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Genève. Grand Théâtre. 19-X-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : La Clemenza di Tito, opéra seria en 2 actes sur un livret de Caterino Mazzolà d’après Pietro Metastasio. Mise en scène : Milo Rau. Décors : Anton Lukas. Costumes : Ottavia Castellotti. Lumières : Jürgen Kolb. Vidéos : Moritz von Düngern. Dramaturgie : Giacomo Bisordi, Clara Pons. Avec Bernard Richter, Tito ; Serena Farnocchia, Vitellia ; Yuliia Zasimova, Servilia ; Maria Kataeva, Sesto ; Giuseppina Bridelli, Annio ; Justin Hopkins, Publio. Chœur du Grand-Théâtre de Genève (Chef de chœur : Mark Biggins). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Tomáš Netopil.
Présentée en version télévisée sans public pour cause de Covid en février 2021, la production de La Clemenza di Tito de Wolfgang Amadeus Mozart mise en scène par Milo Rau revient sur les planches du Grand Théâtre de Genève après avoir fait halte à Vienne, à Anvers, à Gand et à Luxembourg en octobre 2023.
La majeure partie des opéras traite de mensonges, de vengeances, de meurtres, d'assassinats, de trahisons, d'incestes, de viols, d'adultères et autres délits majeurs dont la liste exhaustive dépasse l'imagination humaine. Et voici que Metastasio écrit un livret ayant pour sujet un homme, Titus, empereur romain héritant du pouvoir de son père Vespasien, dont le court règne fut placé sous le signe de son amour pour la paix. Ce livret, commandé en 1734 par Antonio Caldara (1670-1736) fut depuis mis en musique par près d'une cinquantaine de compositeurs jusqu'en 1802. C'est dire si le propos de la clémence inspirait le XVIIIᵉ siècle. Le metteur en scène Milo Rau s'empare de ce sentiment, noble et beau s'il en est, pour le déconstruire et entamer ainsi l'essence même de cet opéra. Il se sert de cette œuvre comme d'un prétexte pour faire passer un message militant, certes respectable, mais peut-être réducteur. Il nous montre deux sociétés vivant côte à côte. Celle de Titus, dominante, et celle du peuple, par antithèse, dominée. Pour exacerber un propos, le théâtre peut être le lieu providentiel des exagérations, des excès. Toutefois, dans La Clemenza di Tito, l'opéra tel que l'a composé Mozart, la lutte pour l'accession au pouvoir se passe au niveau d'une société de proches de ce même pouvoir.
Autour de l'intrigue et des protagonistes de La Clemenza di Tito de Mozart, Milo Rau fait graviter un groupe de figurants qu'il a recruté dans les rues de Genève. Des gens tels que ceux qu'on peut côtoyer chaque jour : un poseur de moquette qui nous racontera avoir posé le tapis rouge du Grand Théâtre de Genève, une femme congolaise prêchant la parole du Christ dans les rues, le fils d'un rescapé du génocide arménien, un photographe, un migrant turc… Au total, dix-huit personnes qui n'ont rien à faire avec l'intitulé de la soirée à laquelle nous sommes invités, soit La Clemenza di Tito de Wolfgang Amadeus Mozart. Des vidéos (Moritz von Düngern) relatant le curriculum vitae de chacun de ces personnages sont projetées sur un écran en fond de scène. Pendant ces projections, les chanteurs et l'orchestre continuent de jouer leur partie sans qu'on puisse comprendre ce qu'ils chantent. Seuls les commentaires des figurants sont surtitrés. Ce qui se dit dans l'opéra n'a pas d'importance pour le metteur en scène suisse. On se filme, on se photographie, on écoute la radio, on simule des émeutes. On parasite. De plus, avec le peu de différenciation des costumes (Ottavia Castellotti), le manque de caractérisation des personnages de l'intrigue, la profusion scénique de ces figurants anecdotiques, les scènes deviennent chaotiques.
Souvent, pour écouter la musique, les chanteurs, il faut fermer les yeux. Alors, alors seulement, Mozart nous envahit. Par l'Orchestre de la Suisse Romande plein de nuances, de légèretés, de soin, dirigé de main de maître par un Tomáš Netopil attentif et subtilement musical. Le geste ample, le corps souple, la main agile, il est tout à sa musique. Devant lui, le Chœur du Grand Théâtre de Genève s'affirme dans sa vocalité. Parfois peut-être aimerait-on qu'il soigne mieux sa diction d'ensemble afin qu'on puisse en saisir les mots.
