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Une distribution d’élite autour de Brenda Rae pour Lulu à Francfort

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Francfort-sur-le-Main. Opéra. 15-XI-2024. Alban Berg (1885-1935) : Lulu, opéra en trois actes d’après la pièce de Frank Wedekind, acte III complété par Friedrich Cerha. Mise en scène : Nadja Loschky ; décors : Katharina Schlipf ; costumes : Irina Spreckelmeyer. Avec : Brenda Rae (Lulu), Simon Neal (Dr. Schön/Jack the Ripper), AJ Glueckert (Alwa), Claudia Mahnke (Gräfin Geschwitz), Theo Lebow (Peintre/Client), Kihwan Sim (Dompteur/Athlète), Alfred Reiter (Schigolch), Bianca Andrew (Habilleuse/Lycéen/Groom), Michael Porter (Prince/Valet/Marquis), Božidar Smiljanić (Directeur du théâtre/Serviteur), Erik van Heyningen (professeur de médecine/Banquier/Professeur)… Frankfurter Opern- und Museumsorchester, direction : Thomas Guggeis

La direction de assure l'essentiel, au contraire de la mise en scène décidément banale de .

Désormais, la version du troisième acte de Lulu réalisée par n'est plus la seule, et même si toutes profitent du travail énorme de déchiffrage que celui-ci a effectué sur un autographe particulièrement illisible, plusieurs versions alternatives ont vu le jour depuis que l'œuvre d' est dans le domaine public : la pire est la version de David Robert Coleman pour Daniel Barenboim, mais même celle d'Eberhard Kloke, modulable et donc plus accessible pour des petites et moyennes maisons, est loin d'arriver à la cohérence et à la force de celle de Cerha. Fort heureusement, l'Opéra de Francfort nous offre bel et bien cette dernière, à l'heure actuelle encore et toujours la seule manière d'entendre la partition de Berg au plus proche des intentions du compositeur.

La mise en scène de ne livre de cette œuvre-monde qu'une illustration sans ambition. Le décor de hauts murs tournants semble emprunté directement à un spectacle de série des années 90 ; il a le mérite de faciliter la tâche aux chanteurs en renvoyant le son vers le public contrairement aux scènes vides qu'on voit souvent ces dernières années, mais c'est bien le seul. L'inventivité est heureusement plus grande dans les costumes d'Irina Spreckelmeyer, mais cela ne parvient pas à faire vivre le théâtre sur scène, quand bien même la direction d'acteurs sauve du moins la narration – à ce titre, le résultat est tout de même meilleur que le Giulio Cesare de la même metteuse en scène sur la même scène.

Loschky ajoute un personnage muet, nommé Anima dans le programme : au début de l'opéra, c'est elle, double de Lulu, qui est sortie des eaux comme animal de foire présenté par le dompteur du prologue. Dans sa nuisette blanche souillée de boue, elle apparaît à plusieurs moments de l'histoire de Lulu : il y a là l'esquisse d'une interprétation féministe, cette Ophélie souillée étant comme le rappel du destin funeste de Lulu même au sommet de sa gloire apparente. Mais on se lasse vite de la rotation impitoyable des hauts murs, de ces changements de décor qui n'apportent jamais rien de nouveau, même pas quand la scène se trouve dans le dernier tableau surchargée de meubles et objets divers en un tas impressionnant.

L'intérêt principal de la soirée est donc la distribution sans point faible proposée par l'Opéra de Francfort. À sa tête, on aurait bien aimé entendre Vera-Lotte Boecker initialement prévue ; qui la remplace ne parvient pas tout à fait à réunir toutes les qualités contradictoires que demande ce rôle terrible, que seules de rares interprètes ont vraiment réussi à maîtriser (on pense à Christine Schäfer ou à Barbara Hannigan), mais elle parvient à un compromis très acceptable : avec une bonne diction allemande, elle n'est pas contrainte de sacrifier les notes comme tant de titulaires du rôle, mais l'effort la conduit souvent à une émission contrainte qui disparaît facilement derrière l'orchestre. L'essentiel est néanmoins sauf, à commencer par la construction du personnage, et on espère bien qu'elle aura l'occasion d'approfondir sa maîtrise du rôle.

La direction d'acteurs est également plutôt favorable au Dr. Schön, chanté par . En soulignant la continuité entre Schön et sa réincarnation en Jack l'Eventreur, en montrant que Lulu le reconnaît, réussit au moins à donner du sens à la fin de l'œuvre. Neal n'a pas la voix très noire et l'autorité brutale de certains de ses devanciers, Franz Mazura ou Michael Volle : il fait donc de son personnage une figure plus légère qu'à l'ordinaire, un homme comme il faut qui se prend certes très au sérieux, mais n'oppose jamais beaucoup de résistance aux courants qui l'emportent dans un sens ou dans l'autre. Il est ainsi moins supérieur au peintre qu'il ne le croit ; celui-ci est chanté par avec dans la voix des accents véristes qui sont parfaitement en situation pour ce personnage de geignard. Alwa, par comparaison, fait meilleure figure, peut-être parce que son allant juvénile masque ses faiblesses, et lui donne beaucoup de présence vocale et scénique. , lui, n'a pas encore tout à fait l'âge de Schigolch, et il n'a pas la bouleversante fragilité que les chanteurs plus âgés lui apportent parfois, mais il compense par un jeu décidément tourné vers l'humour – et bien sûr une vraie voix chantée et solide ne peut pas nuire. La comtesse Geschwitz, elle, est au contraire un peu oubliée par la mise en scène : dommage, la chante bien mais reste de ce fait au second plan. Les nombreux petits rôles, tous très engagés scéniquement, complètent avec un vrai bonheur la distribution, à commencer par en lycéen et en groom et par le Marquis doucereux de Michael Porter.

Dans la fosse, on retrouve le directeur musical de la maison, , qui a visiblement fait la conquête de son public. Il tient son orchestre et fait avancer la narration efficacement, en soutenant les chanteurs en vrai chef de théâtre. Mais Lulu mérite encore mieux que cela : on aimerait un peu plus de travail en profondeur sur le son orchestral, pour à la fois construire un son plus enveloppant et permettre à l'auditeur de plonger dans les méandres de cette partition à la fois si merveilleusement divertissante et si complexe.

Crédits photographiques : © Barbara Aumüller

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Francfort-sur-le-Main. Opéra. 15-XI-2024. Alban Berg (1885-1935) : Lulu, opéra en trois actes d’après la pièce de Frank Wedekind, acte III complété par Friedrich Cerha. Mise en scène : Nadja Loschky ; décors : Katharina Schlipf ; costumes : Irina Spreckelmeyer. Avec : Brenda Rae (Lulu), Simon Neal (Dr. Schön/Jack the Ripper), AJ Glueckert (Alwa), Claudia Mahnke (Gräfin Geschwitz), Theo Lebow (Peintre/Client), Kihwan Sim (Dompteur/Athlète), Alfred Reiter (Schigolch), Bianca Andrew (Habilleuse/Lycéen/Groom), Michael Porter (Prince/Valet/Marquis), Božidar Smiljanić (Directeur du théâtre/Serviteur), Erik van Heyningen (professeur de médecine/Banquier/Professeur)… Frankfurter Opern- und Museumsorchester, direction : Thomas Guggeis

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