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La vie de la famille Busch de Siegen en Westphalie ressemble au quotidien d'un conservatoire : Fritz deviendra chef d'orchestre, Hermann violoncelliste, Heinrich pianiste et compositeur, Willi sera comédien, et Adolf (né en 1891) va conquérir le monde comme violoniste. Professeur au Conservatoire de Berlin à l'âge de 27 ans il fonde le Quatuor Busch et joue le répertoire des sonates avec le jeune pianiste Rudolf Serkin, son futur beau-fils.
C'est grâce à la baguette de son frère Fritz que sa Symphonie en mi mineur va s'imposer. La création a lieu en novembre 1927 au Carnegie Hall de New York et la presse lui atteste de la qualité, tout en regrettant ce brin d'originalité qui la distinguerait. Son succès est plutôt modeste, vu que la star de la soirée s'appelle Yehudi Menuhin, l'enfant prodige de onze ans qui éblouit l'assistance avec du Mozart et du Beethoven.
Après New York et Londres, Busch le violoniste essaie de conquérir le public de Paris, mais il se voit confronté à un désaveu général. C'est après les deux guerres contre l'Allemagne que Paris cultive toujours son réflexe antigermanique. Mais quelques violonistes prestigieux du Conservatoire de Paris imposent Adolf Busch comme soliste des « Concerts Poulet », et la soirée du 8 janvier 1928 dans la salle Pleyel avec le concerto de Beethoven suscite l'enthousiasme général.
De retour à Bâle, son domicile depuis 1927, le couple Busch donne une réception où l'on invite plus de 100 personnes du monde intellectuel et artistique, avant que les tournées européens reprennent de plus belle : L'Allemagne, L'Autriche, et même Leningrad…
Sous la tutelle du maestro Yehudi Menuhin
Fin avril 1929 : la famille Menuhin assiste à Berlin au concert du Quatuor Busch. Yehudi, 13 ans, se présente au maître en lui jouant une partita de Bach. Affaire conclue : Busch s'occupera dorénavant de son éducation musicale, en lui proposant même de venir habiter chez lui à Bâle, mais les parents s'y opposent. On s'installe en famille dans un quartier à proximité. Le concept du pédagogue est rigoureux : son protégé jouera moins souvent en public et le travail quotidien en duo avec le pianiste Hubert Giesen fait partie des obligations. Même si le jeune élève regrette par moments ses leçons précédentes avec Georges Enescu où l'on célébrait la liberté de l'interprétation, il accepte bon gré mal gré le rigorisme de son nouveau maître. La fidélité à l'Urtext (le texte original) requiert une lecture méticuleuse de la partition, une discipline rythmique où les épanchements avec leurs rubati sont prohibés. Busch impose à son élève quotidiennement la torture du métronome !
Moshé Menuhin ne dissimule pas sa crainte que le génie de son fils soit étouffé par l'austérité de ce maître. Aussi sérieuses et astreignantes que se déroulent les leçons, Busch tient d'autre part à ce que son élève se dégourdisse les jambes, qu'il aille jouer au foot ou qu'il fasse du badmington avec sa fille Irene, afin qu'il vive une adolescence naturelle. Papa par contre ne sait rien de mieux que de retenir son fils de toute activité sportive qui mettrait en danger ses mains, si bien que les rapports entre Moshé Menuhin et Adolf Busch finissent par se détériorer.
Malgré les frictions entre les adultes, le jeune Yehudi réussit à nouer des rapports amicaux avec la famille Busch dont fait partie aussi le pianiste Rudolf Serkin. Le jour où l'adolescent déclare à Irene qu'il l'épousera dès qu'il sera grand, elle lui réplique en souriant : « Non je ne peux pas, je vais me marier avec Rudi » (leur mariage aura lieu en 1935 et l'un de leurs fils sera le pianiste Peter Serkin).
