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Un chef-d’œuvre du XXe siècle à Salzbourg : La Passion grecque

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Bohuslav Martinů. (1890-1959) : La Passion grecque, opéra en quatre actes sur un livret du compositeur d’après le roman Le Christ récrucifié de Nikos Kazantzakis. Mise en scène : Simon Stone. Décor: Lizzie Clachan. Costumes : Mel Page. Lumières: Nick Schliepper. Avec : Gábor Bretz, baryton-basse (Le Prêtre Grigoris) ; Sebastian Kohlhepp, ténor (Manolios) ; Sara Jakubiak, soprano (Katerina); Charles Workman, ténor (Yannakos) ; Christina Gansch, soprano (Lenio) ; ; Matthäus Schmidtlechner, ténor (Michelis) ; Alejandro Baliñas Vieites, baryton (Kostandis) ; Julian Hubbard, ténor (Panais) ; Aljoscha Lennert, soprano (Nikolio) ; Helena Rasker, contralto (Une vieille femme) ; Luke Stoker, baryton-basse (Patriarcheas) ; Łukasz Goliński, baryton-basse (Le Prêtre Fotis) ; Scott Wilde, basse (Un vieil homme) ; Teona Todua, soprano (Despinio) ; Robert Dölle, rôle parlé (Ladas) ; Matteo Ivan Rašić, rôle parlé (Andonis). Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor (chef de choeur : Huw Rhys James), Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor (chef de choeur : Wolfgang Götz) et Wiener Philharmoniker, direction : Maxime Pascal. 1 DVD Unitel. Enregistré à la Felsenreitschule au Festival de Salzburg 2023. Sous-titres : allemand, anglais, français, japonais, coréen. Notice trilingue (allemand, anglais, français) de 22 pages. Durée : 127:00

 

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Autant il est des DVD dispensables, autant celui consacré au quatrième et dernier opéra de Bohuslav Martinů mis en scène par à Salzbourg en 2023, est appelé à faire partie des « impérissables ».

De La Passion grecque l'on ne connait généralement que le titre. Pourtant ce chef-d'œuvre doit être rangé au nombre des grandes réussites lyriques du XXIème siècle. Première qualité : son livret, un modèle de lisibilité dramaturgique. Ensuite la partition, dont l'inspiration mélodique, aussi incandescente que celle de Janáček, semble couler de source. Entre ombre et lumière, La Passion grecque diffuse une empathie immédiate envers tous les acteurs de ce drame mettant en scène l'arrivée de réfugiés dans le quotidien d'un pieux village grec dont les habitants se préparent, à rejouer, comme chaque année, la Passion du Christ. En grand ordonnateur de la cérémonie, le prêtre dont la mainmise sur ses ouailles ne fait aucun doute, distribue les rôles : Jésus sera incarné par le berger Manolios, actuellement partagé entre l'amour de deux femmes du village attirées par sa beauté fuyante.

Toutes et tous, dans le sillage d'une croix éblouissante, se fondent dans une très belle scénographie de bleu et de gris. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que l'arrivée des demandeurs d'asile va faire basculer le quotidien sans histoire apparente de ce petit monde, où les bons sentiments se ramassaient jusque là à la pelle, avant de faire place aux bas instincts dissimulés sous la bien-pensance : prêcheurs, passeurs, même combat… Tout se terminera très mal pour Manolios, Christ réincarné qui perdra lui aussi la vie pour avoir préféré l'amour des autres à l'amour d'une seule. Souhaitant probablement ménager ses effets, Martinů, également son propre librettiste, avait préféré modifier en La Passion grecque le titre par trop divulgâcheur du roman de Nikos Kazantzakis: Le Christ recrucifié.

Même si l'on s'attendait à ce que allât plus loin dans sa dénonciation de l'hypocrisie en offrant par exemple à son Manolios une fin aussi radicale que celle qui conclut le très impressionnant  Don Giovanni également mis en scène à Salzbourg par Romeo Castellucci, le metteur en scène australien, après son Lear de 2017, recouvre d'un immense suaire les grandes largeurs de la Felsenreitschule. Excepté sa galerie supérieure, dont les alvéoles seront réservées aux migrants parqués dans la montagne, le lieu mythique, où flottent encore les fantômes d'autres fuyards (ceux de La Mélodie du bonheur), devient un paysage intemporel percé de fenêtres aux apparitions et d'excavations pouvant servir de malle aux fantasmes (le rêve de l'Acte III, la lumineuse chute d'eau de l'Acte II), de tombe, ou d'espace providentiel pour les graffitis racistes. Une lumineuse scénographie, que la caméra de Davide Mancini peine toutefois à capter.

Autour du séduisant Manolios christique de , la distribution est superbe, que ce soient les amoureuses (la Katerina de Sarah Jakubiak, la Lenio de , aussi ardentes qu'ambivalentes), le Marchand du toujours stylé , ou le Pope glacial de Gábor Bretz. Du côté des réfugiés, on remarque le Prêtre de Łukasz Goliński (qui profère la plus belle phrase de l'opéra : « L'homme est comme un arbre : il a besoin de terre »), le vieil homme bouleversant de , et son pendant la vieille femme d'. Et bien sûr, le chœur scindé en deux communautés, pour lequel Martinů a composé les pages les plus admirables (on devine où penche le cœur du compositeur) de cet opéra aux allures d'oratorio.

Les Wiener Philharmoniker, dirigés par , font luxueusement entendre, dans la langue de Shakespeare, la seconde mouture de La Passion grecque, d'abord créé en anglais en 1957 à Londres, puis en allemand à Zürich en 1961, après avoir été révisé par Martinů, dont la version originale tchèque ne sera présentée qu'en 1999 à Bregenz. Aux prodigieuses qualités de La Passion grecque, on en ajoutera bien évidemment une ultime : sa modernité indémodable, le brûlant de son propos politique ayant de tristes jours devant lui, l'humanité n'ayant toujours pas trouvé de solution à la question de la migration.

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Bohuslav Martinů. (1890-1959) : La Passion grecque, opéra en quatre actes sur un livret du compositeur d’après le roman Le Christ récrucifié de Nikos Kazantzakis. Mise en scène : Simon Stone. Décor: Lizzie Clachan. Costumes : Mel Page. Lumières: Nick Schliepper. Avec : Gábor Bretz, baryton-basse (Le Prêtre Grigoris) ; Sebastian Kohlhepp, ténor (Manolios) ; Sara Jakubiak, soprano (Katerina); Charles Workman, ténor (Yannakos) ; Christina Gansch, soprano (Lenio) ; ; Matthäus Schmidtlechner, ténor (Michelis) ; Alejandro Baliñas Vieites, baryton (Kostandis) ; Julian Hubbard, ténor (Panais) ; Aljoscha Lennert, soprano (Nikolio) ; Helena Rasker, contralto (Une vieille femme) ; Luke Stoker, baryton-basse (Patriarcheas) ; Łukasz Goliński, baryton-basse (Le Prêtre Fotis) ; Scott Wilde, basse (Un vieil homme) ; Teona Todua, soprano (Despinio) ; Robert Dölle, rôle parlé (Ladas) ; Matteo Ivan Rašić, rôle parlé (Andonis). Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor (chef de choeur : Huw Rhys James), Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor (chef de choeur : Wolfgang Götz) et Wiener Philharmoniker, direction : Maxime Pascal. 1 DVD Unitel. Enregistré à la Felsenreitschule au Festival de Salzburg 2023. Sous-titres : allemand, anglais, français, japonais, coréen. Notice trilingue (allemand, anglais, français) de 22 pages. Durée : 127:00

 
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