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Le Freischütz vu par Philip Stölzl à Bregenz : happy end or not happy end ?

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Bregenz. Festspielhaus. 18-VIII-2024. Carl Maria von Weber (1786-1826) : Der Freischütz, opéra romantique en trois actes sur un livret de Johann Friedrich Kind. Avec : Liviu Holender, baryton (Ottokar) ; Raimund Nolte, baryton-basse (Kuno) ; Elissa Huber, soprano (Agathe); Gloria Rehm, soprano (Ännchen) ; Thomas Blondelle, ténor (Max) ; Oliver Zwarg, basse (Kaspar) ; Frederic Jost, basse (Un Ermite) ; Philippe Spiegel, baryton (Kilian) ; Sarah Kling, mezzo-soprano/Sarah Schmidbauer, soprano (Demoiselles d’honneur) ; Moritz von Trauenfels, rôle parlé (Samiel). Prague Philharmonic Choir (chef de choeur : Lukas Vasilek), Bregenzer Festspielchor (chef de choeur : Benjamin Lack) et Wiener Symphoniker, direction : Erina Yashima

Carl Maria von Weber (1786-1826) : Der Freischütz, opéra romantique en trois actes sur un livret de Johann Friedrich Kind.Mise en scène et décor: Philip Stölzl. Costumes : Gesine Wöllm. Lumières: Philip Stölzl, Florian Schmitt. Avec : Liviu Holender, baryton (Ottokar) ; Franz Hawlata, basse (Kuno) ; Nikola Hillebrand, soprano (Agathe); Katarina Ruckgaber, soprano (Ännchen) ; Mauro Peter, ténor (Max) ; Christof Fischesser, basse (Kaspar) ; Andreas Wolf, basse (Un Ermite) ; Maximilian Krummen, baryton (Kilian) ; Sarah Kling, mezzo-soprano/Teresa Gauss, soprano (Demoiselles d’honneur) ; Moritz von Trauenfels, rôle parlé (Samiel). Prague Philharmonic Choir (chef de choeur : Lukas Vasilek), Bregenzer Festspielchor (chef de choeur : Benjamin Lack) et Wiener Symphoniker, direction : Enrique Mazzola. 1 DVD C Major. Enregistré les 17 et 19 juillet 2024 sur la Seebühne de Bregenz. Sous-titres : allemand, anglais, japonais, coréen. Notice bilingue (allemand, anglais) de 30 pages. Durée : 128:00 (opéra) ; 25:00 (A Winter’s tale : inside Der Freischütz at Bregenzer Festspiele, documentaire de Nikolaus Küng)

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« Le vrai pèlerin devrait aller à Bayreuth à genoux » conseillait Lavignac. À Bregenz, c'est avec un imperméable que le voyage doit se faire. Et encore, pas sûr qu'à l'arrivée, le spectacle auquel on a rêvé des mois durant soit joué. Sur les 28 représentations programmées cette année du 17 juillet au 18 août du Freischütz vu par , une seule annulation : la dernière. Heureusement le DVD, déjà publié par C Major, permet d'appréhender la diabolique réalisation de , dont le Rigoletto de 2019 avait reçu un accueil unanime.

La Nuit du 18

Il est très rare que Bregenz annule les représentations prévues sur la Seebühne. Plus d'une fois, celles-ci s'y sont déroulées sous une pluie qui n'a jamais fait fuir les 7 000 spectateurs accourus du monde entier pour monter dans le grand huit lyrique proposé par le festival. Ce 18 août, ce n'est qu'une demi-heure avant le début du spectacle que les aficionados de la manifestation, jusque-là enjoints de quart d'heure en quart d'heure par des hauts-parleurs à l'achat d'imperméables, apprennent le report définitif du Freischütz à l'intérieur du Festspielhaus dans une version de concert spatialisée. De rares applaudissements saluent cette décision désolante pour tous ceux qui, bien que parés pour une nuit extrême, sont bien forcés de rendre les armes : le décor construit sur le lac est devenu une patinoire impraticable, en même temps qu'un piège pour des artistes déjà très sollicités en terme de performance physique par le cahier des charges de la manifestation. Le Festspielhaus ne pouvant contenir que 1 700 places, un système de billets remboursables trie les spectateurs autorisés au repli. Les décisions se prennent dès lors dans une urgence dommageable quant au remplissage d'une salle où subsisteront au final plus d'un fauteuil libre.

