77e Festival de Besançon : toujours une fête instrumentale
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Besançon. Théâtre Ledoux. 14-IX-2024. Elsa Barraine (1910-1999) : Symphonie n° 2 « Voïna ». Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon et orchestre op. 77 ; Claude Debussy (1862-1918) : Images, pour orchestre. Julia Fischer, violon. Orchestre National de France, direction : Cristian Măcelaru
Besançon. Salle du Parlement. 15-IX-2024. Anton Bruckner (1824-1896) : Quatuor à cordes WAB 111. Alexandros Markeas (né en 1965) : Die Neuen Ruinen von Athen. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Quatuor à cordes n° 16 op. 135. Quatuor Diotima
Arc-et-Senans. Saline royale, Salle Ledoux. 15-IX-2024. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Variations sur un thème rococo pour violoncelle et orchestre op.33. Johannes Brahms (1833-1897) : Sérénade n° 2 Op. 16 ; Richard Strauss (1864-1949) : Le Bourgeois gentilhomme, suite d’orchestre op.60. Victor Julien-Laferrière, violoncelle. Orchestre Consuelo, direction : Victor Julien-Laferrière
Besançon. Théâtre Ledoux. 16-IX-2024. Camille Pépin (née en 1990) : Vajranaya. Richard Strauss (1864-1949) : Quatre derniers Lieder op. 150. Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n° 6 « Pathétique » op. 74. Dorothea Herbert, soprano. Orchestre Philharmonique de Stuttgart, direction : Andreï Boreïko
Besançon. Théâtre Ledoux. 21-IX-2024. Alexandros Markeas (né en 1965) : Sea of History. William Walton (1902-1983) : Concerto pour violoncelle et orchestre. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 10 op. 93 ; Xavier Phillips, violoncelle. Orchestre national de Metz Grand Est, direction : Adrian Prabava
Qu'il soit National de France, Consuelo, Philharmonique de Stuttgart ou national de Metz Grand Est, dirigé par Cristian Măcelaru ou Pablo Heras-Casado, l'orchestre, à Besançon, conserve toujours la première place dans une édition 2024 sans concours de jeunes chefs.
Fin de tournée pour l'ONF
Christian Măcelaru, l'Orchestre National de France et Julia Fischer ouvrent le feu symphonique en clôturant leur tournée au Théâtre Ledoux. C'est la compositrice Elsa Barraine qui n'est pas loin d'emporter le point avec sa Symphonie n° 2 Voïna de 1938 (seize minutes pour trois mouvements qui semblent annoncer à la fois la tragique Troisième et la délicieuse Quatrième d'Arthur Honegger) sur un Concerto pour violon de Brahms pourtant d'une apollinienne perfection, et même sur des Images de Debussy dont l'impressionnisme subtil peine encore à soulever la ferveur même si, pour ce faire, la feria de sons du Matin d'un jour de fête est donné en final. L'acoustique du lieu, toujours réputé pour sa sécheresse, n'est pas d'un grand secours à l'indiscutable talent de coloriste de Măcelaru, qui tient à conclure comme il avait commencé avec un très beau bis dû à une autre compositrice : Cécile Chaminade.
Le Quatuor Diotima de Markeas à Beethoven
Le lendemain, dans l'intimité de la Salle du Parlement, c'est aussi par son ampleur symphonique que le Quatuor Diotima emporte l'adhésion. Très fluide dans l'harmonieux quatuor de jeunesse de Bruckner, très pointu dans Die neuen Ruinen von Athen qu'Alexandros Markeas présente comme une promenade calquée sur celle de la déesse Athéna dans l'opus 113 de Beethoven, mais cette fois dans la Grèce contemporaine, dont les ruines (« Les ruines évoquent le Temps qui passe mais aussi ce qui résiste au Temps », dit-il) lui sont apparues comme une métaphore de l'état actuel de son pays natal. D'abord bruitiste, comme attachée à ressusciter, du marteau-piqueur à la sirène, les sons lointains d'une ville : tels des pianos préparés, les cordes sont munies de pinces à linge, le bois des instruments est frappé, le crin des archets crisse au plus près de la corde. À cette introduction fantomatique succède le climax d'une marche au supplice, puis le silence accablant d'un constat dont le funèbre s'accorde bien évidemment à celui du dernier quatuor de Beethoven proposé dans la foulée, celui que le compositeur intitula « la décision difficilement prise », et dans le cœur duquel il inscrivit le fameux Muss es sein ? Es muss sein ! Un premier mouvement presque inconséquent qui ne laisse en rien prévoir la hargne du deuxième, encore moins la plongée abyssale au plus profond de l'ethos beethovénien du Lento assai, comme les audacieuses dissonances du finale. À l'instar de Beethoven, les Diotima ont tôt navigué entre classicisme et modernité. Ce qu'ils font cette fois encore, presque vingt années près leur formation, avec ce programme des plus finement conçus.