Les voix sont là, en nombre et en qualité. Le plateau vocal réuni pour ce spectacle, légèrement modifié par rapport à la prestation “covidienne“ de 2021, est d'une excellente tenue avec la confirmation d'une véritable mezzo-soprano, Maria Kataeva (Sesto), dont nos lignes s'étaient déjà fait l'écho favorable en 2015: beauté du timbre, assurance, excellente technique, perfection des vocalises. La mezzo captive l'auditoire dans chacune de ses interventions. Peu mise en valeur par une direction d'acteurs terne, elle impose sa présence par sa seule voix. Même chantant dos au public chaque note, chaque intonation colle parfaitement avec l'esprit du personnage. Un régal. Dans son «Parto, parto, ma tu, ben mio» au premier acte, elle délaisse le côté larmoyant, souvent entendu dans cet air pour donner le change à une déception plutôt qu'à un déchirement excessif, voire à la supplique appuyée qu'on entend alors plus loin lorsqu'elle lance un dramatique «Guardami, e tutto oblio»: une intelligence d'interprétation qu'on retrouvera tout au long de la soirée. A ses côtés, la soprano Serena Farnocchia (Vitellia) s'affaire à grands pas sur la scène, empruntée dans un costume sans grâce. Le manque de direction d'acteurs laisse la soprano italienne livrée à elle-même. Sa voix reste belle même si ses vocalises sont parfois approximatives. Malgré un manque flagrant de puissance dans le registre grave, son air final, «Ecco il putto, o Vitellia» l'a montrée plus à l'aise qu'en début de soirée. On aime le chant fruité de la soprano Yuliia Zazimova (Servilia) qui, dans le court duettino du premier acte laisse augurer le meilleur à venir. C'est dans son air final, «S'altro che lagrime», qu'en l'espace de quelques mesures, elle apporte un rayon de soleil bienvenu dans ces tableaux scéniques sombres et encombrés. La mezzo Giuseppina Bridelli (Annio), peu mise à son avantage dans sa combinaison de garagiste, n'en distille pas moins un chant charmant débordant d'énergie. Quand bien même sa voix peut avoir de magnifiques accents, la basse Justin Hopkins (Publio) ne peut donner pleinement l'expression de son talent du fait d'une agilité vocale encore limitée. Quant à Bernard Richter, déjà en délicatesse avec Tito lors de sa création genevoise en février 2021, près de quatre ans plus tard les choses ne se sont pas arrangées. La longueur et la difficulté du rôle ne conviennent plus à la voix quelque peu détimbrée du ténor suisse. S'emparant de son personnage avec vaillance, il occupe l'espace scénique avec une aisance théâtrale qu'on ne retrouve malheureusement pas dans sa vocalité souvent rude. Avec des aigus arrachés à la limite de la justesse, il peine à exprimer la sensibilité du personnage.
Dans les dernières répliques de l'opéra, Titus, après un moment d'hésitation déclame «Tutto so, tutti asolvo, e tutto oblio». Peut-être alors est-ce sagesse d'être à ses côtés et de dire aussi, concernant ce spectacle: « Je sais tout, je vous absous tous, et j'oublie tout !»
Crédit photographique : © Magali Dougados / GTG
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Genève. Grand Théâtre. 19-X-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : La Clemenza di Tito, opéra seria en 2 actes sur un livret de Caterino Mazzolà d’après Pietro Metastasio. Mise en scène : Milo Rau. Décors : Anton Lukas. Costumes : Ottavia Castellotti. Lumières : Jürgen Kolb. Vidéos : Moritz von Düngern. Dramaturgie : Giacomo Bisordi, Clara Pons. Avec Bernard Richter, Tito ; Serena Farnocchia, Vitellia ; Yuliia Zasimova, Servilia ; Maria Kataeva, Sesto ; Giuseppina Bridelli, Annio ; Justin Hopkins, Publio. Chœur du Grand-Théâtre de Genève (Chef de chœur : Mark Biggins). Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Tomáš Netopil.
Que j’ai bien fait de rester chez moi !