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Solaires Quatuors Hanson et Bennewitz en Luberon

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Festival de quatuors à cordes en Lubéron, 49e édition.
20-VIII-2024. Église de Cabrières d’Avignon. Franz-Joseph Haydn (1732-1809) : quatuor à cordes en si mineur op. 64 n°2 , Hob.II.68. Alban Berg (1885-1935) : Quatuor à cordes op. 3. Robert Schumann (1810-1856) : Quatuor à cordes en la mineur op. 41 n° 1. Quatuor Hanson.

21-VIII-2024. Église de Roussillon. Franz-Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuor à cordes en ut majeur op. 54 n°2, Hob. II.57. Leoš Janáček (1854-1928) : Quatuor à cordes n° 2 « lettres intimes ». Antonin Dvořák (1841-1904) : quatuor à cordes n° 11, en ut majeur op. 61, B. 121. Quatuor Bennewitz.

22-VIII-2024. Cloître de l’abbaye de Silvacane. Erwin Schulhoff (1894-1942) : Quatuor à cordes n° 1 ; Viktor Ullmann (1898-1944) : Quatuor à cordes n° 3 en sol majeur op. 46 ; Antonin Dvořák (1841-1904) ; Quatuor à cordes n° 13 en sol majeur op. 106, B. 192. Quatuor Bennewitz.

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Lors de cette nouvelle édition du festival de Quatuors du Luberon, les quatuors Hanson (France) et Bennewitz (République tchèque) ont rivalisé de perfection et de musicalité dans trois concerts de très haute tenue.

Le  festival, presque cinquantenaire, entend promouvoir de jeunes formations talentueuses, essentiellement hexagonales – dans cet effervescent mouvement de renouveau du quatuor français amorcé voici vingt ou trente ans. La programmation explore notamment cette année les relations amicales et musicales entre le couple Schumann-Wieck et Joseph Joachim, et donc se focalise aussi sur le répertoire brahmsien, ses voisins (Dvořák) et sa descendance (la seconde école de Vienne).

Le festival met aussi en valeur le patrimoine architectural local avec trois belles églises provençales nichées au sein de villages enchanteurs (Goult, Cabrières d'Avignon, Roussillon), outre le cloître de l'abbaye de Silvacane, bien connu des amateurs de claviers – puisque accueillant certains concerts du festival de piano de La Roque d'Anthéron.

La prestation tout en crescendo du

Le 20 août, nous retrouvons le , fondé en 2013, en l'église de Cabrières d'Avignon. On connait, depuis leur parrainage pédagogique par feu Hatto Beyerle (membre fondateur du Quatuor ) ou par Johannes Meissl (Artis-Quartett), le tropisme et l'attachement de ces encore jeunes interprètes envers le répertoire viennois – et en particulier envers Franz-, véritable compagnon de route de leur début de carrière : un assez sensationnel double album (publié chez Aparté en 2019) regroupant, pour un réjouissant portrait musical, six œuvres de différents opus du Père de la formule, a été salué en nos colonnes. L'ensemble continue à explorer cet imposant corpus aux mille et une facéties et a choisi un quatuor non encore abordé au disque pour ouvrir les débats de ce soir, le très délicat opus 64 n° 2 en si mineur. L'on peut compter sur les quatre comparses pour une interprétation fraîche et vivante, doublée d'une justesse d'intonation et d'intention remarquable malgré le parti-pris d'un quasi non vibrato historiquement informé. Mais peut-être peut-on reprocher une certaine neutralité des pupitres médians, le second violon de Jules Dussap et l'alto de Gabrielle Lafait trop en retrait du premier violon disert d'Anton Hanson, certes brillantissime et roborativement acidulé, au fil du capricieux allegro spirituoso liminaire donné avec toutes ses reprises, y compris celle du développement et de la réexposition. L‘Adagio ma non troppo se révèle plus équilibré et aventureux au gré de ses variations « continues » – avec les piquantes interventions du chaleureux violoncelle de Simon Lechambre. Plus convaincants encore apparaissent le menuet (vraiment) alla zingarese, bondissant à souhait et ce Presto final imprévisible par ses changements de registres expressifs jusqu'à sa surprenante péroraison dans le registre suraigu des deux seuls violons.

C'est toutefois dans le difficile et somme toute rare au concert Quatuor opus 3 d' que les Hanson font merveille. Au fil des deux mouvements « en miroir » de l'œuvre, ils y font montre d'un sens consommé de l'architecture et apportent un soin infini à la réalisation du moindre détail, à la fois par leur mise en place irréprochable et par le chatoiement des couleurs irisées. Leur aisance tant dans la réalisation individuelle – avec ces enchainements vertigineux des modes d'attaques les plus variés – que par la cohérence collective font toujours mouche. Tout en jetant en pleine lumière la cohérence scripturale et les correspondances motiviques des deux mouvements, les Hanson soulignent aussi la généalogie quasi rhapsodique du langsam initial, ou exaltent l'atmosphère fauve de serre chaude nimbant le mässig viertel aux allures de ronde obsessionnelle sous ces archets passionnés.