Un soliste entouré de solistes : l'Orchestre Consuelo
La Salle Ledoux (nouvelle salle de concert construite à la Saline Royale d'Arc et Senans) avait déçu lors de son inauguration l'an passé. Cette année le plateau surélevé offre une bonne visibilité par tous du jeune Orchestre Consuelo que Victor Julien-Laferrière a créé en 2021. D'un programme alléchant, ne brille pas l'œuvre pourtant la plus renommée, les peu passionnantes Variations sur un thème rococo de Tchaïkovski, dont le seul intérêt est de permettre à son soliste de briller, ce qui ne pose aucun problème au jeune violoncelliste français devenu chef. L'intérêt monte d'un cran avec la si peu jouée Sérénade n° 2 de Brahms. Sans violons ni trompettes, elle annonce les chefs-d'œuvre symphoniques. L'Orchestre Consuelo est riche en couleurs comme en talents solistiques (notamment ses cors). Le Bourgeois gentilhomme de Richard Strauss achève de convaincre. Ex-première partie de son Ariane à Naxos, elle devait servir de musique de scène à l'intégralité de la pièce de Molière donnée en préambule, une idée folle d'Hofmannsthal. Transformée en suite d'orchestre, elle n'est que succession de tubes, de son autoritaire Ouverture à son plantureux Dîner conclusif au son de L'Or du Rhin, de Rigoletto et même du propre Don Quichotte du compositeur. Au sein des cordes, virtuoses comme il se doit avec Strauss, même en formation chambriste, le violon solo se taille un beau succès personnel. Victor Julien-Laferrière dirige le Menuet parodié sur Lully, et la sublime Entrée de Cléonte comme des rêves éveillés. Bien que l'on déplore que la merveilleuse partie de piano fasse les frais d'une conception (ou d'une acoustique ?) qui l'étouffe sous celle des cuivres, on ne peut que souscrire, au fil de ce beau concert, à la devise que Victor Julien-Laferrière a dénichée dans Consuelo, le roman de George Sand : « Quiconque se sent pénétré d'un amour vrai pour son art ne peut rien craindre. »
Des Quatre derniers Lieder au pied levé
En étant saisi par la maîtrise d'écriture de Vajrayana, on rêve à ce dont Camille Pépin, ex-résidente du festival, pour l'heure abonnée aux pièces courtes (les cinq parties de Vajrayana n'excèdent pas douze minutes) sera capable lorsqu'elle composera sur la longue durée, notamment un opéra. Bien que peu familiers de sa musique, les musiciens de l'Orchestre Philharmonique de Stuttgart frappent fort avec son évocation des quatre éléments (Ratna, Vajra, Padma, Karma) réunis pour finir dans un grand geste cosmique (Vairocana). Sous la baguette d'Andreï Boreïko (Dan Ettinger était initialement prévu), la phalange fait ensuite mentir l'acoustique du Théâtre Ledoux, avec une puissance d'un plein-jeu d'orgue intimant à la soprano Dorothea Herbert, et non Gabriela Scherer, souffrante, une ampleur de la projection qui, après avoir quelque peu induré son timbre sur Frühling, la mène à l'épanouissement sur les trois autres des Quatre derniers Lieder. Très investie, la jeune soprano atteint progressivement des sommets d'empathie. Dans la Symphonie Pathétique qui suit, malgré de vraies sidérations (l'Allegro vivo), Boreïko ne réussisse pas à y unifier les différentes sections du très contrasté premier mouvement. En revanche son Allegro molto vraiment vivace galvanise jusqu'à déclencher dans l'assistance un sonore bravo dont l'intempestif casse l'accablement de l'Adagio lamentoso, une des pages les plus désespérées du répertoire.
Adrian Prabava : le retour
Fin de la résidence du compositeur grec Alexandros Markeas avec Sea is History, impressionnante musique à programme de dix-huit minutes en trois parties sur le thème de la mer, de tout temps « terrain de lutte et d'introspection » et « cimetière des victimes de l'Histoire » : immersion, tempête et déferlement de vagues (au sens propre car imagée par l'air seulement expulsé dans les cuivres). Créé en 2016 par l'Orchestre de Metz Grand Est, Sea of History est repris ce soir par un ancien finaliste du Concours de jeunes chefs d'orchestre : Adrian Prabava. Son retour à Besançon rétablit, presque vingt ans plus tard, la juste mesure de cette soirée à haute teneur mélancolique de 2005 où tous les projecteurs s'étaient alors tournés vers Lionel Bringuier. D'une grande délicatesse, Prabava convie l'orchestre à écouter le somptueux Gofriller de Xavier Phillips, les subtilités du très méconnu Concerto pour violoncelle de William Walton n'ayant guère à envier aux ostinatos de certain Concerto pour violon de Sergueï Prokofiev, décédé trois ans plus tôt, en 1953. Dans l'interprétation d'Adrian Prabava, les cris des bois, la houle des cordes du Moderato, le bloc de terreur pure du rouleau compresseur de l'Allegro font de cette symphonie une véritable onde hurlante, que même le sarcastique Allegretto ne parvient à couper.
À la veille du concert de clôture (la Troisième de Bruckner par Heras-Casado et Anima Eterna), la soirée acte aussi la fin de la résidence d'Alexandros Markeas, lequel, au terme de Sea of History, passe le relais du crayon symbolique duquel sourdra une nouvelle écriture : celle de Régis Campo.
Crédits photographiques : © Yves Petit
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