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La griserie sonore et l’élégance viennoise de Yuja Wang en DVD

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« The Vienna Recital ». Isaac Albéniz (1860-1909) : Malaga. Lavapiés. Alexandre Scriabine (1872-1915) : Sonate pour piano n° 3 op. 23. Nikolaï Kapustin (1937-2020) : Préludes n° 10 et n° 11. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour piano n° 18 op. 31 n° 3. György Ligeti (1923-2006) : Etudes n° 6 “Automne à Varsovie” et n° 13 “L’escalier du diable”. Philip Glass (1937) : Etude n° 6. Arturo Márquez (1950) : Danzón n° 2 (transcription de Leticia Gómez-Tagle). Johannes Brahms (1833-1897) : Intermezzo op. 117 n° 3. Christophe Willibald Gluck (1714-1787) : Melodie Dell’Orfeo (arrangement de Sgambati). Yuja Wang, piano. 1 DVD C Major. Enregistré au Konzerthaus de Vienne en mai 2022. Notice en anglais et allemand. Durée totale : 1h24’

 

Le concert viennois de paru en CD chez Deutsche Grammophon est aujourd'hui disponible en DVD. C'est l'occasion d'admirer la prestation d'une artiste hors-norme dans un programme qualifié à juste titre de « versatile et virtuose ».

L'enjeu est de taille pour tout artiste qui grave son et image dans des lieux prestigieux. L'évènement doit marquer la postérité. Le sans-faute est impératif. Cela explique peut-être l'utilisation de la tablette posée sur les chevilles de la table d'harmonie, le moindre trou de mémoire étant inimaginable. Du côté de l'image, le montage est fluide à défaut de proposer des plans originaux. Les couleurs sont un peu sombres et la définition de qualité convenable.

Si le choix des œuvres met, à l'évidence, en valeur l'artiste, il est difficile d'en saisir la cohérence. Au public, donc, de “butiner” entre Brahms, Beethoven, Kapustin, Marquez, Scriabine… Tous les goûts devraient être satisfaits !

Ecoutons les deux sonates, celles de Scriabine et de Beethoven. Elles composent le cœur du programme. La Sonate n° 3 du Russe se refuse à toute dimension épique ou théâtrale. Pourquoi pas. Regrettons que les angoisses, les tensions perceptibles jusque dans les pianissimi soient minorées par un toucher aussi contrôlé, une technique affûtée de manière magistrale comme dans l'ébouriffant Scherzo, hélas dénué de violence expressive. L'Andante est plus intéressant, à la fois grâce à une lecture narrative – encore romantique – mais aussi enrichie par la souplesse du jeu qui souligne la richesse des timbres. Certaines harmonies de Scriabine rencontreraient presque celles de Bill Evans… se délecte des contrastes ahurissants du finale. Sa main gauche virevoltante est un plaisir aussi bien à entendre qu'à voir.

La Sonate en mi bémol majeur dite « La Chasse » de Beethoven séduit par l'humour et la fraîcheur de la réalisation du premier mouvement. Peu de pianistes assument en public, des tempi aussi rapides sans fragiliser l'architecture et le contrôle du son. Pour autant, la vélocité devient excessive dans le Scherzo. Le Menuet en pâtit franchement, trop pressé et lisse. A l'inverse, la tarentelle du finale jaillit, bluffante. On aimerait pourtant sentir l'effort, cette course à perdre haleine. Une telle perfection ne l'autorise pas.

Les autres partitions qui encadrent, en quelque sorte, les deux sonates mettent en valeur non seulement la technique, mais aussi la musicalité de . Dans Ligeti, Glass et Kapustin, la technique est proprement sidérante tout comme la démonstration d'endurance des poignets. Les deux études de styles opposés de Kapustin associent rythmes complexes, légèreté et humour. La main gauche est exceptionnelle de précision dans les déplacements, mais aussi de finesse dans les attaques. Tout aussi exceptionnelles sont les deux Etudes de Ligeti et celle de Glass. Avec le compositeur hongrois, la clarté de la polyphonie, l'absence de toute dureté et, pour tout dire, l'intelligence musicale sont renversantes. La qualité de la pulsation dans l'Etude de Glass montre aussi le plaisir sinon la griserie éprouvée par un jeu totalement libéré.

Malaga et Lavapiés d'Albéniz sont d'une toute autre valeur. Regrettons que Malaga manque d'un soupçon de volupté et que l'interprétation oublie le côté capricieux que nous offrait Alicia de Larrocha. Reconnaissons la maîtrise du style de notre pianiste dans les harmonies piquantes de Lavapiés. Yuja Wang y domine impérialement les enchevêtrements d'accords et les déplacements de mains acrobatiques.

Moins marquante nous semble la lecture de l'Intermezzo de l'opus 117 de Brahms dont on se demande ce qu'il vient faire dans un tel programme. Cette « berceuse de mes douleurs » affirmait le compositeur est chantée à mi-voix, sans quitter une sorte de brume sonore, sans le sentiment d'oppression lié à cette page. Elle devient ainsi joliment triste.

Enfin, la Mélodie de Gluck, celle de l'Orfeo dans l'arrangement de Sgambati prend congé du public. Pourquoi jouer cette page aussi rapidement, dans une égalité sans aspérité ? Les souvenirs d'Evgeni Kissin et Nelson Freire sont tenaces…

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« The Vienna Recital ». Isaac Albéniz (1860-1909) : Malaga. Lavapiés. Alexandre Scriabine (1872-1915) : Sonate pour piano n° 3 op. 23. Nikolaï Kapustin (1937-2020) : Préludes n° 10 et n° 11. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour piano n° 18 op. 31 n° 3. György Ligeti (1923-2006) : Etudes n° 6 “Automne à Varsovie” et n° 13 “L’escalier du diable”. Philip Glass (1937) : Etude n° 6. Arturo Márquez (1950) : Danzón n° 2 (transcription de Leticia Gómez-Tagle). Johannes Brahms (1833-1897) : Intermezzo op. 117 n° 3. Christophe Willibald Gluck (1714-1787) : Melodie Dell’Orfeo (arrangement de Sgambati). Yuja Wang, piano. 1 DVD C Major. Enregistré au Konzerthaus de Vienne en mai 2022. Notice en anglais et allemand. Durée totale : 1h24’

 
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