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Spectaculaire Traviata à l’Opéra royal de Wallonie : l’excès nuit en tout

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Liège. Opéra Royal de Wallonie. 15-IX-2024. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata , opéra en trois actes et quatre tableaux sur un livret de Francesco Maria Piave d’après le roman puis la pièce d’Alexandre Dumas fils, la Dame aux camélias. Mise en scène, décors, et lumières : Thaddeus Strassberger. Costumes : Giuseppe Palella. Chorégraphie et assistant à la mise en scène : Antonio Barone. avec : Irina Lungu ;: Violetta; Dmitry Korchak : Alfredo Germont; Simone Piazzola : Giorgio Germont; Aurore Daubrun : Flora Bervoix; Marion Bauwens : Annina; Francesco Pittari: Gastone; Pierre Doyen : Il Barone Douphol; Luca dell’amico : Il Dottor’Grenvil; Samuel Namotte : Giuseppe, Solistes,et choeurs de l’Opéra Royal de Wallonie : Denis Segond, direction. Orchestre de l’Opera Roayl de Wallonie à Liège, Giampaolo Biasanti, direction générale.

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En ouverture d'une saison lyrique, voulue assez aventureuse par l'intendant Stefano Pace, l'Opéra royal de Wallonie propose un grand classique du répertoire, populaire au sens noble du terme, La Traviata de Verdi dans la mise en scène quelque peu tonitruante mais aussi très amère de

Le rideau se lève avant même le mélancolique prélude du premier acte pour une canzonetta que nous offre Violetta/, soutenue depuis l'arrière-scène par un simple piano sous les vivats du chœur et d'une armada de figurants. D'emblée le salon de la demi-mondaine – comme plus tard celui de son amie Flora – se veut réplique et miroir de la salle à l'italienne liégeoise. Par cette mise en abyme spéculaire, le spectateur est pris en flagrant délit de voyeurisme : nous serons juge et partie de « l'hypocrisie du monde bourgeois ».(dixit  , qui signe outre la mise en scène  aussi  décors et lumières), entre excès et décadence.

Le metteur en scène, dans son texte de présentation, dit vouloir rendre hommage tant au cabaret parisien, à l'opérette française façon Offenbach qu'au cinéma réaliste franco-italien de l'après-guerre mais sa mise en scène (trop ?) flamboyante et volontairement baroque est aussi héritière des musicals de Broadway (les chorégraphies d', avec, par exemple, ces  danseurs harnachés virevoltant dans les airs, parfois sous des déguisements quasi felliniens) – voire, au cinéma, du splendide et beaucoup plus circonstancié Moulin Rouge de Baz Luhrmann – lui aussi d'ailleurs obliquement inspiré de La dame aux camélias d'. Dans le genre luxueux mais historié, la désormais classique production d'Ursel et Karl-Ernst Hermann à La Monnaie en 1995 et reprise  à l'occasion depuis – auxquels sont empruntés certains leitmotive visuels, tel ce lustre monumental, fracassé au troisième acte, ou cette mise en abyme théâtrale – s'avérait autrement distinguée, par la délicatesse insigne de ses sous-entendus et sa retenue luxueuse mais minimaliste.


Si visuellement le spectacle est très accrocheur, tout y semble à la longue surligné, parfois kitschissime, avec ces ampoules géantes bordant la scène façon music-hall, ces quelques protagonistes chantant frontalement depuis les loges d'avant scène, cet escalier monumental façon Lido en fond de plateau débouchant sur le néant, ces loges d'artistes amovibles descendues des cintres, flanquées de figurants hyper-maquillés et impassibles : tout est fait pour entretenir l'illusion d'un jeu scénique et social comme corollaire de l'exploit opératique. Rien ne nous sera épargné, au troisième tableau, avec ce décor de bar oriental, avec projection géante de l'image d'une Flora-Schéhérazade, ou ces clins d'œil queer (trop) appuyés (ah! ces matadors en porte-jarretelles!) : ce décorum barnumesque est assez étranger aux « provocations » d'un Pasolini ou plus encore au néo-réalisme d'un Rossellini ou d'un De Sica…pourtant dûment évoqués dans la notice. Certes sous le strass et les paillettes, et sous une pluie de costumes rutilants (signés ), le drame couve, avec son lot de noirceur impalpable et d'éclairages plus tamisés, sorte de portrait-miroir en clair-obscur de la dévoyée au destin implacable. Car enfin, au-delà du spectaculaire redondant, perle l'émotion pure au dernier acte, nimbée d'une soudaine et empathique pudeur pour la malheureuse et libertaire héroïne… Verdi et son librettiste Piave en sortent vainqueurs, leur génie dramatique résistant à (presque) tout !

