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Paris. Théâtre des Champs-Elysées. 5-X-2024. Igor Stravinsky (1882-1971) : Apollon musagète ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 10 en mi mineur op. 93. Wiener Philharmoniker, direction : Daniele Gatti
Etonnement et surprise devant ce programme contrasté qui apparie l'Apollon musagète de Stravinsky et la Symphonie n° 10 de Chostakovitch, d'autant que, ni le Philharmonique de Vienne, ni Daniele Gatti qui le dirige lors de cette tournée européenne, ne fréquentent assidûment le répertoire symphonique russe et tout particulièrement le corpus symphonique de Dimitri Chostakovitch.
Pour sa trentième année de résidence avenue Montaigne, l'Orchestre Philharmonique de Vienne découvre ce soir la nouvelle conque acoustique du Théâtre des Champs-Elysées inaugurée cette saison. Très réussie, elle assure une bien meilleure répartition du son et autorise les tutti les plus violents sans aucune saturation, caractéristiques dont Daniele Gatti fera d'ailleurs un excellent usage. Ce concert qui ressemble un peu au mariage de la carpe et du lapin interroge : outre l'association de deux compositeurs aux esthétiques ayant peu d'affinités, pourquoi avoir choisi en première partie l'Apollon Musagète de Stravinski qui ne s'adresse qu'aux cordes seules, laissant en coulisses, au grand dam du public, le reste des pupitres de la prestigieuse formation viennoise ?
Musique de ballet en deux tableaux Apollon musagète (1928) de style « néoclassique », fut composé à la suite d'une commande de la mécène américaine Elisabeth Sprague Coolidge, créé à Washington, puis à Paris par les ballets russes sur une chorégraphie de Georges Balanchine. La première partie figure la naissance d'Apollon, tandis que la seconde correspond à une série de danses allégoriques mettant en scène Calliope, Polymnie et Terpsichore. Daniele Gatti et les Wiener Philharmoniker en livre une lecture parfaitement léchée, toute olympienne, très mélodique et sereine, sur un tempo lent, qui brille bien sûr par la qualité superlative des cordes (sonorité, contrechants, organisation limpide de la polyphonie) magnifiée par la précision quasi chirurgicale de la direction, mais qui déçoit par sa dynamique assez poussive, trop analytique, qui manque quelque peu de continuité. L'ensemble confine finalement à l'ennui malgré la virtuosité, le legato et la cohésion des différents pupitres conduits avec maestria par Albena Danailova au violon solo. Elle nous gratifie d'un superbe solo dans la Variation d'Apollon à laquelle répond un beau solo de violoncelle dans la Variation de Calliope.
Lieu de toutes les attentes, la sombre Symphonie n° 10 de Dimitri Chostakovitch occupe la deuxième partie. Toute habitée de l'ombre de Staline, elle fut composée en 1953 dans les mois qui suivirent la mort du « petit père des peuples ». Daniele Gatti nous en livre une interprétation très « occidentale », plus lyrique que âpre (trop lyrique ! Philharmonique de Vienne oblige !) qui s'oppose quasiment point par point à d'autres lectures plus rugueuses de certains chefs russes ayant vécu dans leur chair les affres de la dictature stalinienne. Introduit par des sonorités sombres, le Moderato initial met en place d'emblée un climat d'affliction (clarinette, basson, contrebasson) avant que le phrasé ne se creuse progressivement avec l'entrée des vents (stridences de la petite harmonie et meuglements déchirants des cuivres) renforcée par des cordes enivrantes, pour aboutir à un grand crescendo parfaitement mené par Daniele Gatti qui emporte tout sur son passage. La tension est palpable, le tempo contenu. Ne reste alors du paysage orchestral qu'un vaste terrain désolé exsangue entretenu par les cordes graves (altos) parcouru par un thème lancinant, répété à l'envi, d'où émergent, sur de longs accords de cordes, les saillies des bois (clarinette, flute, piccolo) comme les derniers sursauts d'une humanité qui refuse de s'éteindre…l'Allegro, inhumain dans sa progression inexorable, essentiellement dynamique, envoute par la virtuosité et la cohésion impressionnante des cordes. L'Allegretto se développe au sein d'une musique assez décantée, épurée, ruinée, empreinte là encore d'une consternation douloureuse (où manquent cruellement sarcasme et inquiétude), soulignée par la bouleversante cantilène du cor anglais, avant que ne survienne un épisode plus enlevé, parfaitement articulé, parcouru comme un leitmotiv menaçant par la signature musicale du compositeur DSCH (ré, mi bémol, do, si). Un peu déliquescent car manquant un rien de continuité dans la progression du discours le quatrième mouvement Andante-Allegro fait encore une fois la part belle à une somptueuse petite harmonie (hautbois, basson, clarinette) dans une bacchanale équivoque, dansante, scandée par les cordes, interrompue en son mitan par la résurgence des notes DSCH en cantus firmus aux cuivres, avant que ne réapparaisse le thème de l'Allegro initial, achevant ainsi de refermer la boucle pour conclure une interprétation en demi-teinte, peu convaincante, réduite, hélas, à un formidable exercice d'orchestre…
La Danse hongroise n° 5 de Brahms, donnée en « bis », faisant suite à cette douloureuse symphonie ajoute encore une note incongrue à ce concert !
Crédit photographique : © Anne Dokter
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Paris. Théâtre des Champs-Elysées. 5-X-2024. Igor Stravinsky (1882-1971) : Apollon musagète ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 10 en mi mineur op. 93. Wiener Philharmoniker, direction : Daniele Gatti
Finalement ce n’est que votre avis. Le Stravinsky etait absolument exceptionnel de raffinement et jamais ennuyeux justement.
Quant au Chostakovitch, quel intérêt d’essayer d’imiter Mravinsky quand on s’appelle Wiener Philharmoniker avec l’un des meilleurs chefs actuels et de très loin ? Aucun.
Les intéressés s’en sont bien gardés et ont eu entièrement raison.
Moi aussi, j’ai trouvé le concert excellent et le programme élaboré avec goût.
Une première partie très raffinée, de nature à mettre en valeur l’exceptionnelle sonorité des cordes ( superbe variation de Polymnie, entre autres). Une seconde partie, avec des moments d’une rare intensité, avec l’orchestre au complet. Et pour conclure sur une note de gaieté, la Danse hongroise numéro 5 de Brahms, propre à détendre l’atmosphère après la symphonie de Chostakovitch.
Justement ils ont choisi apollon pour les cordes.
Quant à chosta certes c’est différent de mvravinski mais comme le fait très justement remarquer le 1 et commentaire on attend autre chose de cette orchestre que la copie du leningrad. C’était une interprétation douloureuse et qui donne une autre vision