Joe Hisaishi à Vienne : une vie après Hayao Miyazaki au Japon

Sa musique pour le cinéma ne cache pas son allégeance au grand répertoire de la musique classique. Il était logique que Joe Hisaishi, après quatre décennies de bandes originales, se confrontât tôt ou tard au genre de la symphonie. Questions et réponses avec Joe Hisaishi in Vienna, publié par Deutsche Grammophon.

Ceux qui, dès la sortie française en 1995 de Porco Rosso, premier film d'Hayao Miyazaki à sortir en France, avaient repéré la qualité de sa musique, à des lieues des « dysniaiseries » en vogue jusque là, ne seront pas étonnés de voir Mamoru Fujisawa (alias Joe Hisaishi) rejoindre aujourd'hui, (comme en 1993 Philip Glass adoubé par Gidon Kremer, Christoph Von Dohnányi et les Wiener Philharmoniker !), le label Deutsche Grammophon. Un premier CD paru en 2023 (le florilège A Symphonic Celebration – Music from the Studio Ghibli films of Hayao Miyazaki) certifiait les musiques apposées par le compositeur japonais sur des longs métrages qui, depuis Nausicaä de la vallée du vent (1984), ont fait le tour du monde. Un an plus tard, Joe Hisaishi in Vienna, muni d'une notice en anglais d'un chiche achevé qui ravive assez cruellement la nostalgie des parutions d'antan de la grande firme allemande, révèle la face cachée d'un artiste qui se prétend dorénavant (à l'instar de Dennis Russell Davies concernant son compagnonnage avec Philip Glass), un brin lassé qu'on le réduise à sa collaboration avec Miyazaki.

Durant l'étrange année 2020 qui allégea moult emplois du temps planétaires, Joe Hisaishi composa presque à la suite l'une de l'autre ses Symphonies n° 2 et 3. La première du genre (The East Land Symphony) lui avait pris huit années. Savamment immiscée entre ses succès pour Miyazaki et Kitano, elle n'avait pas laissé indifférent lors du concert triomphal qu'il avait dirigé en 2019 à la Philharmonie de Paris. À l'instar de Philip Glass, compositeur d'images lui aussi venu sur le tard à la musique pure, Hisaishi n'avait pas caché les enjeux autrement plus complexes du genre.

Délestée comme pour un adieu des gammes orientales qui ont beaucoup joué en faveur de la ferveur Hisaishi, la Symphonie n° 2, captée en direct lors de sa création au Muzikverein de Vienne en mars 2023 lors de Cinéma : Sound (la manifestation organisée par les Wiener Symphoniker autour d'une légende de la composition cinématographique), louche clairement vers l'Occident. Au-delà des chatoiements de l'introduction, on peine ensuite à saisir la trajectoire des deux premiers mouvements, malgré leur science orchestrale manifeste notamment dans son adresse à tous les pupitres. What the world is now ?, agité de soubresauts, de lignes hachées fusant en tout sens, et Variation 14 avec ses élans répétés vers l'inaccessible, son matériau mélodique un peu rudimentaire, ne sont effectivement pas sans trahir l'effort. Accroche autrement Nursery Rhyme, le troisième mouvement, inspiré par une berceuse japonaise, dont la bonhommie tranquille en fait le proche parent d'un autre troisième mouvement, celui de la Titan de Mahler : un long ostinato qui, comme la Symphonie Liturgique d'Honegger, débouche sur un paysage apaisé par l'oiseau qu'entendit peut-être Hisaishi confiné dans le chalet qu'il s'était fait construire au Japon, réplique du chalet malhérien am Wörthersee, où le compositeur autrichien, qui est aussi une de ses références avouées, se retranchait pour composer.

Autre défi de musique pure, Viola Saga, concerto pour alto de 22 minutes, enregistré sans public au Konzerthaus de Vienne, convainc davantage sur la durée malgré un Mouvement I lui aussi quelque peu insaisissable après qu'ouvert par l'alto seul, exposant le jeu remarquable et parfaitement intégré au discours, d'Antoine Tamestit. En revanche, le très inspiré et très tourbillonnant Mouvement II, absolument irrésistible dans son aveu de ses influences glassiennes, embarque à son bord des Wiener Symphoniker à l'évidence ravis d'aborder les rivages de ce nouveau répertoire venu d'Extrême Orient.