Mais pourquoi diantre dès lors placer le secret premier tableau du deuxième acte dans une luxueuse villa façon années fifties de l'american way of life, sans doute très éloignée de la France ou de l'Italie balafrées de l'après-guerre, avec ce décor au design daté, et ces costumes très connotés, telles cette robe vintage en vichy affublant l'héroïne, et pourquoi plus encore parasiter le huis clos entre amants et père désemparé par des personnages superflus, tel un jardinier, des joueurs de tennis, des commis déménageurs ? Et pourquoi y faire apparaître comme pièce à conviction pour consommer la rupture des amants pour raison sociale, en simple et muette figurante, la sœur d'Alfredo, conversant avec la domestique Annina ? Ces excès d'interprétation affaiblissent sensiblement le propos plutôt que d'en renforcer la trame épurée, malgré une direction d'acteurs plutôt inventive et très théâtrale.


Violetta est sans aucun doute le rôle fétiche d' : on se souvient que voici dix-sept ans, elle perçait internationalement en remplaçant au pied levé Angela Gheorgiu à la Scala de Milan pour une Traviata dûment fêtée. Elle a incarné la courtisane phtisique plus de deux cent cinquante fois sur scène au long de sa brillante carrière. Mais a-t-elle encore aujourd'hui tous les moyens vocaux et techniques supposés pour les trois registres expressifs différents du personnage ? Avouons clairement une déception certaine après un premier acte assez inégal, ou son lirico spinto peine un peu face aux redoutables aigus de la partition : le vibrato envahissant, la justesse parfois aléatoire dans les phrases a capella, de délicats passages de registre, une projection dure d'aigus non couverts nous laissent vraiment sur notre faim et toute la fin de son Sempre libera s'avère vraiment éprouvante. Mais tout s'éclaire par la suite : dès le lever du deuxième acte, la soprano assume tout autrement l'intime affrontement matériel et psychologique avec Giorgio Germont avec une vocalité et un aplomb retrouvés, et est aussi plus que crédible et émouvante dans tout le dernier acte où ses qualités vocales font mouche et trouvent enfin leur plein épanouissement dans la fragilité d'une Violetta moribonde.

L'Alfredo de , déjà présent dans la production mosane en 2021, s'avère toujours d'un timbre mordoré assez splendide et d'un tempérament sanguin inoxydable, – ce qui n'est pas sans créer un certain déséquilibre avec sa partenaire au gré des duos du premier acte. Mais sa vocalité énamourée est assez univoque et percutante :  l'insolente facilité des aigus de son Lunga da lei ou la projection conquérante imparable de son O mio rimorso ont cette fois un  je-ne-sais quoi d'inflexible : nous souhaiterions parfois une plus grande ductilité de la ligne de chant et un sens musical du phrasé un rien plus distingué. Mais quelle santé vocale !

Le baryton, en Giorgio Germont tire habilement son épingle du jeu et  calque son incarnation vocale et scénique en pleine osmose avec le vision du metteur en scène. On ne peut que saluer son sens éprouvé du legato et l'élégance de son phrasé, même si on peut peut-être regretter dans l'absolu, un certain manque de rondeur dans l'aigu ou de large noblesse dans les graves. Mais au fil de ce singulier deuxième acte, il glisse intelligemment du ton protocolaire de ses premières interventions à une générosité empathique, avant de déchaîner son courroux avec une autonoté confondante, au fil d'un troisième tableau d'anthologie, et de faire montre d'une sincère générosité cordiale lors du tragique épilogue du drame.


Les rôles secondaires sont distribués pour la plupart avec beaucoup d'à-propos. La Flora Bervoix d' convainc tant par sa piquante et féline vocalité que par son incarnation scénique provocante. , en la pleine possession de ses moyens, est rageur et félon à souhait en baron Douphol, là où deux habitués de la scène liégeoise , en narquois marquis d'Obigny, et Luca Dell'Amico, en fringant Docteur Grenvil, assument pleinement et avec beaucoup d'à-propos leurs courtes interventions. Le Gastone de n'est pas en reste et seule peut-être l'Annina un peu trop timorée et discrète de la jeune Aurore Bauwens manque de conviction.

Les chœurs – malgré une relative fragilité des premières soprani dans l'aigu – bien préparés par , assurent vaillamment  leurs interventions et sont assez inexplicablement oubliés lors des saluts finals. Il faut surtout souligner la très solide direction, très vivace et stylée – par exemple le brindisi du premier acte – mais aussi sensible et délicatement nostalgique, au gré des préludes des actes extrêmes, d'un très concerné, mais pas toujours exemplairement suivi par un orchestre que nous avons connu plus attentif. A plus d'une reprise la fébrilité des cordes aigues et quelques petites distractions évitables de l'un ou l'autre soliste des bois viennent nous rappeler que malgré les progrès constants de l'orchestre, un renouvellement substantiel des cadres ou le travail de fond remarquable de leur chef titulaire, il n'est pas encore tout à fait au niveau de celui de La Monnaie ou même de l'Opera Ballet Vlaanderen.

Crédits photographiques © ORW-Liège/J.Berger

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