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Petit dictionnaire de Schoenberg : C comme…

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ResMusica propose une série commémorative autour d’Arnold Schoenberg selon un petit et kaléidoscopique dictionnaire pour tracer un portrait par petites touches de cet homme aux mille facettes et à la personnalité complexe, cultivant avec virtuosité le paradoxe, et à plus d’un point de vue attachante, malgré son emprise écrasante. Pour accéder au dossier complet : Petit dictionnaire de Schoenberg

 

C comme Conversion et Couleurs

Conversion

Schoenberg naît dans une famille juive pratiquante et observatrice des rites hébraïques.
Toutefois, Arnold se convertit en 1898 au protestantisme, pour des raisons sans doute toute personnelles, mais aussi pratiques – comme beaucoup de Juifs d'origine (on pense à Mahler se convertissant au catholicisme) atteignant une certaine stature sociale, au sein d'une société viennoise où règne un antisémitisme certain… Mais cette démarche est aussi sinon avant tout spirituelle – par exemple la première strophe du poème Friede auf Erde de Conrad Ferdinand Meyer – mis en musique sous forme du splendide Chœur a capella op.13 fait clairement allusion à la Nativité et à la Naissance du Rédempteur.

Par le choix du sujet, l'Echelle de Jacob, inachevée et composée entre 1917 et 1922 par sa symbolique, est certes issue de l'Ancien testament mais montre l'alliance de Dieu (ou Yahvé) avec son peuple et est un des passages fondamentaux de la Genèse pour toutes les religions du Livre – le propos dramatique du livret est enrichi de personnages allégoriques (l'Âme confiée à une soprano colorature) et d'incarnations symboliques dans une imagerie héritée aussi de la théosophie ou de l'anthroposophie alors très prégnantes.

Toutefois, à la suite des féroces attaques – en partie aussi antisémites – liées au scandale du fameux concert viennois du 31 mars 1913, et à la suite d'une altercation privée du même acabit survenue en 1921, Schoenberg se pose de plus en plus la question de son positionnement religieux… et sociétal.

C'est en pleine conscience qu'une fois exilé d'Allemagne et avant son installation aux Etats-Unis, il se reconvertit le 24 juillet 1933 au judaïsme en la synagogue parisienne de la rue Copernic, avec comme témoin, le peintre . Par son engagement, et sa volonté de tenter le sauvetage des Juifs d'Europe face à la montée du nazisme fondamentalement antisémite et mortifère au sujet duquel le compositeur-penseur ne se fait aucune illusion, on comprend mal que certains ait qualifié cette reconversion de « judaïsme de remords ».

Couleurs

On peut tout d'abord faire allusion par le terme couleurs à la riche période de 1908 à 1915 où Schoenberg – alors en pleine tourmente familiale et effervescence artistique (c'est sa période d'atonalité libre) se met aussi à la peinture… et par sa juxtaposition d'à-plats et de couleurs vives et crûment opposées, cette démarche artistique aujourd'hui pleinement reconnue vient contrepointer une création musicale alors pour le moins effervescente. Couleurs (Farben) c'est aussi le titre de la troisième pièce de l'opus 16 – qui avait au départ un titre bien plus pictural « Matin d'été sur un lac »- son matériau en est un « simple » accord de cinq notes « voyageur » au sein de l'orchestre où il prend différente teintes en passant de pupitres en pupitres…. mais cette structure « simple » en apparence montre un processus compositionnel bien plus complexe, puisque comme l'a démontré , elle est en fait…une fugue cachée. L'on part donc d'un concept très structuraliste dans sa profondeur pour en arriver à un résultat purement coloriste en surface : c'est à cette source originelle que l'on peut rattacher les grandes pièces symphonique (Atmosphères ou Lontano) composées cinquante ans plus tard par (1923-2006) avec son concept de « micro-polyphonie invisible ».

Le propos de ces cinq pièces par ailleurs parfois violemment expressionnistes très discontinues (n°1 -4 et 5) n'est pas à proprement parler celui de la Klangfarbenmelodie, un principe énoncé et formalisé dans le traité Harmonielehre : la mélodie de timbres (littéralement « bruits colorés ») entend fragmenter une même ligne ou idée musicale entre des instruments ou groupes d'instruments distincts, comme par une atomisation de la pensée et une individuation de chaque note – devenant « couleur » in se. Si Schoenberg invente le concept et l'illustre plus d'une fois (les trois courtes pièces pour petit ensemble de 1911, longtemps inédites, ou l'ensorcelant début des Variations pour orchestre op.31), c'est son disciple Webern (1883-1945) qui en donnera les plus belles illustrations (Cinq pièces op.10, final de la Symphonie op.21, orchestration du ricercare de l'Offrande Musicale de J.S. Bach) ouvrant de nouvelles perspectives sonores à toute pensée musicale: on pense notamment en France, où ce concept combiné avec l'héritage debussyste fera merveille au Messiaen des Sept Haï-Kaï ou de la Chronochromie ou au Boulez d'Eclat.

Crédits photographiques : Autoportrait © center Wien

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