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Je suis Orage de Bastien David sur le plateau des Bouffes du Nord

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Paris. Théâtre des Bouffes du Nord. 4-XI-2024. Pierre Boulez (1925-2016) : Une page d’éphéméride ; Unsuk Chin (née en 1961) : Étude pour piano n° 5 : Toccata. Misora Ozaki, piano.
Karol Szymanowski (1882-1937) : Masques op. 34 : Shéhérazade ; Olivier Messiaen (1908-1992) : Vingt regards sur l’Enfant Jésus : XIII Noël ; Svetlana Andreeva, piano.
Henri Dutilleux (1916-2013) : Prélude : D’ombre et de silence ; Elliott Carter (1908-2012) : 90+ ; Leopold Godowsky (1870-1938) : Java Suite : X In the Kraton ; Leo Gevisser, piano.
Bastien David (né en 1990) : Je suis Orage, pour trois pianistes et ensemble (création mondiale) ; Svetlana Andreeva, Winston Choi et Imri Talgam, piano ; Ensemble Intercontemporain, direction : Léo Margue

Soirée haute en couleurs avec le concert des lauréats du 16ᵉ Concours international de piano d'Orléans couronné par la création de Je suis Orage, commande passée à par la directrice artistique du concours, Isabella Vasilotta.

Troisième prix André Chevillion – Yvonne Bonnaud, la pianiste japonaise débute la soirée avec Une page d'éphéméride, la dernière pièce pour piano de qu'il écrit en 2005 pour le « Piano Project » d'Universal Edition, « visant à sensibiliser à la musique de leur temps les jeunes interprètes possédant quatre années d'études de leur instrument ». De fait, on y trouve tous les profils de l'écriture boulézienne : attaques et résonance réclamant la pédale sostenuto, jeu de dynamiques, figures ornementales, allure de toccata avec notes répétées, etc. : l'exécution de est au cordeau, dont la digitalité claire et la façon d'habiter le temps captivent notre écoute. Plus virtuose et risquée, l'Étude n° 5, Toccata, d' est remarquable sous le jeu incisif et avec la maîtrise technique de la jeune Japonaise qui confère brillance et fulgurance à une écriture d'une grande complexité.

On est également séduit par le toucher velouté et la beauté du phrasé de , 2ᵉ Prix Caisse des dépôts, mais aussi Prix et Résidence . D'ombre et de silence est un Prélude de Dutilleux qu'il dote de graves somptueux, parvenant à capter ce « mystère de l'instant » cher au compositeur. La pièce d' 90+ n'est pas moins étonnante sous son geste dont la souplesse féline sidère. L'extrait de la Java Suite de fait malheureusement retomber l'enthousiasme, ce thème et variations bavard et académique n'ayant ni la hauteur ni l'intérêt des deux propositions précédentes.

En alternance avec ses deux camarades, la brillante lauréate, , 1er Prix Fondation Orcom, vient une première fois sur scène avec Shéhérazade, extrait de Masques op. 34 de . L'œuvre est d'un lyrisme généreux dont elle souligne avec beaucoup d'expressivité le parcours dramaturgique qui n'est pas sans évoquer sous ses doigts la musique de Scriabine. Elle revient avec Noël extrait des Vingt Regards sur l'Enfant Jesus d'Olivier Messiaen, une pièce « qui exige des dons de coloriste », prévient le compositeur : des couleurs qui s'entendent sous les doigts de l'interprète dont la liberté du geste, l'énergie du son et l'intelligence du texte font merveille. Elle est enfin soliste aux côtés des deux autres pianistes dans la création de Je suis Orage, conviant également sur scène l' (EIC) sous la direction de .

« Un étrange animal », c'est ainsi que , qui s'adresse au public durant le changement de plateau, parle du piano trônant au centre du plateau : un instrument dont le couvercle a été retiré et qu'il a partiellement préparé (chevilles de bois et pâte à fixe dans les cordes), autour duquel vont s'affairer cinq interprètes : les trois pianistes assis côte à côte devant le clavier (, et , tous lauréats du Concours d'Orléans) et deux percussionnistes (Gilles Durot et Samuel Favre de l'EIC)  plongeant par intermittence avec baguettes et accessoires dans les « entrailles de l'animal. » À la périphérie, les douze solistes de l'Intercontemporain, debout, forment un demi cercle autour du chef.

Pas d'électricité ni d'amplification dans ce concerto pour piano d'un autre type, mais une ingénierie efficace pour faire sonner autrement l'instrument soliste. Ainsi cette superbe introduction sondant les richesses microtonales du seul piano dans un continuum sonore inouï (pianistes et percussionnistes à l'œuvre) qui rejoint l'univers du « métallophone » au 1/16ᵉ de ton conçu par le compositeur, les marteaux en sus ! Ce premier « nuage de sons » prend corps et couleur avec les cordes de l'ensemble et la harpe très active, sorte de paysage sonore sensible et vibratile où les tuyaux harmoniques confiés à Gilles Durot et aux souffleurs brouillent les hauteurs autant qu'ils en enrichissent le spectre.

Des plages répétitives, comme le compositeur aime les installer au cœur du processus, laissent l'auditeur profiter de cet univers de jungle très étrange et de la complexité des couches rythmiques qui le traversent. Même s'il est toujours au cœur de la résonance, on perd un peu la trace du piano, qui se fond dans l'énergie collective (archets au talon, hurlements des vents, scansion rythmique des peaux) dans la dernière étape haletante, sorte de surgissement sauvage rehaussé de cris que Bastien David stoppe au sommet de la transe. Le public électrisé, autant que les instrumentistes et leur chef sur scène, manifestent bruyamment leur adhésion à une musique de l'énergie, puissante et communicative, jouissive et thérapeutique.

Crédit photographique : ©

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Henri Dutilleux (1916-2013) : Prélude : D’ombre et de silence ; Elliott Carter (1908-2012) : 90+ ; Leopold Godowsky (1870-1938) : Java Suite : X In the Kraton ; Leo Gevisser, piano.
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