Herbert Blomstedt entraine les Viennois à la découverte de l’univers de Carl Nielsen

Dans la série des concerts par souscription de l'Orchestre philharmonique de Vienne donnés dans la somptueuse salle du Musikverein voici l'un des programmes les plus originaux et passionnants de la saison 2023/2024 avec Herbert Blomstedt et Leonidas Kavakos.

La première partie, la plus convenue, montre l'orchestre star dans son élément naturel avec le Concerto pour violon de Brahms. Somptueux thèmes des cordes dans l'allegro premier, phrasés opulents et comme gorgés de lumière automnale, admirable solo de hautbois dans l'adagio, folle énergie dansante dans le célèbre final à la hongroise, tout offre un écrin de rêve à la prestation inspirée de Leonidas Kavakos. Soutenu par l'orchestre mené d'une battue bienveillante par Herbert Blomstedt qui de quelques gestes de la main parvient à guider ses musiciens avec tendresse, le soliste se révèle éblouissant de technique et de musicalité et confirme qu'il est bien actuellement un des meilleurs violonistes en activité. En bis, il donne la sarabande de la première partita BWV 1002 de Bach et conclut avec émotion et gravité une première partie exaltante.

Tout change avec la seconde partie au programme nettement plus aventureux pour les Viennois. Car Blomstedt a programmé la rude Symphonie n°5 de Nielsen créée en 1922, une œuvre âpre dont il est familier mais à l'évidence pas ses musiciens. Sans perdre de leur maîtrise technique légendaire, les musiciens sont clairement sur leur garde devant cette page à la structure originale ; deux mouvements seulement, le premier lui-même divisé en deux grands épisodes, un d'abord qui mêle un sentiment d'inquiétude diffuse annonçant Chostakovitch et sa symphonie « Léningrad » dans un climat de guerre imminente, puis le second où un grand thème lyrique assez brucknérien submerge tout et triomphe en apparence de l'angoisse initiale. Les solos instrumentaux sont fabuleux, qu'il s'agisse des percussions ou de la clarinette éblouissante de Daniel Ottensammer (ce solo de clarinette figure fréquemment dans les traits d'orchestre des concours pour l'instrument tant il est redoutable), mais la concentration de tous les musiciens est perceptible à tout instant, loin de leur relâchement apparent dans le concerto brahmsien si souvent joué. Leurs regards vers le chef trahissent sans ambiguïté l'extrême tension de l'orchestre qui s'aventure dans une contrée musicale qui ne lui est à l'évidence pas familière. Plus énergique et puissant, le second volet de la partition déroute moins les Viennois, car Nielsen s'inscrit ici plus dans un climat expressionniste et une écriture symphonique parfois annonciatrice de Hindemith. Blomstedt qui a enregistré deux fois l'œuvre la maîtrise suffisamment pour mener son ensemble au triomphe dans une entreprise ardue (on se souvient a contrario de la peu convaincante Symphonie n°4 par Karajan avec Berlin).

Reste le souvenir d'un des plus passionnants concerts de cette série dont les autres volumes déjà parus sont plus conventionnels (Zubin Mehta dans Bruckner, Christian Thielemann dans Richard Strauss) mais pas moins beaux au demeurant.