Avant que le festival ne rende un hommage ému à Elisabeth Sobotka, dont l'édition 2024 signe les adieux, les amateurs de versions de concert auront pu se consoler en admirant de visu la prestation (habituellement cachée et retransmise par des écrans latéraux sur la Seebühne) de la jeune cheffe allemande , dont le geste généreux et l'élan communicatif entraînent les Wiener Symphoniker dans une exécution d'excellente qualité. La distribution prévue pour cette dernière affiche de solides atouts : le Max sans reproche de , l'Ännchen décidée de Gloria Roehm, le Killian bien macho de , le Kuno bonhomme de , le Kaspar tranchant très Theo Adam d', l'Ermite invisible de , l'Ottokar somptueux de Liviu Hollender, l'Agathe d' apparaissant quant à elle plus scolaire. En le voyant dès le début slalomer entre les cercueils qui encombrent la rampe et troquer la soutane noire de l'officiant pour le cuir rouge de l'esprit du Mal, on devine, malgré l'absence de sur-titres français, que le très loquace Samiel de Moritz von Treuenfels est le personnage principal du Freischütz de , dont ne subsiste en fond de scène qu'une image aux couleurs changeantes. Le lieto fine de l'opéra, tuilé avec l'effroi soudain qui peut se lire sur les visages des protagonistes, intrigue.

Mais que s'est-il passé ? Réponse l'an prochain (à Bregenz chaque nouvelle réalisation couvre deux saisons) ou, pour les plus impatients, sur le DVD ci-dessous déjà paru.

L'édition DVD : Pourquoi aimez-vous tant les happy end ?

Cette question, autour de laquelle Philip Stölzl entend tourner, apporte à l'intrigue particulièrement tarabiscotée du Freischütz, une lisibilité inédite. Mais il s'agit d'abord de séduire son public, ce que réussit d'emblée l'étonnant décor de village en hiver ravagé par la Guerre de Trente ans (l'époque indiquée par le livret) dont les reliefs épars émergent du Lac de Constance : clocher et maisons de guingois, végétation squelettique, rues fréquentées par des rescapés contraints de cheminer sur des pentes verglacées, de se réfugier sur les toits de demeures devenues inhabitables, de patauger sous une lune blafarde dans l'eau, dont le niveau semble menacer encore.

Un prologue montre l'enterrement d'Agathe, tuée par mégarde (et par son fiancé !) à l'Acte III. Une populace en furie, conduite par une Ännchen accablée, lynche le pauvre Max, le seul qui n'est pas parvenu à tirer le coup qui n'était que jeu d'enfant pour les mâles du village dopés au fracas des armes : ce virilisme à l'origine de trente années de guerre a fait que Dieu semble s'être lassé de l'endroit, laissant à Samiel la mainmise sur les lieux et les êtres, et également, dans le cerveau de Stölzl, sur la dramaturgie, un parti-pris à même de ravir tous ceux qui pensent que la scène de la Gorge aux loups est le sommet de l'œuvre. Après que le cadavre de Max a été englouti dans les eaux froides, Samiel ordonne à l'horloge du clocher de remonter le temps pour comprendre comment le seul intellectuel du village a été lynché par les habitants de ce village maudit, dont la seule bande-son se résume au souffle de la bise, des craquements sinistres, un glas et de lugubres coassements.

A l'Acte III, lorsque le coup fatal atteindra Agathe (la fin atroce prévue dans le conte originel d'August Apel, mais revue par un Weber soucieux de ne pas effaroucher son public), Samiel arrête à nouveau l'action pour une ultime adresse au public, qu'il questionne enfin frontalement quant à sa conception du divertissement, à son besoin à tout prix de fin heureuse. Il fait ensuite repartir les horloges en sens inverse : on revoit les , invectives d'Ännchen, le lynchage, mais, cette fois, avant que Max ne soit envoyé ad patres dans l'onde, l'Ermite paraît pour que l'intrigue se termine en chansons. On y croit… jusqu'à ce qu'un dernier twist montre que l'Ermite ex machina n'était en fait que Samiel travesti en image pieuse ! Un rire de dément referme dès lors ce Freischütz bien décidé à faire sortir du bois son spectateur.

