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À Lucerne, Daniil Trifonov superlatif et Klaus Mäkelä appliqué

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Lucerne. KKL Luzern, Konzertsaal.
4-IX-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano et orchestre no. 25 en do majeur KV 503. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie no. 6 en la majeur WAB 106. Daniil Trifonov (piano). Gewandhausorchester Leipzig. Direction musicale : Andris Nelsons.

5-IX-2024. Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 35. Hector Berlioz (1803-1869) : Symphonie fantastique op. 14. Lisa Batiashvili (violon). Orchestre de Paris-Philarmonie. Direction musicale : Klaus Mäkelä.

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Jouissant de la miraculeuse acoustique de l'auditorium du KKL de Lucerne, le public n'a pu que se prosterner devant la superlative prestation d'un génial dans le 25e concerto pour piano et orchestre de Mozart reléguant quasiment au titre de complément tout le reste de la musique donnée pendant ces deux journées. 

Traversant la scène à grandes enjambées, s'empresse à son piano. Saluant l'orchestre d'un bref hochement de la tête, il s'assied à son instrument avant même que le chef passe vers son estrade. Réalisant soudain que les gestes de la tradition n'ont pas été respectés, comme surpris, il se relève, salue gauchement le public et le chef d'orchestre avant de se rassoir. Le pianiste russe n'est pas là pour ces cérémonies. Il est dans l'urgence de raconter son histoire. Devant son piano, presque nerveux, agité, pressé, il ne se reprendra que lorsque retentiront les premiers accords du Concerto pour piano et orchestre n° 25 en do majeur KV 503 de Mozart. S'imprégnant de la musique, sa tête, puis son corps peu à peu se balancent discrètement. Un léger flottement des cordes le dérange à peine. Les mains sur ses cuisses, il attend fébrilement le moment de les poser sur le clavier. Bientôt, le piano entre en scène. Trois notes. Magnifiques, sublimes. Quel brillant, quel toucher, quelle clarté, quelle beauté de jeu. mêle ses notes à celles de l'orchestre avec un naturel désarmant. Rien n'existe plus que le chant, le contrechant, les subtils et incisifs traits de piano qui s'insèrent parfaitement dans les voix de l'orchestre. Une symbiose totale. Parce qu'avec ce concerto, nous ne sommes plus dans l'idée d'un soliste accompagné par un orchestre. Mozart, à l'instar de Beethoven, donne au piano un rôle complémentaire de l'orchestre. Il souligne, anticipe la mélodie de l'ensemble. L'orchestre de son côté indique, suggère la phrase du piano. A ce jeu, Daniil Trifonov et le sous la baguette d' parviennent à une entente parfaite. Il est vrai qu'ils peaufinent ce concerto de scène en scène depuis plus de deux ans. Reste que le piano et la musicalité de Trifonov font merveille. Quel brio, quelle intelligence le pianiste offre dans ses cadences. Reprenant avec une époustouflante agilité les thèmes du mouvement initial, quel charme dans son imagerie des citations de La Marseillaise que le maître de Salzbourg avait inséré dans ce concerto en hommage à Ignace Joseph Pleyel (1757-1831), un des contributeurs supposés à la composition de l'hymne.
A l'attaque de l'Andante, on retient son souffle. Non pas. C'est Daniil Trifonov qui nous coupe le souffle avec un piano si éthéré qu'on pense qu'il effleure les touches comme s'il hésitait à ce que l'on entende la divine musique de Mozart. Pourtant, quelle précision, quelle intention dans chacune de ses notes. Comme un miel bienfaisant, l'orchestre déroule un tapis musical d'une grande fluidité sur lequel se love le piano de Trifonov.
Quand s'enchaîne le Rondo final, chacun de l'orchestre et du soliste s'enquiert de l'autre. D'une main soudain libérée, Daniil Trifonov esquisse un mouvement irrépressible de direction. De la main et du bras tournoyant, il appelle l'orchestre qui répond promptement sans jamais se départir de sa musicalité. Chacun à sa place avec pour seul but : Mozart. L'ultime accord résonne encore que le public, emporté par cette superbe interprétation, hurle ses bravos à une prestation en tous points magistrale.
Rappelé maintes fois, Daniil Trifonov salue en courtes et rigides révérences avant d'offrir un bis d'une trentaine de secondes d'une mélodie enfantine en signature de ce qu'il pouvait ressentir à cet instant.
Décidément, cet homme n'a pas tout ce que nous avons mais il a quelque chose de merveilleux que nous n'avons pas.

En seconde partie de concert, la pièce maîtresse de la soirée était attendue sous la forme de la Symphonie n° 6 en la majeur d'. Certes, après le chant tout en finesse de Mozart, la masse sonore de cette symphonie contraste violemment. Mais l'orchestre du Gewandhaus de Leipzig est rompu à cet exercice et son chef empoigne avec autorité les dessins si particuliers de cette oeuvre. Dans ce premier mouvement Majestoso, fait montre de contrastes sans pour autant contenir quelques imprécisions. Est-ce la structure de l'oeuvre, l'esprit du moment ou l'émotion résiduelle de la première partie du concert ? Reste que l'impression de l'interprétation demeure comme exempte d'inspiration. Certes, tout semble en place mais ça manque de souffle, de consistance, de continuité. Si l'Adagio semble plus inspiré, les contrastes de l'orchestre peinent à convaincre. Les pianissimo apparaissent hésitants, en tous cas d'une qualité d'exécution insuffisante. Dans le Scherzo, l'orchestre semble se retrouver quand bien même peine à retenir l'attention de l'auditoire. Dans le Final, on se dit qu'il n'est pas aisé de tenir l'auditeur en haleine pendant plus d'une heure dès lors qu'on s'efforce de tenir l'orchestre dans des rails plutôt que raconter une histoire.

