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Paris. Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. 15-XI-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Don Giovanni, dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo da Ponte. Mise en scène : Jean-Yves Ruf. Scénographie : Laure Pichat. Costumes : Claudia Jenatsch. Lumières : Victor Egea. Avec : Timothée Varon, don Giovanni ; Margaux Poguet, Donna Elvira ; Marianne Croux, Donna Anna ; Abel Zamora, Don Ottavio ; Nathanaël Tavernier, Le Commandeur ; Adrien Fournaison, Leporello ; Michèle Bréant, Zerlina ; Mathieu Gourlet, Masetto. Choeurs : Inès Lorans, Alexia Macbeth, Corentin Backès, Samuel Guibal. Le Concert de la Loge, direction Julien Chauvin.
Sur la scène de l'Athénée-Louis Jouvet, Le Concert de la Loge dirigé du violon par Julien Chauvin devient un personnage de premier plan du dramma giocoso de Mozart dans l'économe mise en scène de Jean-Yves Ruf.
Soir de première. Le Théâtre de l'Athénée grouille de monde, du parterre au dernier balcon. Les musiciens de l'orchestre prennent place sur la scène, surplombée d'une passerelle noire de jardin à cour reliée à elle par un escalier métallique noir aussi. Brouhaha des instruments qui s'accordent et des conversations du public subitement interrompu, sans même attendre que le silence s'installe, par les accords de ré mineur de l'ouverture lancés vigoureusement de l'archet par Julien Chauvin. Le Concert de la Loge, non pas en fosse mais visible sur scène, s'invite et impose dès lors sa présence comme un personnage-clé de la soirée, aux côtés d'une distribution qui ne manque pas d'intérêt non plus.
Faire tenir instrumentistes et chanteurs sur le plateau de l'Athénée qui n'est pas immense : un défi pour le metteur en scène Jean-Yves Ruf et Julien Chauvin, qui collaborent pour la première fois. La passerelle et son escalier sont les seuls éléments de décor permettant l'évolution des huit personnages et d'un chœur réduit à sa plus simple expression (un par voix). En fonction des scènes et des situations, ils se tiennent sur celle-ci (dans la première scène derrière un rideau de voile, ou encore en septuor à la fin de l'acte I ), se faufilent entre cordes et bois, se disputent et se rabibochent à l'avant-scène (Zerlina et Masetto), ou sont mis à l'épreuve dans cet espace intermédiaire qu'est l'escalier (Zerlina dans le La ci darem… et Don Giovanni lorsqu'il tient tête au Commandeur à la fin de l'ouvrage). Décor dont le minimalisme est accentué par une accessoirisation très sommaire : quelques masques, quelques armes, une table de bistrot et une assiette de spaghettis en tout et pour tout pour le souper final. Volonté exprimée sans doute aussi dans le choix des costumes assez ordinaires et peu structurés (ceux de Donna Anna et de Donna Elvira en particulier). Manque de ce fait une caractérisation visuelle des personnages, de leurs rangs sociaux, hormis en ce qui concerne Zerlina et Masetto bien reconnaissables en habits de noces. C'est ce que l'on peut regretter de ce parti scénographique.
Jean-Yves Ruf qui signe ce soir-là sa deuxième mise en scène de Don Giovanni dix ans après la première (en 2013 à Dijon), s'attache à nous montrer la complexité des personnages, les manipulations entre eux, leurs contradictions, « leurs angles morts, leurs paradoxes », par un jeu d'acteurs extrêmement expressif, qui gagne en précision dans le second acte. Règne un esprit de troupe manifeste parmi les jeunes chanteurs sélectionnés par l'Arcal (deux étant issus du Département Supérieur des Jeunes Chanteurs du CRR de Paris), compagnie de théâtre lyrique et musical qui a porté le projet. Ils donnent à voir autant qu'à entendre, formant un plateau vocal de grande qualité.
Le baryton Timothée Varon incarne pleinement le rôle de séducteur qu'est Don Giovanni dont la superbe est mise en brèche par l'accumulation de défaites. Sa voix large, l'expression nuancée de son timbre qui se fait de velours quand il s'agit de séduire, tranchant lorsqu'il devient cynique convient parfaitement au personnage. C'est à la basse Adrien Fournaison qu'est confié le rôle de Leporello. Il l'incarne de façon théâtrale n'hésitant pas à faire trembler sa voix lorsqu'il est en proie à la peur, et à donner tout le comique requis au valet de Don Giovanni. De son beau timbre de soprano, Margaux Poguet met toute une palette expressive au service de Donna Elvira, touchante en particulier dans son air (Mi tradi quell'alma ingrata ) de l'acte II. La Donna Anna de Marianne Croux est impressionnante : la grande intensité de sa voix de soprano dramatique convient à l'expression de son désir puissant de vengeance, dans toutes les nuances requises par le rôle. Abel Zamora est un Don Ottavio d'une grande délicatesse, sans pour autant être mièvre. Son timbre limpide et doux sied à la sensibilité de son personnage. Michèle Bréant de son timbre frais et encore un peu vert incarne une Zerlina juvénile, dotée d'une jolie sensibilité. Son duo avec le remarquable Masetto de Mathieu Gourlet est tout à fait charmant et convainquant. Lui montre une aisance et une justesse d'expression tant dans son jeu d'acteur que dans ses intonations, portée par une voix ferme au timbre charpenté et chaleureux. Nathanaël Tavernier est saisissant dans le rôle du Commandeur, auquel il prête sa voix de basse puissante et inflexible.
On ne regrettera pas forcément l'amputation de la scène finale, tant l'ouvrage est vaillamment défendu par Julien Chauvin à la tête de son orchestre. Précision, richesse des couleurs, dynamiques donnant vie et relief incomparables à la partition, tension dramatique croissante, tels sont les atouts de cette production qui fait de l'orchestre un personnage à part entière, si ce n'est à lui seul tous les personnages réunis du livret de Da Ponte, en parfait accord avec les chanteurs. La voix du Commandeur et les lamentations de Leporello pourront aussi être entendues prochainement à Massy, Tourcoing et Clermont-Ferrand.
Crédit photographique © Simon Gosselin
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Paris. Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet. 15-XI-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Don Giovanni, dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo da Ponte. Mise en scène : Jean-Yves Ruf. Scénographie : Laure Pichat. Costumes : Claudia Jenatsch. Lumières : Victor Egea. Avec : Timothée Varon, don Giovanni ; Margaux Poguet, Donna Elvira ; Marianne Croux, Donna Anna ; Abel Zamora, Don Ottavio ; Nathanaël Tavernier, Le Commandeur ; Adrien Fournaison, Leporello ; Michèle Bréant, Zerlina ; Mathieu Gourlet, Masetto. Choeurs : Inès Lorans, Alexia Macbeth, Corentin Backès, Samuel Guibal. Le Concert de la Loge, direction Julien Chauvin.