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Tugan Sokhiev et l’Orchestre de l’Opéra national de Paris : une belle rencontre, plus si affinités…

Un Orchestre sans chef et un chef sans orchestre se rencontrent autour de la terrifiante Symphonie n° 4 de .

revient à son cœur de répertoire avec cette colossale Symphonie n° 4 de , d'une complexité inouïe composée initialement en 1934, mise de côté au moment des grandes purges staliniennes de 1935 pour échapper aux accusations de « formalisme » et finalement créée en 1961 à Moscou sous la direction de Kirill Kondrachine. Tout dans cette symphonie est hors normes : sa genèse chaotique, sa création empêchée par la censure stalinienne, son intense puissance d'évocation, sa charge émotionnelle suffocante, son expression d'une particulière âpreté faite de violence, de cris, de dissonances, de maelstrom rythmique, de bribes mélodiques tronquées, de contrastes fulgurants, d'ironie équivoque, d'acidités harmoniques, de dérision et de lamentation, d'espoir et de regrets…Toutes caractéristiques achevant d'en faire un véritable défi pour tout chef et tout orchestre qui s'y aventure… que  relève avec maestria ce soir, à la tête d'un orchestre de l'Opéra de Paris chauffé à blanc, d'une virtuosité éblouissante constamment sollicitée par une orchestration foisonnante et dispersée.

Ayant déjà gravé une intégrale du corpus symphonique de Chostakovitch avec l'Orchestre national du Capitole de Toulouse, le chef, pour ses débuts face à l'orchestre de l'Opéra de Paris, nous livre une interprétation marquante de cette symphonie énigmatique qui représente le «credo » du travail créatif de Chostakovitch, rassemblant dans une même totalité des formes musicales hétérogènes (forme sonate, fugues, marches, danses ) qu'il transformera à l'envi pour les rendre méconnaissables avant de les intégrer dans une symphonie-monde, reflet d'un univers qui s'effondre en même temps que refuge contre la peur. Toute entière habitée de désolation elle se décline en trois mouvements : un monumental l'Allegro initial voit s'affronter les masses orchestrales dans un discours titanesque où l'on admire, tout à la fois, la maestria de la direction très attentive, la tension intense, l'impeccable mise en place, la texture sans lourdeur, la beauté des contrechants, les rafales de vents véhéments et de cordes mordantes, la violence des tutti vertigineux concluant des crescendos parfaitement menés, autant que les performances solistiques individuelles (basson, clarinette basse, petite clarinette, piccolo, cuivres, percussions et violon solo) ;  entamé par le pupitre d'altos le Moderato con moto offre un court moment de lyrisme (cordes), dans un dialogue envoûtant entre cordes et bois dont on apprécie, là encore, la dynamique serrée, renforcée par les répétitions lancinantes du thème autant que par les sonneries de cuivres (trompette et trombone) et les percussions (timbales et castagnettes) omniprésentes ; juxtaposant différents climats, le Finale débute dans l'affliction par la péroraison lugubre du basson conduisant une marche funèbre âpre et tendue qui mêle désolation et dérision, entrecoupée par les stridences sardoniques du piccolo, sur une scansion rythmique oppressante et inexorable, avant qu'au mitan du mouvement, l'espoir ne fasse une courte apparition au son de la flûte et de la harpe, soutenues par des cordes lyriques presque joyeuses inaugurant une valse qui dans ce contexte sonne étonnamment faux. Court moment de détente avant que l'inquiétude ne se réinstalle à nouveau avec des timbales menaçantes annonçant un vaste crescendo dévastateur qui emporte tout sur son passage, ne laissant après lui qu'un paysage musical désertique et désolé, début d'une coda énigmatique où les bribes mélodiques du cor, de la flûte et du célesta figurent les restes d'une humanité laminée qui refuse de s'éteindre…poignant !

Crédit photographique : © Marc Brenner   

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