Nicolas Altstaedt, interprète-créateur pour un concerto stimulant de Liza Lim à Munich
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Munich. Herkulessaal. 25-X-2024. Oliver Knussen (1952-2018) : Flourish with Fireworks; Cleveland Pictures ; Lisa Lim (née en 1966) : A sutured world, pour violoncelle et orchestre ; Mark-Anthony Turnage (né en 1960) : Three Screaming Popes. Nicolas Altstaedt, violoncelle ; Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks ; direction : Edward Gardner.
Dans un concert par ailleurs consacré à la mémoire d'Oliver Knussen, Edward Gardner et l'Orchestre de la Radio bavaroise brillent de mille feux dans un répertoire contemporain gratifiant.
Oliver Knussen, décédé prématurément en 2018, était à la fois un grand compositeur et un grand passeur de la musique de ses contemporains. La série Musica Viva de la Radio bavaroise lui rend hommage par deux de ses œuvres, mais aussi avec une œuvre de Mark-Anthony Turnage, qui a été son élève et dont il a défendu la musique.
Ce soir l'événement est cependant la création d'un concerto pour violoncelle de la compositrice australienne Liza Lim, sous le titre A sutured world. Le point commun avec les autres œuvres de la soirée, c'est l'usage du grand orchestre : la scène de la Herkulessaal est comble tout au long du concert, ce qui évite les changements de plateau. Le titre et la structure de l'œuvre renvoient à l'idée d'un monde fragmenté qu'il faut entreprendre de ressouder : la compositrice fait référence à l'art de réparer en embellissant, le Kintsugi des porcelaines japonaises où l'or et l'argent sont utilisés pour réparer les dégâts, mais aussi aux sutras, classiques sanskrits initialement écrits sur des feuilles de palmier cousues entre elles par un fil très fin.
L'artisan qui répare et joint les éléments brisés, c'est ici le violoncelle : Liza Lim a écrit l'œuvre pour Nicolas Altstaedt, qui en assure naturellement la création avant de l'emmener cette saison à Amsterdam et à Melbourne. C'est le lot des créations, aujourd'hui, que d'avoir besoin d'une longue liste de coproducteurs pour voir le jour, mais dans le cas présent on ne peut que s'en réjouir : non seulement la partition a une séduction immédiate, mais on ne peut qu'admirer la manière dont le soliste fait corps avec la partition qu'il incarne – ses collègues seront bien inspirés de se saisir d'une partition qui met autant leur instrument en valeur. Dès le solo d'entrée, le soliste impose sa voix : c'est du lyrisme, de la force mélodique de ce premier moment que semble faire naître la première intervention de l'orchestre ; le violoncelle, dans toute sa palette expressive et sonore, reste au centre de l'attention pendant les vingt-cinq minutes que dure l'œuvre, nouant des relations complexes avec l'orchestre qui en amplifie les ruptures et les sutures : l'orchestre écoute, mais il agit aussi en réaction aux impulsions du soliste, baume qui panse ses blessures.
Après l'entracte, on entend deux pièces qui ont en commun d'être des réactions directes à des œuvres d'art plastique. Mark-Anthony Turnage s'est inspiré pour Three Screaming Popes des tableaux de Francis Bacon, envisageant d'abord une suite de danses en référence aux tableaux de Velázquez qui avaient inspiré Bacon : il en reste un peu plus d'atmosphère dansée que ce qu'en dit le compositeur, mais surtout un véritable dialogue avec la peinture de Bacon : comment traduire en musique le cri radical mais silencieux des formes humaines de Bacon ? Turnage y parvient par les moyens de la musique.
Le concert se termine comme il avait commencé par une œuvre d'Oliver Knussen. La courte œuvre de circonstance Flourish with Fireworks, en début de soirée, est un feu d'artifice comme l'indique son titre, mais pas grand-chose de plus, en quatre minutes seulement ; plus intéressantes sont les Cleveland Pictures, réactions à des tableaux et sculptures du Cleveland Museum of Arts, façon Tableaux d'une exposition : en six ans, de 2003 à 2009, Knussen en a terminé quatre, esquissé trois autres, avant de remiser l'œuvre pour de bon ; la création n'a eu lieu qu'en 2022, au festival d'Aldeburgh et, malgré son inachèvement l'œuvre mérite d'être jouée, comme l'autoportrait chaleureux d'un musicien au carrefour de toutes les influences. Edward Gardner et l'orchestre de la Radio bavaroise s'en font les avocats avec engagement et délicatesse, tirant tout le parti d'une musique colorée et expressive, tout comme ils l'avaient fait pour la création de Liza Lim : la musique contemporaine en a besoin tout autant que le grand répertoire, et il est toujours bon qu'elle ne soit pas laissée aux seuls spécialistes.
Toute la soirée a malgré les différences d'époque et d'inspiration une tonalité commune : on est loin ici de la radicalité des jeunes gens de l'après-guerre comme des obsessions multimédia et souvent peu musicales dont beaucoup de compositeurs d'aujourd'hui font usage pour masquer leur manque d'inspiration, mais sans tomber dans le néo-néo-néo-debussysme sentimental d'une partie de la création d'aujourd'hui. Le temps n'est peut-être plus aux grandes avancées théoriques, ni aux ruptures tonitruantes, mais on peut encore faire de la musique sans tomber dans l'attrait du passéisme, avec passion et exigence.
Crédit photographique : Astrid Ackermann
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Munich. Herkulessaal. 25-X-2024. Oliver Knussen (1952-2018) : Flourish with Fireworks; Cleveland Pictures ; Lisa Lim (née en 1966) : A sutured world, pour violoncelle et orchestre ; Mark-Anthony Turnage (né en 1960) : Three Screaming Popes. Nicolas Altstaedt, violoncelle ; Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks ; direction : Edward Gardner.