Au lendemain de ce concert, plus un strapontin de libre dans la salle du KKL. On affiche complet pour la venue du chef à la carrière fulgurante à la tête de son . Son entrée sur la scène lucernoise confirme la popularité attachée à sa personne.

Quelques semaines après leur prestation au Festival de Salzbourg, reprend date avec la violoniste pour le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur de Tchaïkovski avec l'. Vêtue aux couleurs de l'Ukraine, jupe bleue et corsage ajusté jaune, la violoniste toute auréolée de sa résidence récente auprès de l'Orchestre Philharmonique de Berlin s'installe aux cotés de l'estrade du jeune et fringant chef d'orchestre. Comme une signature, les toutes premières mesures d'introduction sont jouées avec une extrême douceur, une douceur frémissante d'une rare beauté. On espère une interprétation qui sortirait des sentiers battus. Non tant par le jeu de la soliste tant la partition, réputée injouable, occupe chaque seconde de l'instrumentiste mais par l'esprit que si souvent sait insuffler à ses prestations. Las, la sauce ne prend pas. S'il est certain que dépense beaucoup d'énergie à rendre le discours violinistique plaisant et que, de son côté, le chef dirige avec beaucoup d'élégance un très appliqué, on ne se sent pas emporté. Dans l'Andante, le violon de délivre un discours d'une grande beauté, avec un son de l'instrument très plaisant. Mais peut-être même parce qu'il est trop beau, trop lisse, ne parvient-il pas à convaincre pleinement. Quant à lui, Klaus Mäkelä ne réussit pas à prendre le commandement de ce concerto, se bornant à n'être qu'un accompagnateur de la soliste. Tout cela manque de conviction. On frise la routine.

En seconde partie, Klaus Mäkelä s'emploie à nous faire partager sa conception de la Symphonie fantastique de Berlioz. Se démenant comme un beau diable sur son estrade, le chef nous apporte une vue à l'image de sa personne. De l'élégance, du geste, de l'envolée, de l'humeur, beaucoup de légèreté mais parfois son regard s'échappe au détour d'une belle phrase. Ainsi, dans le premier mouvement Rêveries – Passions, si la musique de Mäkelä est belle, on aurait aimé qu'elle s'attache plus à ce que Berlioz ressentait plutôt qu'à nous offrir de la seule belle musique. Dans Un bal, le chef le raconte avec beaucoup de grâce dédiant toute son attention aux cordes ne ménageant pas son expressivité corporelle pour accentuer ses désirs musicaux. Les Scènes aux champs manquent à nouveau de substance pour convaincre. Trop de dentelle, de soucis du détail nuisent finalement au discours. Dans les deux derniers mouvements, la Marche au supplice et le Songe d'une nuit du Sabbat, la partition plus spectaculaire de Berlioz convient à la démonstration peut-être excessive que Klaus Mäkelä offre au public. En résumé, si la jeunesse bondissante du chef, son charisme, sa présence, sont autant d'atouts justifiant l'intérêt que lui porte le public, on ne peut qu'espérer qu'il s'offre cependant le temps d'approfondir les œuvres qu'il présente pour en donner la conception qu'on attend d'un chef aussi talentueux.

Crédits photographiques : Photos du concert du © Patrick Hürlimann/Lucerne Festival ; Photos du concert de l'Orchestre de Paris © Manuela Jans/Lucerne Festival

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Lucerne. KKL Luzern, Konzertsaal.
4-IX-2024. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano et orchestre no. 25 en do majeur KV 503. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie no. 6 en la majeur WAB 106. Daniil Trifonov (piano). Gewandhausorchester Leipzig. Direction musicale : Andris Nelsons.

5-IX-2024. Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 35. Hector Berlioz (1803-1869) : Symphonie fantastique op. 14. Lisa Batiashvili (violon). Orchestre de Paris-Philarmonie. Direction musicale : Klaus Mäkelä.

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3 commentaires sur “À Lucerne, Daniil Trifonov superlatif et Klaus Mäkelä appliqué”

  • Louy dit :

    La Marseillaise a été composée après ce concerto de Mozart.

  • Francis RUEFF dit :

    Pas d’ accord avec la critique du concert de l’ orchestre de Paris : formidable violoniste à la superbe sonorité ;
    dans un engagement total a livré une magnifique interprétation du concerto, on entendait tout car jamais
    couverte par l’ orchestre ( nous étions placés au 4è balcon tout en haut ).
    La fantastique de Berlioz par des instrumentistes hyper virtuoses et un chef directif mais pas trop.
    Un concert exceptionnel que la salle a vraiment apprécié.
    Francis ( Strasbourg )

  • Francis RUEFF dit :

    Si c’ est publié : mettre Francis R. svp !

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