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La Tempête, Tenebrae, Aedes au Festival de Besançon : de l’éclectisme choral

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Vesoul. 17-IX-2024. Brumes, par la Compagnie La Tempête. Franz Schubert (1797-1828) : Nachthelle ; Gesang der Geister über den Wassern ; Johannes Brahms (1833-1897) : Anklänge op.7 n°3 ; Es tönt ein völler Harfenklang ; Gesang aus Fingal ; He Zigeuner, greife in die Saiten an op. 103 n°1, Wechsellied zum Tanze ; Robert Schumann (1810-1856) : Mondnacht, op.39 n°5 ; Auf eine Burg, op.39 n°7 ; In der Fremde, op.39 n°1 ; Erste Begegnung, op.74 n°1 ; Der Bleicheren Nachtlied, op.91 n°2 ; Tamburinschlägerin, op.69 n°1 ; Zigeunerleben, op.29 n°3 ; Tief im Herzen trag’ich Pein, op.138, n°2. Gustav Mahler (1860-1911) : Lieder eines Fahrenden Gesellen (extraits des n°1, 3 et 4). Musiques traditionnelles tzigane, balkanique et klezmer. Mise en scène : Simon-Pierre Bestion. Costumes : Sarah Jamaleddine. Lumières et scénographie : Marianne Pelcerf. Orchestre et Choeur de La Tempête, direction : Simon-Pierre Bestion.

Besançon. 18-IX-2024. Cathédrale Saint-Jean. Joby Talbot (né en 1971) : Path of Miracles. Tenebrae, direction : Nigel Short

Besançon. 19-IX-2024. Kursaal. André Jolivet (1905-1974) : Cinq interludes pour orgue (extraits). Francis Poulenc (1899-1963) : Figure humaine. Paschal de l’Estocart (1537-après 1587) : Octonaires de la vanité du monde (extraits). Gabriel Fauré (1893-1924) : Requiem. Avec : Agathe Boudet, soprano ; Mathieu Dubroca, baryton. Ensemble Aedes et Orchestre Les Siècles, direction : Mathieu Romano

Au cœur des dix jours de sa  77e édition, le festival offre sa vitrine internationale à trois ensembles et, au passage, à trois façons de concevoir le chant choral.


Brumes
, par La Tempête : voyage, voyages

L'ensemble fondé par , prix de la Fondation Liliane Bettencourt pour le chant choral 2022, revient à Besançon où, depuis quelques années déjà il recueille une ardente ferveur. Plus exactement à Vesoul, sur la grande scène du Théâtre Edwige Feuillère, car Brumes, le spectacle que La Tempête a créé en 2023, nécessite un vrai plateau affranchi des canons du concert.

Brumes s'attache aux pas romantiques du Wanderer, dont le voyage intérieur empruntera moult chemins de traverse lorsqu'il croisera le voyage extérieur des exilés de la planète. Forcément kaléidoscopique, et, comme à l'ordinaire magnifiquement arrangé par , Brumes est non seulement mis en musique par Schubert, Schumann, Brahms et Mahler, mais aussi par les répertoires traditionnels d'Europe centrale et klezmers invités à cohabiter, le temps d'un soir, avec ces prestigieux compagnons errants. Avec ses notes répétées, le Nachthelle de Schubert capte d'emblée l'oreille tandis que l'oeil s'impatiente de découvrir l'envers de l'immense toile blanche barrant le vaste cadre de scène du plateau. Une jeune femme joue du violoncelle à jardin, un homme se rase à cour… Empêtrés dans de longs fils, des personnages apparaissent à la rampe. Après avoir accouché d'instrumentistes, la toile tombe pour laisser place à une succession de tableaux entre forêt ténébreuse et table conviviale. L'imaginaire est celui des films à tournis de Kusturica : un mort ressuscite, une mariée est prête à léviter. Tout n'est pas immédiatement lisible, ni d'une parfaite traduction scénique mais le propos ainsi que la beauté crépusculaire de l'ensemble, avec sa rampe lumineuse à contre-jour touche néanmoins au coeur. Comme répondant à Schubert (« Âme de l'homme Comme tu ressembles à l'eau, Destin de l'homme Comme tu ressembles au vent »), c'est Schumann qui conclut un banquet final tout sauf inconséquent : « Au fond de moi, je porte ma souffrance ».