En seconde partie de concert, les Hanson donnent une version imaginative, galvanisante et d'une ampleur quasi symphonique du premier quatuor à cordes de , duquel ils ont gravé récemment pour Harmonia Mundi l'intégralité de l'opus 41 et le Quintette avec piano opus 44 en compagnie d'Adam Laloum. Avec cet équilibre naturel des pupitres retrouvé, ils en magnifient la bipolarité, tant tonale (avec cette permanente hésitation entre fa majeur et la mineur, qu'expressive, et offrent une interprétation aussi poétique ou raffinée (immatérielle introduction du premier temps, Adagio à l'intense poésie nocturne) que fiévreuse (Scherzo presto plus rageur que volatile) ou endiablée au gré du Presto final idéalement emporté. Nos quatre musiciens très concernés et techniquement irréprochables restituent magnifiquement à la fois l'impulsivité génératrice de l'œuvre (composée en moins de six jours !) et les tacites dialogues des doubles schumanniens (Eusébius et Florestan) qui la sous-tendent.

En guise de bis, les membres du se lâchent dans un tout autre registre très déjanté en reprenant, pimenté de leurs propres improvisations, une sorte de medley du répertoire du Turtle Island string Quartett, histoire de clore ce concert pour le moins exigeant dans la bonne humeur et la décontraction.

Le par deux fois en état de grâce

Le fêtera cette saison son quart de siècle d'existence. Premier lauréat de prestigieux concours chambristes internationaux (Osaka, Paolo Borciani), il rend par son patronyme hommage au violoniste et directeur du conservatoire de Prague Antonin Bennewitz (1833-1926) véritable fondateur de l'école tchèque d'archets et instigateur de la formation du Quatuor bohémien – dont était membre le compositeur Josef Suk – à l'origine in loco de bien des vocations depuis plus d'un siècle. Si l'ensemble est bien connu dans son pays d'origine, en Europe de l'Est, en Allemagne, ou en Amérique du Nord (où il effectuera une nouvelle tournée dans les prochaines semaines), il est assez bizarrement moins célébré que certains autres quatuors tchèques en nos contrées latines, malgré quelques enregistrements marquants surtout consacrés aux compositeurs nationaux, publiés principalement par Supraphon. Ils sont accueillis pour la première fois en Luberon pour deux concerts très représentatifs de l'ensemble de leur répertoire.

Le 21 août, en nocturne, en l'église de Roussillon à l'acoustique très généreuse, les Bennewitz nous gratifient d'emblée d'une version très engagée et expressive du Quatuor opus 54 n° 2 de , d'une restitution ici parfaitement équilibrée entre pupitres. L'interprétation est certes plus ancrée dans une certaine tradition de la plénitude sonore (à l'exact opposé de celle défendue par les Hanson la veille) et l'œuvre convient à merveille à nos interprètes du jour, par son côté très expérimental : les Bennewitz font fi des modulations harmoniques inattendues du Vivace initial, l'excellent premier violon Jakub Fiser au gré du splendide adagio, au style tzigane quasi improvisé, fait montre d'un rubato un rien déboutonné de bon aloi et le menuet directement enchaîné s'avère, en total contraste, d'un swing irrésistible sous l'impulsion du violoncelle de Stepan Dolezal. Le final de coupe lent-vif-lent, fort peu orthodoxe en cette période classique, est nimbé d'une aura presque pathétique tout à fait de mise.

Avant la pause, le second quatuor « Lettres intimes » de nous conduit à de tout autres sommets d'intensité expressive : les interprètes tchèques jouent dans leur arbre généalogique, avec un engagement passionnel dès l'exorde du premier temps. Les quatre mouvements sont, on le sait, rétifs à toute analyse traditionnelle du point de vue harmonique ou formel, et tiennent d'une très spontanée conversation en musique tout imbibée de la présence de Kamila, la maîtresse platonique de cœur d'un compositeur de 74 ans! Les Bennewitz soulignent au fil des quatre tempétueux mouvements de l'œuvre toute la spontanéité et la sincérité sentimentale parfois très orageuse du discours musical, sans jamais tomber dans le pathos ou le surlignage, par une probe et parfaite maîtrise des effets sonores et une justesse d'intonation et d'intention superlative. On soulignera en particulier la splendeur des phrasés de l'altiste Jiri Pinkas, au centre du jeu polyphonique du deuxième mouvement Adagio. La rare intensité de leur interprétation culmine dans les deux derniers mouvements, avec ce Moderato très rupteur aux climax presque telluriques, et un final d'essence vibratoire, authentique hymne à la vie et à l'amour d'une énergétique acuité sous ces archets acérés.

