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Tellurique rando à Lyon : Une Symphonie alpestre

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Lyon. Auditorium Maurice Ravel. 31-X-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n° 24 KV 491. Richard Strauss (1864-1949) : Eine Alpensinfonie op. 64. Saleem Ashkar, piano. Orchestre National de Lyon, direction : Nicolaj Szeps-Snaider

Guidé par , le public lyonnais part en randonnée pour deux soirs, muni d'une carte topographique de génie : le plus long, et dernier  poème symphonique de .

Une Symphonie alpestre ne durant qu'une petite heure, fait retentir d'abord le Concerto de piano n° 24 en do mineur de Mozart, assurément le plus beethovénien des 27, jusque dans la similarité du thème principal de son premier mouvement avec celui de l'Allegro moderato qui ouvre le quatrième du Maître de Bonn. Le chef saisit avec une grande musicalité les contours d'une œuvre dont même le dernier mouvement a délaissé les atours du divertissement. Il en accuse le volontarisme, comme s'il voulait préparer son auditoire au grand chelem straussien qui va suivre. Ce qui ne l'empêche pas d'être attentif au touché délicat et délié de . Pianiste et chef de l'Orchestre de chambre de Galilée, avec lequel il ne cesse d'agir en « architecte de la paix entre juifs et musulmans de son pays », Ashkar fait effectivement entendre dans Mozart la plus humaine des voix, impression qui se confirme en bis, avec, très en situation, la première des Scènes d'enfants de Robert Schumann, Gens et pays étrangers, jouée comme un voyage intérieur rongé par l'aspiration au silence.

Principalement tourné vers l'opéra (en 1915, il est entre Le Chevalier à la rose et Ariane à Naxos), n'a composé pour l'orchestre que des poèmes symphoniques ultra-descriptifs dont deux, eu égard à leurs proportions, eurent droit au qualificatif de symphonies : Sinfonia Domestica et Eine Alpensinfonie. Ode au grand air, la seconde peut être considérée comme le complément de la première, éloge du confinement. L'intime puis l'extime. Si l'on sait que la Symphonie alpestre décrit dans les moindres détails (prairies, torrents, cascades, ranz des vaches, glacier, vertige, brouillard et orage) une journée à la montagne, du lever du soleil à son coucher, on sait moins en revanche que le compositeur ambitionnait d'y dépasser ces clichés touristiques : ce voyage physique devait se doubler d'un voyage métaphysique, qu'à la manière de ce qu'il avait déjà tenté dans son adaptation nietzschéenne d'Ainsi parla Zarathoustra, Strauss souhaita un temps titrer L'Antéchrist.

Bien qu'enregistrée par les plus grands chefs à la tête des phalanges les plus prestigieuses, pour les labels les plus renommés, Eine Alpensinfonie a toujours été regardée d'aussi haut que la montagne qu'elle entreprend de faire gravir à son auditeur par nombre de musicologues qui préfèrent randonner avec Vincent d'Indy (Jour d'été à la montagne) ou Gustav Mahler (l'Andante de la Sixième). En revanche elle a toujours fait le bonheur du discophile, ébloui là comme ailleurs par l'immense génie compositionnel de . Pourquoi résister : Une Symphonie alpestre est ce qu'on peut faire de plus colossal en terme de spectaculaire orchestral. Elle convoque environ 120 instrumentistes dont la quasi-totalité de l'instrumentarium des artisans de l'exotisme d'atmosphère : célesta, wagner tuben, heckelphone (sorte de hautbois au registre plus grave), éoliphone, machine à tonnerre, cloches de vaches et grand orgue. Réputation, coût : deux raisons qui ne sont pas sans compromettre sa programmation en concert.

Dans un auditorium Maurice Ravel qui fêtera cette saison ses 50 ans, les 104 instrumentistes du National de Lyon (avec ses solistes au complet, alors que d'ordinaire ils alternent) ont, pour cette œuvre monstre, fait appel à des supplémentaires. Directeur de la phalange depuis 2020, maîtrise bien les 22 tableaux de l'Alpensinfonie, dont il a à cœur de respecter les didascalies : comme l'a spécifié le compositeur, une fanfare de 12 cuivres s'exprime en coulisses sur Der Anstieg, les cloches de vaches dialoguent entre lointain et proximité sur Auf der Alm, dans ce qui s'apparente à un bel hommage tardif à Mahler, disparu quatre ans plus tôt, de la part d'un Strauss qui n'avait pas su apprécier à sa juste mesure le génie de son « rival ». Comme chez Mahler, l'orchestre symphonique devient orchestre de solistes. Le vertige des cordes, la dentelle de la petite harmonie (déjà bien sollicitée avant l'entracte par Mozart), le funèbre des cuivres (à eux le leitmotiv de la nature écrasante), font l'effet d'un geyser orchestral généralisé, même si l'on attendait un son un peu moins compact, plus de tellurisme des huit contrebasses, plus de bourrasque d'un éoliphone semblant s'époumoner en vain durant un Gewitter und Sturm dont les presque sept minutes amplifient le geste de prestigieux ancêtres en la matière : Rameau, Beethoven. Nicolaj Szeps-Snaider veille sur la dynamique jusqu'au point culminant d'une partition dont le climax météorologique (machine à tonnerre) se joue des bases des espaces les plus vastes, tel celui de l'immense vaisseau lyonnais. Hormis Paris, l'Auditorium de Lyon est la seule salle de concert de France à pouvoir s'enorgueillir d'un grand orgue, dont l'apparition, derrière les parois coulissantes du fond de scène, est déjà (tandis que l'orchestre fait longuement ses gammes avant l'accord) un spectacle en soi. Comme à la fin des Deuxième et des Huitième de Mahler, c'est lui qui vient couronner en majesté cette randonnée panthéiste d'assez haut vol adoubée par un long silence apaisé.

À Paris, Eine Alpensinfonie  vient de recueillir un vif succès. En Province, Toulouse avait osé au début du siècle. Vingt ans après, Lyon fait de même et croule également sous les acclamations. Il était temps de remettre les pendules de la Symphonie alpestre à l'heure. C'est ce qu'après Mikko Franck à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, vient de faire Nicolaj Szeps-Snaider, à la tête de l'Orchestre National de Lyon.

Crédit photographique : © Jean-Luc Clairet

Modifié le 4/11/2024 à 21h48

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Lyon. Auditorium Maurice Ravel. 31-X-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n° 24 KV 491. Richard Strauss (1864-1949) : Eine Alpensinfonie op. 64. Saleem Ashkar, piano. Orchestre National de Lyon, direction : Nicolaj Szeps-Snaider

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