Solistes, danseurs, les treize chanteurs, s'ils ne sont pas d'aussi bons diseurs que la fabuleuse Anne-Lise Heimburger, récitante de l'Enfant noir de 2021, sont pour la plupart aussi des instrumentistes : piano, saxo, violon, guitare, clarinette, basson, cor compagnonnent avec le bugle, la trompette, l'alto et la contrebasse. Pour la première fois, , qui a réalisé la mise en scène, reste dans l'ombre de la régie, admirant lui aussi au passage la virtuosité corporelle et chantante de ses musiciens à part entière : on n'est pas près d'oublier la folle course circulaire à laquelle ces voyageurs d'un soir se livrent au final, sans qu'un seul instant la musique n'en pâtisse. Forcément impressionnant.

Le Chemin de Compostelle pour tous avec

Le lendemain, le festivalier voyage encore, mais cette fois en solitaire, avec Path of Miracles (Le Sentier des Miracles), fresque chorale d'1h10 de Joby Talbot qui fait alterner antiennes et boucles entêtantes, magnifiées çà et là de percussions cristallines évoquant des volées de cloches. D'une hauteur de vue vertigineuse avec leur écriture à dix-sept parties, les quatre étapes de la partition (Roncevalles, Burgos, León, Santiago) sont données sans prise de note entre les sections qui la composent : la performance, suivie dans un silence rare (seuls résonnent les talons des chanteurs investissant tous les recoins du lieu) est, il est vrai, proprement ahurissante.

Du début, avec son bourdon masculin montant par paliers chromatiques successifs du choeur de la cathédrale jusqu'à l'irruption extasiante des voix féminines depuis le fond de la nef, à la fin, où tous les chanteurs s'évanouissent en même temps que la musique, Path of Miracles aura fait siennes toutes les références attachées à son sujet, du Livre Vermeil de Montserrat à Philip Glass et Ola Djeilo, avec Arvo Pärt en figure tutélaire. Path of Miracles entremêle des textes médiévaux (dont le Codex Calixtinus que le pape Calixte II, né à quelques kilomètres de Besançon, consacra au culte de Saint-Jacques) et des vers du poète Robert Dickinson. L'œcuménisme musical se double d'un rassembleur geste linguistique puisque Path of Miracles est chanté en sept langues : latin, anglais, allemand, français, espagnol, grec et basque ! A l'instar du soprano survolant la stratosphère des dix minutes de León comme s'il s'agissait du Miserere d'Allegri, les vingt chanteurs dirigés par , ex-King's Singer fondateur, en 2001, de , font montre de la plus hallucinante virtuosité.

Aedes libère Poulenc et Fauré

A tous ceux qui avaient été emportés par La Tempête et , il aura fallu un temps pour reprendre leurs esprits, devant le concert plus conforme à une certaine tradition du chant choral donné par l'ensemble de  : tenue vestimentaire, alignement des troupes, prise de note, et même, étrange et si peu esthétique coutume récente, autorisation de rafraîchissements entre les pièces.

