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ResMusica propose une série commémorative autour d’Arnold Schoenberg selon un petit et kaléidoscopique dictionnaire pour tracer un portrait par petites touches de cet homme aux mille facettes et à la personnalité complexe, cultivant avec virtuosité le paradoxe, et à plus d’un point de vue attachante, malgré son emprise écrasante. Pour accéder au dossier complet : Petit dictionnaire de Schoenberg
B comme Bach, Beethoven, Boulez Brahms ou Busoni
Bach Johann Sebastian (1685-1750)
» J'ai appris de Bach : 1) la pensée contrapuntique; c'est-à-dire l'art d'inventer des figures capables de s'accompagner elle-même; 2) l art de faire dériver le tout d'une seule unité et la manière d'enchaîner les figures entre elles 3) l'émancipation à l'égard des temps de la mesure. » (Schoenberg, 1931). Tout est dit.
C'est la figure de Bach qui émerge peu à peu au fil des Variations op.31 pour grand orchestre, première œuvre dodécaphonique symphonique, creuset sonore d'un véritable sorcier-du son et de la virtuosité d'écriture – Johann Sebastian va jusqu'à s'imposer comme figure tutélaire par le véritable thème de toute la coda avec le motif B A C H (si bémol la do si bécarre), découlant de la série « de base » de l'œuvre. Schoenberg instrumentera aussi dans l'air du temps, et de manière assez lourde pour nos oreilles habituées à « l'historiquement informé », deux préludes de choral de Bach Schmücke Dich, O Liebe Seele, Bwv 654 et Komm, Gott, Schopfer, Heiliger Geist, Bwv 631, et surtout le prélude et fugue BWV 552 issu de la Klavierübung III pour orgue (parfois appelé prélude « Sainte-Anne ») en 1928 :ces réalisations peuvent apparaître épaisses, parfois spectaculaires et un peu kitsch ( mais finalement pas plus que les arrangements de Leopold Stokowsky, contemporains) . Mais on est à l'exact opposé de l'incroyable réussite d'Anton Webern en 1934, dans son orchestration dans l'esprit ergonomique de la Klangfarbenmelodie (mélodie de timbres) du ricercare à six de l'Offrande Musicale BWV 1079 qui demeure un modèle du genre.
Boulez Pierre (1925-2016)
En février 1945, un jeune Boulez de pas même vingt ans entend, à l'instigation de René Leibowitz, chez Claude Halphen le Quintette op.26 d'Arnold Schoenberg, une de ses premières oeuvres les plus austères et totalement réalisée selon les techniques de la musique à douze sons. , « Révélation pour moi, dit-il, l'œuvre n'obéissait à aucune loi tonale, et j'y trouvais une richesse harmonique et contrapunctique, une capacité, de là, au développement et à l'extension du propos que je n'avais trouvées nulle part ailleurs ». Le jeune étudiant tient la partie d'harmonium dans Herzgewächse, le lied opus 20 du maître viennois sur un texte des Serres chaudes de Maeterlinck, sous la direction de même Leibowitz en décembre de la même année, lors d'un concert public dans l'ancienne salle du conservatoire de Paris.
Mais Boulez découvre aussi parallèlement Webern, qui regarde selon lui davantage vers l'avenir, d'une part par un renouvellement de la forme, liée au matériau, sans aucune nostalgie envers le passé, et par le réservoir motivique éclaté que lui procure un système sériel revu et corrigé, loin d'une « thématisation » de la série sous ses différentes formes dans l'héritage lointain du leitmotif wagnérien. Webern a(urait) aussi peut-être aussi ressenti la possibilité de généraliser la série à d'autres paramètres (durée, intensité, timbres, mode d' attaques…). Schoenberg semble alors pour Boulez encore trop lié au passé et à la tradition austro-germanique , alors que la jeune génération « 20 ans en 1945 » en appelle à la rupture et témoigne d'une grande méfiance envers l'expressivité en musique. Tout cela est formalisé dans un article de 1952 dont le titre à double sens « Schoenberg est mort » fait l'effet d'une bombe -surtout aux Etats-Unis- où le souvenir universitaire du maître décédé est quasi institutionalisé. Mais en France, il faut bien avouer que Boulez, en dehors d'un cercle d'amis ou de professeurs, prêche dans le désert : tout ou presque est ignoré de la seconde école de Vienne alors à Paris – il suffit de parcourir les programmes de concerts ou d'opéras : le Wozzeck de Berg n'y sera créé localement (et en version de concert!) qu'en mai 1952 sous la direction de Karl Böhm et la troupe de l'opéra de Vienne… avant d'être représenté scéniquement seulement en 1963 au Palais Garnier dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault et sous la direction…de Pierre Boulez !