Quels que soient les mérites de cet enseignement, le souvenir des leçons avec Enescu ne s'est pas estompé. Enescu, invité par Moshé Menuhin, vient rendre visite aux Busch à Bâle en 1930, en jouant sa Deuxième sonate avec le jeune Yehudi dont il approuve les progrès. Enescu, c'est la poésie en musique, Busch c'est de la prose, tel le dictum du père Menuhin. Après la période de Bâle, Menuhin sera de nouveau confié à Enescu, en vue de développer l'autre versant de la personnalité musicale : la liberté, la fantaisie, la spontanéité… Sir Yehudi Menuhin se souviendra de ce double impact: « Avec Busch j'étais mentalement et musicalement comme ‘enharnaché'. Je devais respecter les points et les coulés et maintenir le tempo initial durant tout le mouvement (…) Il y avait des points curieux, amusants qui distinguaient les deux écoles d'Enescu et de Busch ; on pourrait les appeler l'école française et l'école allemande. La dernière évite coûte que coûte l'usage de la corde vide, parfois sans tenir compte ni du contexte harmonique ni des commodités. Mais à l'occasion Busch l'acceptait quand-même si elle devait résonner plus longtemps à côté des autres notes pour soutenir l'harmonie verticale (…) Je me souviens d'avoir étudié la sonate en sol-mineur de Bach avec Busch et de l'avoir présenté plus tard à Enescu. J'attaquais la fugue avec un ‘forte', et Enescu me demandait pourquoi je croyais qu'elle devait commencer de manière si forte et autoritaire. Je lui répondais (ne voulant pas trahir Busch) que je considérais que toute fugue devait commencer ‘forte' (…), qu'en annonçant un nouveau thème il devait s'imposer avec autorité. »
Enescu suggérait que Bach aurait commencé sa fugue en tâtonnant, dans un esprit de recherche – comme le tisserand qui commence une tapisserie avec un seul fil sans prétendre d'y voir déjà la tapisserie accomplie (…) Je dirais qu'Enescu avait raison. Busch était plutôt attaché à la lettre et Enescu à l'esprit (…) mais tous les deux se tenaient solidement sur leur fondement – chacun comme personne d'une intégrité sans faille, d'une conviction absolue et d'un dévouement sans bornes. »
L'artiste allemand anti-nazi
Lors de la saison 1932-33, Busch se trouve au faîte de sa carrière de soliste. L'Allemagne le considère comme son plus grand violoniste, le seul vrai interprète de Beethoven et de Brahms, et ses compositions sont éditées et jouées partout, un artiste étoile à côté de Furtwängler, Walter ou Backhaus. Adolf et son frère Fritz Busch se produisent en 1932 avec succès à Berlin, Hambourg, Aachen, Essen, Düsseldorf, Karlsruhe, Halle, Mannheim, Leipzig et Munich, mis à part les concerts donnés dans les villes suisses. Avant de partir pour une tournée en duo à travers l'Italie, Busch et Serkin donnent une grande réception dans leurs deux maisons contigües nouvellement construites à Riehen/Bâle. Quant au maestro Fritz Busch, sa renommée internationale comme meilleur chef d'orchestre l'a conduit en 1932 à Dresde où il a établi la fameuse Semperoper comme lieu du Gesamtkunsterk dans l'esprit de Wagner et de Richard Strauss. Mais ses contacts avec les musiciens juifs lui réservent en 1933 des inconvénients, jusqu'au jour où une pétition adressée au Führer demande son éloignement de Dresde. Bruno Walter subira le même destin à Berlin. L'on ne retient plus que les artistes « fidèles à la ligne» comme Hans Pfitzner, Richard Strauss, Werner Egk…
Malgré ces travers, Adolf Busch et Rudolf Serkin commencent une série de concerts de chambre à travers l'Allemagne, incluant le Quatuor Busch. Mais à côté des auditeurs enthousiastes, la compagnie rencontre de nombreux actes de réprobation. Après un dernier concert du quatuor à Berlin, Hermann Busch, le violoncelliste, propose d'annuler tous les engagements ultérieurs en Allemagne. On retourne à Riehen d'où Adolf Busch fait savoir par lettre aux organisateurs de ses concerts déjà programmés qu' »en voyant ses compatriotes chrétiens agir contre les juifs allemands, visant leur éloignement de la profession et le saccage de leur honneur », il soit à bout de ses forces, trouvant nécessaire d'annuler ses tours de concerts en Allemagne.
