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Alain Altinoglu et les forces de la Monnaie pour un époustouflant Requiem de Verdi

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Bruxelles. Bozar. Grande salle Henri le Boeuf. 10-XI-2024. Giuseppe verdi : Messa da Requiem « per l’anniversario della morte di Alessandro Manzoni. Avec : Masaban Cecilia Rangwashana, soprano; Marie-Nicole Lemieux, mezzo-soprano; Enea Scala , ténor; Michele Pertusi, basse. Académie des choeurs de la Monnaie, préparés par Benoît Giaux; Vlaams Radiokoor, préparé par Bart van Reyn, Choeurs de la Monnaie, direction : Emmanuel Trenque. Orchestre symphonique de la Monnaie, direction : Alain Altinoglu

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Dans le cadre des concerts symphoniques de la Monnaie, donnés en collaboration  avec Bozar-musique, les forces vives de l'Opéra National belge et un quatuor de solistes prestigieux placés sous la baguette à la fois ductile et autoritaire d', ont livré un Requiem de Verdi d'anthologie, mi-monument funéraire, mi-joute opératique.

On le sait : en 1868-69, Verdi voulut célébrer la mémoire de Rossini par un Requiem collectif confié à treize compositeurs italiens alors en vogue. Si ce pasticcio fut mené à bien, il ne semble pas avoir été créé à l'époque pour cause de dissensions politiques et jalousies musicales entre maîtres… et à vrai dire seul le nom de Verdi, au sein de ce panel, a résisté aux injures du temps ! Le cygne de Bussetto s' était d'ailleurs taillé la part du lion avec un puissant Libera me…qu'il reprit, cinq ans plus tard, quelque peu retouché, pour ponctuer le présent Requiem (1874) à la mémoire et pour l'anniversaire de la mort d'Alessandro  Manzoni, écrivain poète et dramaturge insigne lié de près au Risorgimento. Le matériau musical « premier » innerve aussi, par effet rétrospectif, les Introit et Dies Irae de cette version intégrale et définitive de l'ordinaire de la Messe des morts.

Comme le souligne dans son passionnant texte de présentation, entre le premier jet partiel et la mouture intégrale définitive, Aïda est passée par là, dans  l'alternance de moments grandioses, térébrants et spectaculaires et d'intimité fervente et recueillie. Ce Requiem de 1874 repensé dans sa totalité, au-delà de son aura religieuse pour le repos de l'âme, offre une vision romantique quasi- opératique de la mort et de son cortège funèbre. Verdi y détaille à merveille les sentiments contradictoires, entre révolte et compassion, entre colère et contrition, inspirés par notre inéluctable sort à tous ou la disparition d'un être cher, quelle que soit notre foi.


C'est là le grand mérite d' que de pouvoir, par son amour profond de l'œuvre et sa connaissance du répertoire verdien, magnifier les contrastes au sein de cette vaste fresque, par le truchement d'une baguette ici aussi altière qu'autoritaire, là aussi ductile que lyrique, dans une conception somme toute très symphonique de l'ouvrage. La palette de nuances qu'il tire de ses imposantes forces orchestrales et chorales  – les premiers personnages du drame en quelque sorte –  est impressionnante, depuis d'impalpables pianissimi (début de l'Introit, Mors stupebit, conclusion du Libera me) jusqu'à de dantesques tutti ( Dies Irae, Tuba Mirum). Il confère, par la progression organique des crescendi, et toujours dans un souci d'équilibre et de clarté des plans sonores, un souffle unitaire et épique à cette imposante partition – parfois très éclatée dans la gestion de ses contrastes sous d'autres baguettes trop disertes. Ainsi, les divers « numéros » de la Séquence du Dies Irae sont ainsi splendidement et unitairement enchaînés tels des éléments d'un grand tout. Jamais le soin apporté au moindre détail de la partition ne fait perdre de vue la puissance architecturale de l'œuvre empreinte de religiosité mais aussi érigée en opéra mortuaire. Et si la direction peut être triomphale (Sanctus péremptoire à souhait), elle peut s'attendrir avec une minutieuse délicatesse ou une ineffable douceur  (Offertoire), sans jamais sombrer dans le pathos ou l'effet facile (Libera me). L'orchestre chauffé à blanc témoigne d'un engagement de tous les instants, même si ça et là, les cordes pourraient être plus précises : l'on regrettera ainsi les approximations de trait d'entrée des violoncelles à l'Offertoire – l'un des plus délicats de tout le répertoire, ceci dit – ou quelques petites distractions des pupitres de violons, au mitan de la même page.

Les Chœurs de la Monnaie rejoints par l'académie des chœurs de l'institution (préparés par ) et le Vlaams Radiokoor (sous la férule de ) sont exemplairement cornaqués par . L'assistance est comblée tant par leur discipline que par leur grand éventail de nuances (du murmure ineffable de l'Introït aux vociférations « infernales » mais toujours belcantistes du Dies Irae). Leur vocalité idéale – doublée d'une prononciation exemplaire- est entièrement au service de la rhétorique et de la théâtralité du texte liturgique. Au moment des saluts ils remportent une ovation générale et un triomphe bien mérité.

Nous sommes plus réservés quant au quatuor de solistes, certes prestigieux, mais assez inégal, leurs voix se conjuguant parfois assez erratiquement (Offertoire, Lux Aeterna ).

Certes la soprano Masabane Cecilia  Rangwanasha a dû pallier en dernière minute la défection de Lianna Haroutounian, souffrante. Si le timbre demeure plutôt superbe, quoique un peu acide, et la puissance vocale au paroxysme du Libera me on serait tenté d'attribuer à la fatigue, ou à l'improvisation d'une arrivée tardive dans la production, certaines errances de justesse : tous les passages vers le registre aigu sont audiblement assumés trop bas, et lors du périlleux quatuor de solistes a capella vers la conclusion du Lacrimosa, elle fait « dévisser » l'intonation de l'ensemble, rendant l'enchainement avec les orchestre et chœurs particulièrement éprouvant.

que nous avons pu grandement apprécier sur la scène bruxelloise lors du projet Bastarda (autour des opéras « Tudor » de Donizetti) ou Rivoluzione e Nostalgia (pasticcio sur la base des opéras de jeunesse de Verdi), avec son lirico spinto chatoyant, semble un rien mal à l'aise, avec un timbre un peu sombre et (trop ?) corsé pour ce Requiem, avec certes un beau sens du legato et de la ligne vocale, mais aussi un aigu un rien souffreteux là où on l'attend étincelant et glorieux au faîte de l'Ingemisco.

Il convient de saluer par contre le très émouvant  toujours impeccable de présence et admirable par la couleur très boisée de son registre de basse noble, tant dans le registre de l'infinie tristesse (Confutatis) que de l'autorité glaçante (Mors Stupebit).

Mais notre coup de cœur va à , sans doute l'une des plus splendides voix graves féminines du moment, superlative de présence et de vocalité sur toute l'étendue de son vaste registre au fil d'un  Liber Scriptus d'anthologie, secondant ailleurs à merveille sa collègue soprano parfois en délicatesse (Recordare) ou nimbant d'un parfum de salutaire pérennité l'incipit du Lux Aeterna.

Pour cette magnifique prestation de la soliste canadienne, pour ces chœurs exemplaires de cohésion et d'expressivité, et surtout pour la direction à la fois enflammée et habitée d'Alain Altinoglu, voilà un Requiem de Verdi assez superlatif dont longtemps nous nous souviendrons.

Crédits photographiques © Vincent Callot / La Monnaie-de Munt-Bozar Brussels  

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