Le fantasque John Bull par Maciej Skrzeczkowski

Voici le premier enregistrement du jeune claveciniste polonais Maciej  Skrzeczkowski, entièrement consacré à la musique de John Bull au virginal.

La biographie de John Bull est un véritable roman. Musicien anglais issu des universités de Cambridge et Oxford, professeur de musique au Gresham College de Londres, sa vie privée mouvementée est à l'origine de nombreux scandales qui l'obligent à s'enfuir aux Pays-Bas en 1613 ; il y fera carrière à la cathédrale d'Anvers, après s'être engagé dans la foi catholique. Son oeuvre est le reflet de sa personalité tourmentée, entre respect des principes du contrepoint et virtuosité libre et capricieuse, affranchie des règles de l'harmonie. Le programme de cet enregistrement offre un panorama complet de cette écriture contrastée, mêlant petites danses légères et grandes constructions contrapuntiques. Les instruments choisis sont deux grands virginals dont la générosité sonore n'a rien à envier à celle du clavecin. L'un des deux est un virginal (ou muselaar) dit « mère et enfant » qui combine deux instruments en un seul : un virginal en 3 pieds, plus aigu (l' « enfant ») à côté d'un instrument en 6 pieds (la « mère »), réunis dans une même caisse avec leurs deux claviers côte à côte, qui peuvent être joués séparément ou accouplés pour une plus grande plénitude sonore.

Maciej Skrzeczkowski a gagné le Premier prix du prestigieux concours de Bruges en 2023, à seulement 22 ans. Et aussi le prix Outhere Music qui lui offre l'occasion de ce premier enregistrement chez Ricercar. Ce qui frappe d'emblée dans ce disque, c'est la très grande maîtrise technique, alliée à une musicalité jamais mise en défaut. L'écriture de Bull est riche en diminutions d'une incroyable virtuosité, comme dans la grande Fantaisie (MB1) qui commence par un contrepoint strict et savant d'où s'échappent par moment des fusées de notes qui s'envolent hors du cadre formel à une vitesse phénoménale. C'est la même chose dans les In Nomine, dont les guirlandes décoratives ne masquent en rien la structure immuable. Dans la Gaillarde Chromatique, le tempérament mésotonique de l'accord fait friser les oreilles de l'auditeur sous quelques hardiesses harmoniques. Dans la Gaillarde Saint-Thomas, la mélodie est jouée à la main droite pendant que la main gauche déroule des figures ornementales incroyablement véloces. La dernière pièce du programme, Salvator Mundi, basée sur une hymne grégorienne, nous offre un feu d'artifice en forme de bouquet final. Et toute cette virtuosité sans jamais sacrifier une sensibilité musicale omniprésente, c'est du grand art ! Il va falloir se familiariser avec le nom (et sa prononciation) de ce nouveau talent.