David Grimal et Les Dissonances à la Philharmonie : Berg et Bruckner comme chant du cygne
Plus de détails
Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 5-X-2024. Alban Berg (1885-1935) : Concerto pour violon et orchestre « À la mémoire d’un ange » ; Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 7 en mi majeur. Les Dissonances, violon et direction : David Grimal
Cette fois-ci, c'est fini ! Annoncées souffrantes à de nombreuses reprises, mais renaissant chaque année de leurs cendres pour notre plus grand bonheur, Les Dissonances tirent leur révérence avec ce dernier concert parisien dédié à Alban Berg et Anton Bruckner.
Depuis maintenant une vingtaine d'années, Les Dissonances conduites par David Grimal, poursuivent leur manière originale et collégiale d'aborder le grand répertoire symphonique avec, chaque année, plus d'audace. Une expérience musicale fondée sur l'écoute et le partage, sans chef d'orchestre attitré. Ce soir, Alban Berg avec le Concerto pour violon « À la mémoire d'un ange » et la Symphonie n° 7 d'Anton Bruckner ont les honneurs de la scène.
Dédié à la jeune Manon Gropius, fille de Walter Gropius et d'Alma Mahler, décédée prématurément à l'âge de 18 ans, le Concerto « À la mémoire d'un ange », composé en 1935, année de la mort du compositeur, est une œuvre à programme où Berg évoque certains épisodes marquants, parfois intimes, de sa vie. D'une architecture très élaborée multipliant les effets de symétrie et de miroir, mêlant musique tonale et séries dodécaphoniques, il comprend deux mouvements se divisant chacun en deux sections (lent-vif et vif-lent) de telle sorte qu'il peut être assimilé à une symphonie avec violon obligé. David Grimal et Les Dissonances nous en donnent une interprétation en demi-teinte dans un discours très lyrique (peut-être un peu trop) porté par un phrasé trop lisse pour émouvoir vraiment. Certes la virtuosité est au rendez-vous, les performances solistiques (petite harmonie, cor, cordes graves, cuivres et harpe) également, mais l'équilibre entre soliste et orchestre est précaire et le violon de David Grimal manque de projection. Peut être qu'avec cette musique aux timbres foisonnants et dispersés, touche-t-on aux limites de l'exercice ?
Si le concerto déçoit quelque peu, en revanche la Chaconne de Bach, parfaitement exécutée, donnée en « bis » à la mémoire des victimes de l'attentat terroriste du 7 octobre, est un intense moment d'émotion et de communion, salué comme il se doit par le public de la Philharmonie de Paris.
Vaste méditation spirituelle autant que vibrant hommage à Richard Wagner, la Symphonie n° 7 d'Anton Bruckner est une des rares du compositeur à n'avoir pas été révisée. Elle valut à Bruckner, dès sa création en 1884, une reconnaissance méritée, pour la clarté de son architecture comme pour la plénitude de ses thèmes. Sans doute Bruckner, du fait de son type de composition, influencée par son activité d'organiste, progressant par grands aplats recrutant d'importantes masses orchestrales avec des contrastes assez abrupts, accepte-t-il plus aisément l'absence de chef. Cela explique probablement qu'il ait été plusieurs fois interprété, avec brio, par Les Dissonances (la Septième en 2017, la Neuvième en 2020). C'est encore le cas ce soir avec une interprétation énergique à la dynamique tendue sans grandiloquence, contrastée, lyrique et fervente, parfaitement mise en place, sans lourdeur ni pathos excessif. La transparence de texture est assez impressionnante qui donne jour à de nombreux contrechants et à tous les détails de la partition, sans jamais perdre le fil conducteur d'une narration parfaitement équilibrée, juste dans le ton comme dans la note. L'Allegro inaugural séduit par son lyrisme (cordes) et sa véhémence (cuivres) qui trouvent leur climax dans une coda grandiose. L'Adagio est abordé comme une vaste prière recueillie à la mémoire de Richard Wagner, vaste déploration portée par les tubas wagnériens et les cordes graves. Le Scherzo impressionne par sa dynamique soutenue sur un rythme inexorable faisant intervenir tous les pupitres, interrompu en son mitan par un trio dont le lyrisme fait valoir le beau legato des cordes, avant un Finale empreint de solennité et de verticalité clamé par le tutti dans une coda triomphante. Magnifique !
Crédit photographique : © Julien Mignot
Plus de détails
Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 5-X-2024. Alban Berg (1885-1935) : Concerto pour violon et orchestre « À la mémoire d’un ange » ; Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 7 en mi majeur. Les Dissonances, violon et direction : David Grimal