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Emilia Pérez : Regarde les hommes changer

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Emilia Pérez. Un film de Jacques Audiard. Scénario : Jacques Audiard, librement adapté du roman de Boris Razon : Ecoute. Musique originale et chansons : Clément Ducol, Camille. Musique et productions additionnelles : Maxence Dussert. Chorégraphie : Damien Jalet. Avec :Karla Sofia Gascón, Zoé Saldaña, Selena Gomez, Adriana Paz, Edgar Ramirez, Mark Ivanir, Eduardo Aladro, … Distribution : Pathé. Sortie le 21 août 2024. Format 2,35. Durée : 132:00

 
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En mélangeant, au propre comme au figuré, tous les genres, ajoute un titre-phare au glorieux corpus des comédies musicales françaises, catégorie cinématographique qu'il serait judicieux, voire urgent, de débaptiser. Mais comment la Palme d'Or a-t-elle pu échapper à Emilia Pérez ?

Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort, Une chambre en ville autrefois, Annette hier, Emilia Pérez aujourd'hui : la comédie musicale à la française se démarque une fois encore de celle définie par l'industrie hollywoodienne. Dans le sillage des dramaturgies sophistiquées et mélancoliques des films de Jacques Demy, celles des films de Leos Carax et de propulsent le genre à une hauteur autrement moins inconséquente que celle du divertissement américain.

Il y a exactement vingt ans, avec Regarde les hommes tomber, son premier film, commençait à dérouler le fil rouge d'une filmographie attachée à questionner la virilité. Un héros très discret, son deuxième opus, voyait sa singularité magnifiée par la partition musicale, principalement interprétée par le Traffic Quartet, du jeune Alexandre Desplat, futur compositeur à suivre. Deux composantes qui aboutissent aujourd'hui, en toute logique, à l'incroyable dramaturgie de son dixième film, Emilia Pérez.

Manitas, narco-trafiquant (qu'on aurait pu trouver dans Un prophète) qui veut changer de sexe (une idée prélevée dans le roman de Boris Razon Écoute) et qui devient une sainte : ce postulat audacieux, dont on se demande encore comment il a pu être accepté par un producteur, est de fait rendu des plus crédibles par le genre musical le plus expert en matière de couleuvres scénaristiques : l'opéra, ou, ce qui s'en approche le plus, la comédie musicale. Bien que la très lâche bande-annonce du film ne laisse à aucun moment supposer qu'Emilia Pérez transforme la parole en notes (ce qui en dit long sur la peur qu'inspire toujours le cinéma en-chanté, comme disait Demy), il faut reconnaître que si le film éblouit tant (même dans son unisson sur les joies de la vaginoplastie !), c'est parce qu'il est parlé, chanté, dansé. Puisse sa réussite exemplaire faire enfin évoluer les mentalités sur ce plan-là aussi…

Après Michel Legrand, Michel Colombier, les Sparks, c'est donc au tour de (pour la musique) et de (pour les paroles) de séduire d'emblée avec une partition faite pour durer. Bien que donnant le sentiment d'être toujours trop brèves, les chorégraphies millimétrées de (même les fusils ont droit à la leur) sont une autre source d'intense jubilation. Visiblement galvanisé par tant de talents réunis, le style de Jacques Audiard, plus tranchant que jamais grâce au montage affûté de Juliette Welfling, navigue avec beaucoup d'à-propos entre la violence et la tendresse inhérentes au sujet : impossible de rester de marbre face à la scène où le narco-trafiquant parle de ce corps dont il veut s'échapper, et encore moins face à cette autre où l'enfant reconnaît l'odeur de son père…

La force du film, récompensé du Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, est telle que l'on s'en veut de l'agacement passager ressenti à la remise du quadruple Prix d'interprétation féminine, lorsque l'actrice transgenre Karla Sofía Gascón s'était lancée seule au micro dans une logorrhée dont le militantisme nécessaire finissait presque par nuire à la cause qu'elle entendait défendre. Ce que le film fait très bien, l'actrice, qui fut acteur, d'abord des plus crédibles en homme comme en femme, s'y révélant de bout en bout fascinante en Emilia : « la Belle et la Bête dans un même corps », dixit très justement Karla Sofia Gascón. Zoe Saldaña, véritable machine à danser, atteint d'autres cimes en cheville ouvrière de la machine Manitas/Emilia. Selena Gomez, à qui est confié le tube Mi Camino, explose elle aussi dans le rôle de l'épouse qui, contrairement au spectateur mis dans la confidence, ne sait pas qu'elle partage son quotidien avec son ex-mari. Adriana Paz apporte, dans le rôle plus posé de la bien nommée Epiphania, le contrepoint émotionnel nécessaire à l'énergie sidérante de la caméra d'Audiard. Toutes chantent et dansent en espagnol, devenu le temps d'un film, le plus logique des espéranto. Autre tour de force : hormis quelques plans d'ensemble de Mexico, le film a été entièrement tourné à Paris, ce qui ne l'empêche pas de brosser un portrait crédible d'un monde où, rappelle Karla Sofía Gascón, « les parents préfèrent que leur fils soient des trafiquants plutôt que des p… ».

« Ce n'est pas une comédie musicale » se démarque le réalisateur. Dont acte : tragédie musicale haute en couleurs, Emilia Pérez entend, mine de rien, régler son compte à une certaine masculinité toxique. Presque dix ans avant Regarde les hommes tomber, le poète chantait déjà : « aucune femme n'est assez vulgaire pour astiquer un revolver ». Plus désabusé, Emilia Pérez, au-delà de sa galvanisante conclusion mélancolique (merci en passant aux Passantes de Brassens), laisse sourdre à son insu cette petite musique du rêve d'un monde où la violence serait enfin éradiquée du quotidien des hommes. Et des femmes.

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Emilia Pérez. Un film de Jacques Audiard. Scénario : Jacques Audiard, librement adapté du roman de Boris Razon : Ecoute. Musique originale et chansons : Clément Ducol, Camille. Musique et productions additionnelles : Maxence Dussert. Chorégraphie : Damien Jalet. Avec :Karla Sofia Gascón, Zoé Saldaña, Selena Gomez, Adriana Paz, Edgar Ramirez, Mark Ivanir, Eduardo Aladro, … Distribution : Pathé. Sortie le 21 août 2024. Format 2,35. Durée : 132:00

 
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