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L’Ancêtre de Saint-Saëns réapparaît à Monte-Carlo

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Monte-Carlo. Auditorium Rainer III. 06-X-2024. Camille Saint-Saëns (1835-1921). L’Ancêtre. Opéra en trois actes sur un livret de Lucien Augé de Lassus. Version de concert. Jennifer Holloway, Nunciata ; Gaëlle Arquez, Vanina ; Hélène Carpentier, Margarita ; Julien Henric, Tébaldo ; Michaël Arivony, Raphaël ; Matthieu Lécroart, Bursica. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et Chœur philharmonique de Tokyo, direction Kazuki Yamada.

  • Monaco
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    Plus d'un siècle après sa création et ses dernières représentations à Monte-Carlo, l'opéra de qui avait depuis sombré dans l'oubli renaît enfin dans la cité monégasque, ressuscité par l' et le . 

    Si l'intérêt pour les arts et la création demeure aujourd'hui et depuis de nombreuses décennies toujours aussi vif au sein de la Principauté, il est bon de rappeler que le prince Albert 1er joua au début du XXᵉ siècle un rôle de premier ordre dans ce domaine et en particulier dans celui de l'opéra. Ami de Massenet et de Saint-Saëns, on lui doit la commande et la création de plusieurs de leurs ouvrages lyriques, dont certains tombés injustement dans l'oubli. Après Déjanire exhumé en 2022, l' et le redonnent vie à un autre opéra de Saint-Saëns, L'Ancêtre.

    Donné en version de concert, non pas à l'Opéra Garnier, lieu de sa création en 1906, mais à l'Auditorium Rainier III, l'ouvrage en trois actes ne puise pas cette fois son sujet dans les thèmes mythologiques ou bibliques, mais dans une intrigue « à la Shakespeare » imaginée par le librettiste Lucien Augé de Lassus, opposant deux familles dans la Corse du temps de Napoléon. Une histoire de sombre vendetta dont le personnage-titre, « l'ancêtre », n'est pas un aïeul disparu exerçant une emprise sur les vivants, comme on pourrait s'y attendre, mais une vieille femme aveugle dont l'autorité obstinée agit sur sa descendance. Alors que l'ermite Raphaël tente d'apaiser les haines et de rompre le cycle de vengeances réciproques entre les Fabiani et les Pietra Nera, la vieille Nunciata refuse la réconciliation, attisant la violence. Son petit-fils assassiné, elle intime l'ordre à sa petite-fille Vanina, sœur du défunt, de venger sa mort en tuant le criminel du camp adverse, Tebaldo dont elle est secrètement amoureuse, alors que Tebaldo a donné son cœur à Margarita, sœur de lait de Vanina. Face à sa réticence, Nunciata prendra elle-même le fusil mais sa cécité lui fera rater sa cible, tuant Vanina.

    Par sa concision et la luxuriance de sa partition musicale, L'Ancêtre déroule un fil dramatique d'une rare tension, en particulier à partir de l'acte II. Saint-Saëns fait preuve dans cet ouvrage d'une inspiration et d'une efficacité dans son dimensionnement comme dans son traitement musical, saluées à juste titre en son temps par Gabriel Fauré. La variété des effets, des couleurs orchestrales, l'absence de longueurs, la vitalité de sa musique excluent l'ennui, et offrent des moments de grande beauté. L'acte I commence dans un cadre bucolique où chante l'alouette et bourdonnent les abeilles, évocation idyllique illustrée par les flûtes et les cordes et chantée par dans le rôle de l'ermite Raphaël. Le lapidaire et sans appel « non ! » de l'aïeule en réponse à l'exhortation des deux camps, vient à la fin de cet acte en assombrir le tableau, et annonce le suivant, où Nunciata déchaîne la tempête de sa folie vengeresse. L'acte III offre de superbes moments vocaux, solos, duos… jusqu'à un quatuor vocal au lyrisme chavirant. Surprise finale, Saint-Saëns confie au dépouillement du quatuor à cordes l'accompagnement de la mort de Vanina, avant de conclure par un tutti, bref moment orchestral où dans un geste ample, cors, timbales et harpes se joignent à l'ultime respiration des cordes. 

    Le chef , à la tête de l'OPMC et du Chœur philharmonique de Tokyo de tournée en Europe, dont on salue les interventions en tous points remarquables, rend justice, par la finesse de sa direction et sa belle vision d'ensemble, à toutes les particularités de la partition. Parmi les six solistes, trois sont des habitués des productions du . qui nous avait impressionnés dans le rôle de Hulda de César Franck, incarne avec le même engagement physique et vocal le rôle de l'aïeule Nunciata, exprimant sa fureur vengeresse avec une énergie farouche. , (virevoltante Sophie dans Werther) est remarquable dans ses souples et langoureuses vocalises au début de l'acte III, et prête la plastique de sa voix et le belle présence de son timbre à Margarita. (remarqué dans les productions précitées) tient sa juste place en porcher Bursica, sa voix au timbre mat allant comme un gant à l'humilité de son personnage. Quant aux nouveaux arrivés, le ténor tient sans excès expressif le rôle de Tebaldo par la projection naturelle de sa voix et l'éclat lumineux de son timbre, le baryton à la diction d'une clarté exemplaire et au timbre somptueusement chaleureux donne une noble tenue au personnage de l'ermite Raphaël. que l'on avait saluée dans le rôle titre de Carmen ces dernières saisons, met toute l'étendue de sa sensibilité au service de Vanina qu'elle incarne de sa voix de mezzo-soprano au timbre riche et profond. 

    Comme il en a été pour Déjanire, L'Ancêtre a été enregistré et va faire l'objet d'une publication sous forme de livre-CD, voué désormais à ne plus disparaître sous la poussière du temps. 

    Crédits photographiques © Alice Blangero et Frédéric Nebinger-Direction de la communication (photo d'ensemble)

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    Monte-Carlo. Auditorium Rainer III. 06-X-2024. Camille Saint-Saëns (1835-1921). L’Ancêtre. Opéra en trois actes sur un livret de Lucien Augé de Lassus. Version de concert. Jennifer Holloway, Nunciata ; Gaëlle Arquez, Vanina ; Hélène Carpentier, Margarita ; Julien Henric, Tébaldo ; Michaël Arivony, Raphaël ; Matthieu Lécroart, Bursica. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et Chœur philharmonique de Tokyo, direction Kazuki Yamada.

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