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Avec Orfeo et Cecilia Bartoli à Luxembourg, aller-retour pour les Enfers

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Luxembourg. Grand Auditorium de la Philharmonie. 3-XI-2024. Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : Orfeo ed Euridice / Atto d’Orfeo, extrait du spectacle Le feste d’Apollo. Avec : Cecilia Bartoli, mezzo-soprano (Orfeo) ; Mélissa Petit, soprano (Euridice, Amore). Il Canto di Orfeo. Les Musiciens du Prince-Monaco, direction : Gianluca Capuano

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Splendide réalisation musicale, en dépit de choix musicologiques discutables. et renouvellent l'approche d'un des opéras les plus connus du répertoire, et c'est bien cela qui compte.


Assurément, tout spectacle autour de mérite l'intérêt, même si l'on peut parfois contester les choix musicologiques de la diva romaine. Il était temps en tout cas, à ce stade de sa carrière, qu'elle aborde ce qu'on pourrait appeler pour sa catégorie vocale le rôle des rôles. Sans doute de manière à accommoder la partie d'Orfeo à sa tessiture de mezzo-soprano, c'est sur la version dite de Parme, datée de 1769, que s'est porté le choix de . Cette version avait été confiée au castrat soprano Giuseppe Millico, ce qui avait conduit Gluck à transposer vers le haut une bonne partie de son opéra. L'avantage de cette version, prévue initialement comme le troisième et dernier acte d'un spectacle intitulé Le feste d'Apollo, est surtout qu'elle permet de relier sans interruption l'ensemble des cinq scènes qui la composent. L'opéra y gagne en ferveur, en intensité et en émotion. Version de Parme 1769 ? En fait, pas tout à fait ! La célèbre danse des Furies avait bel et bien été composée pour Paris en 1774, et le choix d'une fin malheureuse avec le suicide d'Orphée n'est pas non plus conforme à la réalité des représentations parmesanes. Mais peu importe l'authenticité musicologique, au regard de l'efficacité et de la beauté du résultat obtenu.

Comme cela se fait de plus en plus fréquemment, l'opéra, annoncé sur le programme en « version concert », est en fait partiellement mis en espace, souvenir sans doute de la réalisation salzbourgeoise de Christof Loy présentée lors de l'été 2023. Les personnages, choristes comme solistes, se déplacent dans le vaste espace du Grand Auditorium de la Philharmonie, sobrement costumés en fonction d'un dress-code qui n'est pas forcément de la plus grande lisibilité : cravate ou pas cravate, selon les scènes, pour les messieurs du chœur ; costume noir puis blanc pour Orfeo, manière un peu naïve de figurer le deuil, puis l'espoir de la renaissance et du renouveau ; kitsch et dentelles pour Eurydice, dont on admire également la blonde chevelure ; robe et cœur rouges pour un Amore plus coquin que de raison, histoire d'introduire une note d'humour dans la sombre tragédie d'Orfeo. Les éclairages, et notamment les lampes manipulées individuellement par les choristes, sont utilisés de façon juste, efficace et pertinente.

La réalisation musicale reste de toute beauté, grâce tout particulièrement à la qualité des chanteurs de l'ensemble bien nommé , et surtout des instrumentistes des Musiciens du Prince-Monaco. La direction de Gianluca Capuano, aux petits soins pour ses chanteurs, sait également déclencher les foudres orchestrales ou créer des climats sereins et suspendus pour accompagner les moments les plus poignants de la partition. On notera la grande variété des tempi, notamment pour un « Che farò » quasiment déstructuré, démarré à une vitesse supersonique pour s'alanguir dans des lenteurs inédites. À échoient les deux rôles de soprano de la partition, ce dont elle s'acquitte sans la moindre difficulté. Au personnage mutin et espiègle d'Amore, elle oppose une bouleversante et déchirante Eurydice, gratifiant le public de remarquables sons filés. Dans un rôle qui ne fait pas appel à la virtuosité vocale dont elle s'est fait une spécialité tout au long de sa carrière, Cecilia Bartoli tarde à trouver sa voix/voie. Un vibrato excessivement lent et large gâche ses premières interventions, des coups de glotte et des sons désagréablement tubés nuisent à la musicalité de la phrase. Elle commence à trouver ses marques avec l'air « Chiamo il mio ben », chanté du bout des lèvres comme s'il s'agissait d'un long sanglot. Le reste de la soirée permet d'atteindre les sommets d'émotion et d'expressivité auxquels la chanteuse nous a habitués depuis bientôt quarante ans, en dépit de l'incontestable usure des moyens. La dernière note, censée évoquer le suicide d'Orfeo, restera sans doute dans toutes les mémoires. À cette belle prestation, qui rend hommage à un des plus beaux opéras du répertoire du dix-huitième siècle, le public de la Philharmonie de Luxembourg a réservé un accueil à nouveau triomphal, preuve à nouveau de la véritable relation qui s'est instaurée entre un public fidèle et conquis d'avance, et une des divas les plus attachantes de sa génération.

Crédit photographique : , et Cecilia Bartoli © Philharmonie Sébastien Grébille

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