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La Flûte enchantée par l’Ensemble Virêvolte : un Opéra promenade hilarant

Deuxième acte de la transmission, par le Théâtre Edwige Feuillère de Vesoul, du concept d'opéra promenade que Charlotte Nessi, après l'avoir imaginé dès 2000 avec son Ensemble Justiniana, a souhaité voir pérennisé par d'autres compagnies. Après Summertime confié en 2022 et 2023 au Collectif du Chaperon Rouge, c'est au tour de l' d'emmener l'avant-dernier opéra de Mozart en balade dans dix villages de Bourgogne-Franche-Comté.

On se demandait bien ce que Virêvolte, la compagnie fondée par la soprano Aurore Bucher, allait faire de La Flûte enchantée. Ré-écrite par la cheffe de chant , la version de Virêvolte, chantée en français, a balayé toutes nos craintes, se révélant, dans la mise en scène de , et la transcription orchestrale de , un modèle de second degré souriant.

Promené ce soir au fond de la Haute-Saône, dans le village d'Amance, le chef-d'œuvre mozartien, est sous-titré « Une quête musicale en cinq tableaux ». Le premier, intitulé « La Clairière magique », n'est pas sans inspirer quelques craintes avec sa toile peinte déposée sur la caravane de la Compagnie (qu'on découvrira en antre de la Reine de la Nuit), ses maquillages improbables, sa garde-robe qui semble de fortune, sa poignée de pupitres abandonnés dans l'herbe d'un pré. On a forcément une pensée pour l'OZA (l'Opéra Zéro Achat) pratiqué depuis peu par quelques maisons d'opéra. Mais on n'a encore rien entendu ni vu…

Lorsque la guirlande d'ampoules et l'échelle que l'on avait à peine remarquées s'allient pour devenir le dragon qui terrifie Tamino, lorsque les trois Dames s'écharpent crûment autour du physique de Tamino, lorsque le violon se met à tourner malicieusement autour de ce dernier pour l'Air du portrait, lorsque la Reine apparait dans son rocking chair, s'installe définitivement sur les lèvres un sourire qui fera souvent place à la franche hilarité. C'est l'une des originalités de cette très énergique nouvelle Flûte enchantée : les chanteurs y sont instrumentistes (Tamino à la flûte, Papageno au glockenspiel, Pamina aux percussions, Sarastro au violoncelle et à la trompette) et les instrumentistes y sont chanteurs.

Emmené par le sublime « Drei Knäbchen jung, schön, hold und weise » répété à l'envi, on déambule ensuite vers le second tableau (« Au détour d'un chemin »), lequel n'intime pas non plus les zygomatiques au repos avec sa Pamina ligotée à un poteau, essayant d'attirer l'attention de ses prétendus sauveteurs. Le duo Bei Männern, welche Liebe fühlen déborde ensuite de son cadre habituel en hit à danser puis en rengaine jazzy de la seconde déambulation jusqu'à la bien-nommée « Frontière ».

Là, comme dans l'opéra de Mozart, les choses basculent au moment où le violoncelliste faisant office de Sprecher, se met à chanter, d'une voix qui pourrait être celle de l'homme de la rue ! Forcément détonnant au coeur d'une distribution qui aligne de solides talents lyriques aux voix travaillées, ce choix dramaturgique, vrai piège à puristes, s'avère de fait le coup de génie de La Flûte enchantée de Virêvolte, lorsque ce Sprecher (qui n'a jamais aussi bien porté son nom) se met à endosser la partie autrement ardue de Sarastro ! Incarné par (un des plus remarquables comédiens du moment), ce Sarastro d'opérette, qui a toutes les notes du rôle à défaut d'en avoir l'ampleur lyrique, conduit dès lors le spectacle à des sommets de second degré, biffant au passage tout ce que La Flûte pourrait avoir de pontifiant.

Après que l'ineffable Marche de l'Acte II aura conduit les spectateurs dans « La Cité des initiés », le dernier tableau (« La Place des épreuves ») entérine la réussite du spectacle autour d'un luttant, non seulement avec un fumigène trop généreux et un pistolet à eau se retournant contre lui, mais aussi avec les bégaiements répétés d'un clocher comtois égrenant ses coups de onze heures ! Un final également hilarant avec sa Papagena condamnée à une envahissante maternité, et son pugilat final au ralenti qui laisse augurer de belles journées à vivre entre hommes et femmes… sentiment qui se prolonge en bis par le bouleversant « Monde est stone » de Michel Berger parasité de fragrances mozartiennes.

L'humour n'étant pas tout, La Flûte enchantée doit bien sûr reposer sur un orchestre qui a fort à faire (celui de ce soir est de bout en bout remarquable) et de chanteurs à toute épreuve. C'est le cas avec la Pamina assez corsée d', presque une amazone, avec le reptilien Papageno d', la Papagena délicieuse et la deuxième Dame de , le Monostatos génialement repoussant et l'« hénaurme » troisième Dame de . Cette Flûte s'honore en outre d'une vraie Reine de la Nuit : (également première dame) dont les coloratures diaprées résonnent à ravir dans l'air encore chaud de l'été. Anna Swieton, Mathilde Berthier (violons) et Pauline Le Toullec (alto) sont de merveilleux enfants, ceux du village, inclus par la production, étant utilisés comme porte-ballons déambulatoires puis animaux sauvages d'un quizz mené là encore avec un humour bien décalé par le délicat Tamino de . Toutes et tous sont mis à contribution pour quelques bribes chorales, dans l'attente que l'été 2025 ne vienne enrichir cette Flûte enchantée, c'est devenu l'usage dans ces opéras promenés sur deux années, d'un véritable choeur.

Donnée une dernière fois le 21 septembre prochain dans le cadre de la Cité de la Voix, nul doute que cette Flûte enchantée n'a pas fini de réjouir les spectateurs.

Crédits photographiques : © Nicolas Esseiva

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