Après quelques mots évoquant les deux libérations au programme de la soirée (celle d'une ville, Paris, où, en 1945, Poulenc acheva Figure humaine ; celle d'un l'esprit, en l'occurence celui de Fauré, dont le Requiem évoque cette année le centenaire de la mort), essaie d'ouvrir une nouvelle fois la coquille de la noix si dure à craquer, même 80 ans après Figure humaine. Même judicieusement huilée ce soir par les non moins austères Cinq interludes pour orgue d', ses contemporains, Figure humaine reste l'oeuvre la plus difficile d'accès de son auteur, qui la considérait quant à lui comme une de ses plus abouties. Malgré la science des chanteurs, malgré la prononciation plutôt ciselée que quelques surtitres auraient pu toutefois seconder, malgré le sidérant aigu final de la dernière pièce (le célèbre Liberté), Figure humaine au-delà de quelques phrases-chocs pour son époque (« De tous les printemps du monde Celui-ci est le plus laid ») paraît aussi énigmatique que la poésie d'Eluard sur laquelle l'oeuvre appuie son architecture.

Ce qui n'est pas le cas du Requiem. A juste titre multi-célébré, le plus paisible des requiems est donné par dans sa version sans violons (exception faite de celui du Sanctus). Dès l'introduction savamment pesées par les instruments d'époque des Siècles, avec un dosage orgue/contrebasses très pensé, la version de chambre de 1893, qu'Aedes a enregistrée en 2019, s'avère des plus pertinentes avec sa harpe au premier rang. Très retenu, comme lui aussi envoûté par la beauté de la partition, qu'il fait chanter dans sa prononciation à la française, Mathieu Romano s'autorise à pousser le potentiomètre sur un Dies irae prenant. Aucun effet de manche non plus chez les solistes (, ) en tous points sereins pour ce Requiem étrangement truffé de trois Octonaires de Paschal de l'Estocard sur la vanité du Monde : « Le Monde et ce qui est sien S'esvanouit tout en rien. »

Refermé sur un Cantique de Jean Racine où tous les musiciens se mêlent à l'avant-scène, ce concert en forme de retour à l'ordre conclut trois soirées données sans entracte en compagnie de trois ensembles, dont les différences se seront néanmoins accordées sur un point : les infinies possibilités offertes à l'immarcescible beauté de la voix humaine.

Crédits photographiques : © Yves Petit

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Vesoul. 17-IX-2024. Brumes, par la Compagnie La Tempête. Franz Schubert (1797-1828) : Nachthelle ; Gesang der Geister über den Wassern ; Johannes Brahms (1833-1897) : Anklänge op.7 n°3 ; Es tönt ein völler Harfenklang ; Gesang aus Fingal ; He Zigeuner, greife in die Saiten an op. 103 n°1, Wechsellied zum Tanze ; Robert Schumann (1810-1856) : Mondnacht, op.39 n°5 ; Auf eine Burg, op.39 n°7 ; In der Fremde, op.39 n°1 ; Erste Begegnung, op.74 n°1 ; Der Bleicheren Nachtlied, op.91 n°2 ; Tamburinschlägerin, op.69 n°1 ; Zigeunerleben, op.29 n°3 ; Tief im Herzen trag’ich Pein, op.138, n°2. Gustav Mahler (1860-1911) : Lieder eines Fahrenden Gesellen (extraits des n°1, 3 et 4). Musiques traditionnelles tzigane, balkanique et klezmer. Mise en scène : Simon-Pierre Bestion. Costumes : Sarah Jamaleddine. Lumières et scénographie : Marianne Pelcerf. Orchestre et Choeur de La Tempête, direction : Simon-Pierre Bestion.

Besançon. 18-IX-2024. Cathédrale Saint-Jean. Joby Talbot (né en 1971) : Path of Miracles. Tenebrae, direction : Nigel Short

Besançon. 19-IX-2024. Kursaal. André Jolivet (1905-1974) : Cinq interludes pour orgue (extraits). Francis Poulenc (1899-1963) : Figure humaine. Paschal de l’Estocart (1537-après 1587) : Octonaires de la vanité du monde (extraits). Gabriel Fauré (1893-1924) : Requiem. Avec : Agathe Boudet, soprano ; Mathieu Dubroca, baryton. Ensemble Aedes et Orchestre Les Siècles, direction : Mathieu Romano

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