le duo est soigné et la musique presque sentimentale dans Une lettre de Vincent pour flûte et violoncelle (2018) de Tristan Murail qui se remémore un souvenir d'enfance : intégrée à son cycle Portulan, la saynète est charmante, jouée avec beaucoup de sensibilité et de finesse par Sophie Cherrier et Renaud Déjardin.
Après Papillon V, tout en oscillations fragiles, on fait un pas en arrière avec le Trio pour clarinette, violoncelle et piano (2008) d'un Magnus Lindberg « troisième période » lorgnant vers les modèles du passé et les « bienfaits » de la consonance : un retour à Debussy d'abord puis à Brahms (Trio oblige) avant un final mâtiné de jazz : en bref, un grand bavardage un rien indigeste qui détonne dans le contexte, d'autant que la pièce en trois mouvements est longue !
Autre trio, Cendres (1998) pour flûte alto, piano et violoncelle de Kaija Saariaho tire son titre et son matériau du double concerto pour flûte alto, violoncelle et orchestre, Du cristal… à la fumée. Hyperactifs, les trois instruments fusionnent ou se désolidarisent dans un espace très mouvant où les textures légères se forment et se transforment à mesure. La matière est bruitée, entre bariolages et oscillations, dans Papillon IV sous l'archet de Renaud Déjardin qui en cisèle les moindres reliefs. Dolce tormento (2004) est un bijou pour piccolo amplifié où, là encore, Saariaho combine la voix et le souffle de la flûtiste, en empruntant les mots de Pétrarque dans une partition qui laisse un espace à l'interprétation : Sophie Cherrier s'y engage avec un plaisir communicatif, dont la performance éblouissante consacre cette belle soirée in memoriam Kaija Saariaho.
Crédit photographique : © Priska Ketterer
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