En seconde partie de concert, l'assez rare onzième Quatuor en ut majeur opus 61 B.121 d' ne nous emmène pas tout à fait sur les mêmes sommets par la faute du caractère un peu prolixe de l'œuvre. Mais, avec beaucoup de vaillance et de conviction, les quatre instrumentistes pragois en soulignent l'élégant héritage classico-romantique viennois : l'ombre des Razumowski beethovéniens plane ainsi sur tout le premier temps  et le Poco adagio retrouve sous ces archets inspirés une sehnsucht très schubertienne. Les deux derniers mouvements, plus resserrés et imbibés d'une sève folklorisante, sont idéalement menés et n'appellent que des éloges. Sous un tonnerre d'applaudissements, le quatuor bohémien propose (en guise de prémices au concert du lendemain) une interprétation lascive et vénéneuse de la quatrième des cinq pièces (1923), Alla tango milonga, d'.

Le 22 août en fin d'après midi, au cloître de l'abbaye de Silvacane, nos interprètes entendent en effet rendre un hommage à deux compositeurs tchèques d'origine juive, jugés « dégénérés » par les nazis, déportés et exterminés en captivité – que l'on retrouve dans un de leur récent disque associé aux noms de Paval Haas et Hans Krása, eux aussi victimes des mêmes bourreaux.

L'on retrouve ainsi avec plaisir et curiosité l'iconoclaste , Juif pragois d'expression allemande, pour son premier « vrai » quatuor à cordes de 1924, bien antérieur, donc, aux temps troublés et à la montée en puissance du totalitarisme en Europe, et à l'arrestation du compositeur, devenu militant communiste et mort de tuberculose au camp de Wülzburg en août 1942. À vrai dire il s'agit de quatre brefs mouvements de caractères très tranchés : aux trois premiers animés par une motorik et une objectivité nouvelle à la Hindemith (on pense en plus concis au quatuor opus 32 de l'Allemand) imbibée ici et là de relents de danses slovaques (auxquels les Bennewitz donnent toute l'alacrité caricaturale et la verve insolente requises sous d'impitoyables coups d'archets), s'oppose un bref Andante molto sostenuto final, presque désemparé et livré ce soir avec une sorte de sourde angoisse métaphysique face à la nuit à venir.

, musicien partagé par ses origines et ses domiciles successifs entre plusieurs pays, a déployé son activité musicale principalement à Prague jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale avant d'être déporté dans le camp de Terezín et de mourir gazé à Auschwitz. C'est à  Terezín qu'Ullmann composa dans un contexte très angoissant son splendide troisième quatuor – les deux premiers antérieurs à la guerre semblant définitivement perdus. L'œuvre unifie en un seul geste musical et une forme « géante » les quatre mouvements classiques à la manière de la première symphonie de chambre de Schoenberg. Les Bennewitz restituent à merveille l'alternance de climats qui préside au discours avec ce mélange de résignation et de folle espérance. L'œuvre oscille ainsi en permanence entre ton relativement détendu (des mouvements impairs d'essence lente et quasi ravéliens d'effet coloristes) et noir cynisme rythmiquement connoté (Presto et Allegro vivace final).

Après l'entracte, nous retrouvons pour un de ses chefs d'œuvres de haute maturité, le pénultième Quatuor en sol majeur opus 106, dont les très vastes dimensions (près de quarante minutes) sont sous-tendues par un intense travail motivique unificateur : le final présente aussi quelques salutaires allusions aux principaux jalons thématiques de toute l'œuvre, lui conférant une unité de ton bienvenue. Par leur sens de la couleur instrumentale et des contrastes dynamiques quasi symphoniques, nos interprètes nimbent l'Allegro moderato initial d'un solaire lyrisme. Une exemplaire écoute mutuelle entre partenaires préside au sublime Adagio ma non troppo auquel les Bennewitz confèrent une ferveur quasi religieuse, avant un Scherzo bien plus tellurique et rythmiquement irrésistible et un final subtilement détaillé et tout en demi-teinte, partagé entre ivresse mélodique et réminiscences nostalgiques. Fort de leur succès amplement mérité, les quartettistes pragois prennent congé de l'auditoire dans le calme et la sérénité avec un fort beau, bref et dépouillé choral à quatre voix de J.S Bach aux lignes très épurées dans cette mouture instrumentale. En quelques mesures, tout est dit et l'auditoire prend en paix congé des interprètes.

Crédits photographiques :  Quatuor Hanson © Festival de Quatuors du Luberon 2024 ; Portrait © Milan Mošna ; Quatuor Bennewitz à Silvacane © Festival de Quatuors du Luberon 2024

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21-VIII-2024. Église de Roussillon. Franz-Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuor à cordes en ut majeur op. 54 n°2, Hob. II.57. Leoš Janáček (1854-1928) : Quatuor à cordes n° 2 « lettres intimes ». Antonin Dvořák (1841-1904) : quatuor à cordes n° 11, en ut majeur op. 61, B. 121. Quatuor Bennewitz.

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