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Le Concours international de piano d’Orléans fête ses trente ans

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Orléans ; Salle de l’Institut 25-X-2024
Claude Debussy (1862-1918 : Six Épigraphes antiques, pour piano à quatre mains ; En blanc et noir, pour 2 pianos ; Yves Chauris (né en 1980) : Sonate ; Rebecca Saunders (née en 1967) : to an utterance ; Stefan Wirth (né en 1975) : Faims II. Pierre-Laurent Aimard et Lorenzo Soulès, piano.

La soirée d’ouverture de la 16ᵉ édition du Concours international de piano d’Orléans invitait sur scène Pierre-Laurent Aimard et son ancien élève (et lauréat du concours 2022) Lorenzo Soulès dans un très beau programme placé sous l’égide du maître de la modernité, Claude Debussy.

Ils sont à quatre mains d’abord, la partie I confiée à Lorenzo Soulès, dans les Six Épigraphes antiques de Claude Debussy, une partition écrite entre 1914 et 1915 : piano de la maturité où le compositeur réutilise les matériaux d’une musique de scène de 1901. L’espace est limité pour les deux pianistes au sein d’une écriture qui donne de l’intérêt à chacune des parties, avec parfois des croisements de mains délicats. Le charme de la ligne pentatonique (à cinq sons ) opère dans Pour invoquer Pan, Dieu du vent d’été, jouant de sa syrinx. Sombre est la courbe mélodique en gamme par ton de Pour un tombeau sans nom quand l’espace se déploie et la texture rythmique se complexifie dans Pour que la nuit soit propice et Pour la danseuse aux crotales. Avec ses notes répétées, lancinantes, et sa mélopée de caractère oriental, Pour l’Égyptienne acquiert sous les doigts des interprètes ce timbre rare qui fascine chez Debussy. « Doux et monotone », note le compositeur dans la dernière pièce, Pour remercier la pluie au matin, interprétée avec une grande délicatesse et une belle complémentarité des quatre mains soucieuses de transparence et de légèreté de touche.

Lorenzo Soulès revient seul pour jouer Sonate d’Yves Chauris, une pièce tendue et introspective qui lui va comme un gant. Le compositeur dit l’avoir conçue à partir d’un seul accord qu’il étire, diffracte, fractionne ou resserre. Utilisant dès le départ la troisième pédale « sostenuto » (ou pédale tonale), Chauris ouvre le champ de résonance, jouant sur l’opposition duelle entre immobilité (répétition) et projection du son, registre grave et lumière des aigus auxquels Soulès donne l’éclat du métal. De l’élan presque lisztien à l’épure des dernières minutes, Soulès captive notre écoute, créant sous ses doigts ce phénomène de suspension sur lequel s’achève l’œuvre et qui nous étreint.

Pierre-Laurent Aimard prend le relai, mitaines noires aux deux mains pour faire « rugir » le piano dans to an utterance (« à un énoncé ») de la Britannique Rebecca Saunders, Lion d’Or de la dernière Biennale Musica de Venise. La pédale de résonance est généreuse, le geste cinglant et furibard, requérant paumes et avant-bras, qui balaie le clavier avec une folle énergie. Le discours s’élabore par fragments, comme les mots d’une phrase ou d’un dialogue entre deux personnages, ménageant des silences éloquents : un mode d’énonciation (narration ?) radical, exubérant et spectaculaire qui se relâche dans les dernières minutes et que Pierre-Laurent Aimard défend avec élégance et force de conviction.

Le pianisme est généreux et le geste également musclé dans Faims II, la pièce au titre énigmatique du compositeur et pianiste suisse Stefan Wirth, défendue par Lorenzo Soulès. L’intention est claire de mettre en résonance tout le clavier. L’ardeur est dionysiaque et le discours versatile, où se profile l’élan de l’improvisateur, de la note filtrée (pincée dans les cordes) à la superposition des couches sonores.

En blanc et noir, chef d’œuvre pour deux pianos de Claude Debussy, consacre cette soirée où les deux interprètes laissent apprécier la parfaite homogénéité de leur jeu et la synergie de leur geste. Œuvre de guerre, En blanc et noir est une partition en trois mouvements, composée en 1915 (contemporaine des Études et de la Sonate pour violoncelle) dont l’écriture oscille entre exaltation et désespoir. La musique coule avec une admirable fluidité et d’une seule voix sous les doigts des deux pianistes dans le premier mouvement, Avec emportement, traversé d’un souffle dynamique. Émaillé de citations et autres sonneries de clairon, le mouvement central est saisissant, «presque aussi tragique qu’un Caprice de Goya», selon les mots du compositeur qui cite le choral de Luther, Ein feste Burg. Le Scherzando final est un tourbillon aussi virtuose qu’inquiétant, merveilleusement conduit par nos deux pianistes quasi fusionnels.

Crédits photographiques : © OCI

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