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Girls of the Golden West de John Adams, ou la face très sombre de la ruée vers l’or

Girls of the Golden West, le quatrième opéra de , met en musique une nouvelle page de l'Histoire des États-Unis : la ruée vers l'or.

Si l'on évacue les opéras-oratorios (du type El Niño) de son catalogue, on remarque que les opéras stricto sensu de sont consacrés à des pages d'histoire de son pays. Après les relations Est-Ouest (Nixon in China), le problème palestinien (The Death of Klinghofer), la bombe atomique (Doctor Atomic), fait revivre la ruée vers l'or (1848-1856) dont, respectivement dès 1910 et 1925, Giacomo Puccini (La Fille du Far West)  et Charlie Chaplin et avaient déjà dépeint la face sombre. Composé à partir de sources multiples, Girls of the Golden West assombrit le tableau. Librettiste quasi-attitré du compositeur, s'est une nouvelle fois transformé en rat de bibliothèque : Girls of the Golden West s'appuie sur quelques notoriétés (A la dure de Mark Twain ou Macbeth de Shakespeare) mais surtout sur les lettres que Louise Clappe, avant de les publier en feuilleton sous le pseudonyme de Dame Shirley, envoya régulièrement de la Sierra Nevada à sa sœur restée à l'Est.

Girls of the Golden West, opéra en deux actes d'une durée de 2h10 créé à San Francisco en 2017, comporte sept personnages dont l'Acte I, façon longue scène d'exposition, brosse très finement les portraits. La parité est presque respectée entre Clarence et Joe (deux mineurs), Ned (cuisinier, esclave récemment affranchi), Ramón (barman au saloon) et Josefa (barmaid), Ah Sing, prostituée chinoise et Dame Shirley. Cette dernière démêle] les enjeux financiers, raciaux et sexistes de ce microcosme dans lequel elle a suivi son banquier de mari, un regard qui n'est pas sans évoquer l'œil rétrospectif du Capitaine Vere de Benjamin Britten dans Billy Budd. L'Acte II, dont l'action se situe un 4 juillet (tout un symbole aux États-Unis, jour de leur fête nationale), plus explicite aussi dans sa description de ce que l'humanité peut condenser de mâle toxicité, se conclut sur la sidération d'un lynchage perpétré par une meute : aucune fille du Far West de Puccini ne vient chez Adams desserrer la corde que Josefa se sera nouée elle-même autour du cou, pour avoir, en état de légitime défense, osé poignarder le mineur qui voulait la violer.

Pour son Il était une fois dans l'Ouest opératique, John Adams affirme avoir composé la musique la plus directe et la plus simple de toute sa carrière. Il confesse avoir voulu revenir à ses huit ans d'âge et, pour ce faire, avoir dû « sauter par-dessus » Cage et Stockhausen. Comme frappées d'urgence, les premières mesures fusent effectivement comme un autre West Side, celui de Leonard Bernstein. La suite, très contrastée, ressuscite un Far West tout en pulsation et en clair-obscur. Très nombreux, les chœurs (d'hommes bien sûr) sont comme à l'accoutumée chez Adams, magnifiquement écrits, qu'ils passent d'innocentes chansons à boire initiaux aux terrifiants et très « petergrimsiens » That Joe et It's four long years since I reached this land finals déversés par la meute hurlante. Les lignes vocales des solistes affichent le brûlant lyrisme que l'on trouve généralement dans tous les opéras américains. Qu'elle s'essaie ou non au flirt avec le chant traditionnel (la Ballade de Ah Sing de l'Acte II ou le Ven est muche de Josefa), la virtuosité orchestrale de John Adams est manifeste, et même envoûtante, au détriment, comme on a pu le constater depuis Doctor Atomic, d'un sens mélodique vraiment mémorable.

Côté girls, (ambitus intense), (colorature radieuse), (sombre mezzo) ; côté boys, (ténor percutant), et Elliott Madore Davóne Tines (splendide trio de barytons ténébreux): la distribution est sans maillon faible. John Adams à la tête du Los Angeles Philharmonic, se montre un parfait ambassadeur de son oeuvre. Quant à la prise de son, comme toujours avec Nonesuch, c'est une merveille absolue. En attendant que, peut-être (comme le cinéma l'a fait depuis les années 70), et John Adams mettent prochainement en scène le massacre des peuples amérindiens, on peut d'ores et déjà se ruer sur la « splendeur insondable » (ce sont les derniers mots de Dame Shirley) de ces Filles du Far West.

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