Spectaculaire (une Gorge aux loups au kitsch assumé, vue en cauchemar d'Agathe lévitant vertigineusement dans son lit de fer) et intelligente (une savante ré-écriture qui ne contredit en rien le livret), la vision de Stölzl pare la dramaturgie indéchiffrable de l'œuvre d'une vraisemblance inédite : pour preuve le touchant regard posé sur l'inconséquente Ännchen, vue par Stölzl en porte-étendard d'une contestation de  l'injonction au mariage à tout prix, et même en amoureuse sincère d'Agathe, au grand dam de Samiel, visiblement dépassé par les évènements. Avec ce Freischütz allant jusqu'à remettre en cause la notion même de divertissement (au départ l'ADN de Bregenz) Philip Stölzl définit parfaitement la mission spécifique de ce festival qui entend également faire rimer se divertir avec réfléchir.

Au côté de ce Samiel (toujours incarné par le sinueux Moritz von Treuenfels) intervenant même au milieu des airs des protagonistes, ce Freischütz tient aussi par sa distribution. A une exception près, celle du DVD diffère totalement de celle de la nuit du 18. On ne s'était pas trompé sur la prestance de , Ottokar pré-Louis II de Bavière pas insensible à Max. L'Agathe de , gracieuse et frémissante émeut, l'Ännchen de Katharina Ruckgaber, en phase avec par la mise en scène, s'avère plus corsée que ses devancières. prête à Kuno sa bonhommie à la Rocco. La vocalité noire de glace les sangs, même dans les scènes parlées. , aigus en voix mixte à l'appui, offre à Max une probité et la stature d'un Tamino. ne fait qu'une bouchée des quelques mots que l'Ermite énonce sur un des plus beaux solos de flûte du répertoire.

Le Chœur du festival allié au Chœur Philharmonique de Prague, malgré quelques ténors un peu frustes en fin de parcours, fait montre de la robustesse nécessaire. capte bien le mouvement de ce Freischütz également revu et corrigé musicalement (un clavecin, un accordéon et une contrebasse en peintres de la désolation ambiante mais aussi un choeur féminin rajouté sur l'ariette d'Ännchen revu en ballet nautique façon Esther Williams), et habilement rogné pour produire, comme c'est l'usage à Bregenz, un spectacle de deux heures sans entracte.

Hormis un plan manquant sur la transformation finale de l'Ermite, la captation d'Henning Kasten réussit plutôt bien le pari de rendre lisible une réalisation que l'absence de sous-titres français rend ardue. Si cela ne nuisait pas outre-mesure à la Butterfly très balisée d'Andreas Homoki en 2022, cette abstence s'avère autrement dommageable en ce qui concerne la démarche innovante de Philip Stölzl.

Crédits photographiques : © Jean-Luc Clairet / Anja Köhler

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Modifié le 08/09/2024 à 9h40

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Bregenz. Festspielhaus. 18-VIII-2024. Carl Maria von Weber (1786-1826) : Der Freischütz, opéra romantique en trois actes sur un livret de Johann Friedrich Kind. Avec : Liviu Holender, baryton (Ottokar) ; Raimund Nolte, baryton-basse (Kuno) ; Elissa Huber, soprano (Agathe); Gloria Rehm, soprano (Ännchen) ; Thomas Blondelle, ténor (Max) ; Oliver Zwarg, basse (Kaspar) ; Frederic Jost, basse (Un Ermite) ; Philippe Spiegel, baryton (Kilian) ; Sarah Kling, mezzo-soprano/Sarah Schmidbauer, soprano (Demoiselles d’honneur) ; Moritz von Trauenfels, rôle parlé (Samiel). Prague Philharmonic Choir (chef de choeur : Lukas Vasilek), Bregenzer Festspielchor (chef de choeur : Benjamin Lack) et Wiener Symphoniker, direction : Erina Yashima

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