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Sancta à Stuttgart, la radicalité en toc de Florentina Holzinger

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Stuttgart. Opernhaus. 6-X-2024. Sancta, une performance opératique de Florentina Holzinger. Avec Sancta, opéra en un acte de Paul Hindemith et August Stramm (Caroline Melzer, Susanna ; Andrea Baker, Klementia ; Emma Rothmann, Vieille nonne), et des pièces de Rachmaninov, Gounod, Bach et Johanna Doderer. Mise en scène et chorégraphie : Florentina Holzinger. Choeur de l’Opéra de Stuttgart ; Staatsorchester Stuttgart, direction : Marit Strindlund

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Avec des moyens illimités, Sancta échoue à force de clichés à dépasser la célébration complaisante du génie de sa créatrice, .


La première chose qu'on voit dans le nouveau spectacle de la chorégraphe et performeuse autrichienne , c'est l'argent : en des temps où tant d'institutions culturelles des plus méritantes sont fragilisées par leurs finances, elle a visiblement eu pour ce spectacle un budget à peu près illimité : des performeuses à foison, des décors, des artifices scéniques, un orchestre en fosse et un chœur sur scène, des partitions écrites ou arrangées pour elle – la liste des financeurs est longue et comme on l'imagine internationale. La production du spectacle, elle, est assurée par le théâtre de Schwerin, dans le Nord de l'Allemagne, où il a été créé, et par l'Opéra de Stuttgart : comme pour montrer qu'elle n'est pas dupe, elle ne manque pas d'aligner les clichés sur les maisons d'opéra : il est bien facile de décrire le monde de l'opéra comme fermé et rétrograde quand on y trouve de l'argent et une tribune. Là où est l'argent est le pouvoir : choyée depuis le début de sa carrière par les institutions les plus assises, incarne l'art officiel d'aujourd'hui.

Le prétexte lyrique de la soirée, c'est le court opéra Sancta Susanna de Paul Hindemith, 25 minutes à peine, qu'elle place au début de la soirée comme pour s'en débarrasser au plus vite, sans aller plus loin qu'une mise en place linéaire. La musique, visiblement, n'intéresse pas du tout la démiurge Holzinger : un fonds sonore, oui, mais pas du tout un art avec sa force propre qui mériterait qu'on entre en dialogue avec lui. Il faut bien avouer que la force transgressive de l'opéra de Hindemith autour du désir irrépressible des femmes prises dans le carcan des convenances s'est bien émoussée, et une Sœur Klementia aussi criarde (Andrea Baker) ne rend pas l'écoute particulièrement agréable. Ce prélude une fois expédié, la musique classique garde un peu de place, sous la férule de la compositrice Johanna Doderer, à travers ses propres compositions très New age sur l'ordinaire de la messe, mais aussi à travers des arrangements tout aussi New age : on lui sacrifie sans remords Rachmaninov ou Gounod, mais ce qu'elle fait du Kyrie de la Messe en si de Bach est d'une vulgarité impardonnable. La musique n'est jamais ici que toile de fond, sans que jamais la chorégraphe-démiurge ne nourrisse sa réflexion des structures musicales des pièces que le chœur et l'orchestre de l'Opéra de Stuttgart interprètent, et on sent bien que le gros son du DJ Born in Flamez lui va beaucoup mieux que Bach ou Hindemith, qui n'inspire à la chorégraphe aucune vision scénique d'aucune sorte.

Dans sa confrontation entre religion et féminisme, entre corps et esprit, entre nudité et symboles chrétiens, Holzinger pouvait s'attendre à quelques remous du côté de l'Église – c'est une tradition autrichienne, de Thomas Bernhard à Elfriede Jelinek, et quelques évêques n'ont pas manqué de répondre à l'appel. Dans la salle pourtant – comme dans les représentations précédentes du spectacle -, pas un remous : en partie parce que quelques-uns peuvent célébrer leur propre radicalité dans le miroir que leur offre le spectacle, mais surtout parce que le public a déjà vu tout cela mille fois.


Entendons-nous bien : les ambitions féministes, déconstructivistes, queer sous toutes ses formes qu'affiche ce spectacle ne nous apparaissent pas moins essentielles qu'aux conceptrices du spectacle ou qu'à ceux qui les fêtent. De même, la nudité, marque de fabrique de Holzinger, est ici parfaitement en situation, pas plus ostentatoire que choquante, entre nudité originelle du paradis terrestre et affirmation de sensualité comme refus des contraintes et comme libération des corps. Mais l'inarticulation du discours, le clinquant pompeux des moyens affichés, la platitude des messages rabâchés (notamment pendant une dernière demi-heure interminable), tout cela n'est pas à la hauteur de ces bonnes intentions. Les meilleurs moments en sont ceux qui ne sont ni musicaux ni dansés, mais parlés : ces moments où l'expérience individuelle des performeuses est au premier plan sont parfois émouvants, mais on a le sentiment de les avoir déjà vus dix fois.

La pièce se veut une œuvre collective – « Opernperformance von Florentina Holzinger », mais aussi « Performance de et avec » l'ensemble de la distribution, comme si toutes étaient égales, une échappatoire au règne de l'auteur que la danse contemporaine pratique depuis longtemps sans que les structures de pouvoir et de domination y soient moins fortes pour autant. Holzinger est sur scène avec les autres, non distinguable d'eux, mais cela n'y change rien : la célébration de son génie créateur est trop au centre de la soirée pour ne pas éveiller la méfiance. Le monde de l'opéra a décidément bien du mal à sortir du syndrome du génie.

Crédits photographiques : © Matthias Baus

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