En 1933, le festival du centenaire de Brahms à Hambourg, officiellement patronné par le Führer, sollicite la participation du Professor Busch et de son quatuor, sauf que le quintette avec piano devrait être remplacé, Rudolf Serkin, demi-juif, étant indésirable. Busch répond illico par télégramme : « Scandalisé par vos démarches. Naturellement je ne jouerai pas ! » Après quoi, la presse nazie lance ses invectives contre ce musicien déloyal qui s'installe confortablement en Suisse.
A Riehen, les couples Busch et Serkin participent à la vie culturelle du village et de la ville de Bâle lors de leurs brefs séjours entre les tournées dans le monde, et Riehen les remercie en leur octroyant la citoyenneté.
Le 31 octobre 1939, Busch donne son concert d'adieu à Bâle sous la conduite du compositeur Fritz Brun avec le concerto de Mendelssohn. Puis c'est le départ vers l'Amérique où Busch et Serkin continueront à se produire, tout comme le Quatuor Busch.
Busch reprend les enseignements dont nous avons de nombreux témoignages. Ses élèves soulignent la discipline de l'archet où le maître a recours à l'école de Joseph Joachim, ils parlent de son oreille qui insiste sur les tons absolus, non tempérés (sol dièse n'est pas la bémol !) etc. Domicilié à Guilford /Vermont, Busch fonde en 1950 avec Serkin son Académie d'été à Marlboro, en pleine campagne, où de nombreux futurs solistes viennent se faire inspirer. Tous les instruments y trouvent leurs formateurs, et les concerts de 17h00 tous les dimanches sont de mise. Néanmoins, Adolf Busch mène une vie de nomade comme soliste en Amérique, en Europe, et en Argentine où il retrouve le monde allemand : musiciens et mélomanes impliqués dans la culture nazie ou alors des réfugiés ayant quitté le Reich encore à temps. A Buenos Aires, son interprétation du Concerto de Beethoven suscite l'émerveillement du jeune Daniel Barenboim (7 ans) qui dira plus tard : « C'était la première fois que j'avais rencontré une grande figure internationale. » Ayant entendu ce garçon prodige au piano, Busch lui conseille de jouer en public.
Adolf Busch meurt d'une attaque cardiaque en juin 1952 à Guilford. La presse internationale commente la mort du violoniste en rendant hommage à sa personnalité, comme le New York Times : « Un musicien d'une honnêteté robuste, d'un niveau sublime, sans compromis, M. Busch n'avait que du mépris pour les paillettes et le vernis brillant de la virtuosité. Son intention était toujours de pénétrer jusqu'au cœur de la musique. »
S O U R C E S
Tully Potter, Adolf Busch, The Life of an Honest Musician, 2 vol., Toccata Press 2010 GB (avec 2 CDs: extraits de ses enregistrements et de ses compositions) – les citations traduites sont tirées de ces 2 volumes
Moshé Menuhin, Die Menuhins, Schweizer Verlagshaus, 1985 Zürich
D I S C O G R A P H I E
Le répertoire classique (concertos, duos, quatuors ou trios) et plusieurs de ses compositions sur disque (accessibles sur YouTube) dont la Fugue de la Sonate en sol mineur de Bach citée ci-dessus (enregistrée en janvier 1934)
Franz Schreker, « fidèle à la ligne »?
Merci pour votre vigilance et désolés pour ce lapsus