Après la génération des chefs interprètes schoenbergiens historiques (Scherchen, Mitropoulos…) et sans doute plus particulièrement au contact de l'un des plus fameux d'entre eux, à la SWR de Baden Baden, Hans Rosbaud, Boulez reverra considérablement dans les faits sa copie et sera – comme interprète plus que comme théoricien- l'un des plus ardents défenseurs au concert, à l'opéra et au disque de l'œuvre de son aîné… (mais avec quelques autres chefs de sa génération , quand même, citons Rafael Kubelik , Michael Gielen, et de l'autre côté du rideau de fer, Herbert Kegel, ou aux Etats-Unis Robert Craft)… Il enregistrera la totalité (comme Craft) de l'œuvre chorale et orchestrale de son modèle jadis tant décrié et en programmera souvent les œuvres en concert.
Tout cela, non sans quelques contradictions très bouléziennes : on peut s'amuser de constater que le chef français enregistrera deux fois l'Ode à Napoléon opus 41 – dont jadis il trouvait l'indigence de pensées et de réalisation « tout à fait remarquables » (sic!)- Ailleurs il est ainsi permis de préférer son premier enregistrement (Sony, avec entre autres Gunter Reich) du Moses und Aron au somptueux mais un peu atone remake chez DGG capté en marge de la célèbre production amstellodamoise des années '90. De même Boulez laisse trois enregistrements du Pierrot Lunaire : le premier assez raide (publié par Adés) avec Helga Pilarczyk, aux temps dogmatiques du Domaine Musical est littéralement parlé. Pour le deuxième, c'est entourée d'une belle brochette de solistes qu'Yvonne Minton chante – et vraiment chante!- la partition. L'ultime remake chez DGG avec l'ensemble Intercontemporain et une Christine Schäfer idéale, trouve souplement la voie et la voix du juste milieu pour restituer le concept d'un authentique Sprechgesang (parlé-chanté)
Brahms Johannes (1833-1897)
« De Brahms j'ai appris 1) l'irrégularité du nombre des mesures par extensions ou condensations des phrases 2) la plasticité des formations : ne pas marchander lorsque la clarté exige davantage d'espace 3) mener chaque figures à ses ultimes conséquences…l'économie est une richesse. » (Schoenberg 1931)
Durant ses années de formation, Brahms, fêté par le public et la critique viennoise, est une référence incontournable. Et c'est évidemment le cas pour notre jeune autodidacte : ses juvéniles trois Klavierstücke longtemps inédits de 1894, sans numéro d'opus (et tout à fait tonaux) se souviennent des recueils brahmsiens de la maturité destinés au clavier …la version première de la Nuit Transfigurée est celle du sextuor à cordes – dans la filiation des deux œuvres de son aîné (en particulier le mouvement lent du second opus 36 en son principe de variation continue) .
Brahms est donc loin d'être le « barbon » traditionnaliste et passéiste que certains wagnériens de l'époque ont voulu voir en lui, et Schoenberg lui rend un double hommage tout d'abord avec sa conférence tenue en 1933 dans le cadre du centenaire de son aîné Brahms le novateur, et trois ans plus tard, une fois arrivé à Los Angeles, par l'orchestration très colorée et parfois un peu tapageuse ( voire « hollywoodienne » par l'emploi de la percussion) du Quatuor avec piano op.25, où l'on entend aussi beaucoup de ces lignes secondaires confiées aux cordes parfois moins audibles dans la version originale, noyées sous les notes du clavier… Mais cette adaptation est plus un portrait de Schoenberg vu à travers Brahms que le contraire !
Busoni Ferruccio (1866-1924)
Busoni est à Berlin dès 1894; dans le cadre des concerts qu'il y organise il prévoit de donner en 1909 la première Symphonie de chambre op.9 – ce qui ne se fera pas. Mais c'est le début de riches échanges épistolaires, avec parfois de vives tensions entre les deux hommes concernant leur conception esthétique : l'influence ponctuelle de l'aîné – et de son écriture pianistique virtuose – est perceptible dans la rédaction du troisième Klavierstück op.11 du cadet, Busoni s'étant permis aussi de livrer une version de concert « améliorée » de l'opus 11 n°2 au grand étonnement de Schoenberg.
Mais les essais théoriques importants des maîtres sont quasi contemporains : l'Harmonielehre (1911) de Schoenberg rend hommage à l'esprit aventureux et à l'honnêteté intellectuelle de Busoni, dont il annotera l‘Esquisse pour une nouvelle esthétique musicale. Cependant, si il est d'accord sur la nécessité d'une refonte du langage musical et aussi de l'actualisation de la représentation opératique, il ne perçoit pas l'importance de certains géniales intuitions busoniennes (par exemple les échelles infrachromatiques avec les tiers et sixièmes de tons, le retour à l'écriture modale par le truchement de …113 gammes différentes recensées par le maître germano-italien ou encore l'émergence pressentie de nouveaux instruments liés à l'évolution technologique).
Busoni s'approchera parfois à cette époque – et probablement sous l'influence schoenbergienne – de la libre atonalité dans par exemple sa sonatina seconda pour piano ou son splendide et blafard nocturne symphonique. Pour plus de détails, le lecteur pourra se reporter au dossier Ferruccio Busoni publié en cet été 1924 pour le centenaire de sa disparition.
Crédits photographiques : Arnold Schönberg, Regard bleu, 1910, Huile sur carton, 20 x 23 cm © Vienne, Centre Arnold Schönberg
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