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Purcell dans les jardins de William Christie

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Thiré. Festival Dans les jardins de William Christie. 24 et 25-VIII-2024. Henry Purcell (1659-1695) : Celestial music did the gods inspire ; Dido and Aeneas. Avec : Helen Charlston, Renato Dolcini, Ana Vieira Leite, Maud Gnidzaz, Virginie Thomas, Ilja Aksionov, Michael Loughlin Smith, Bastien Rimondi, Daniel Brant, Padraic Rowan, Christophe Gautier. Mise en mouvement, Sophie Daneman. Ensemble instrumental des Arts Florissants. Direction, clavecin et orgue, William Christie.

Église de Saint-Juire-Champgillon. Œuvres de Henry Purcell (1659-1695), William Croft (1678-1727), Pelham Humfrey (1647-1674). Juliette Perret et Violaine Le Chenadec, soprano. Mélodie Ruvio, alto. Hugo Hymas, ténor. Edward Grint, basse. Florian Carré, orgue. Gabriel Rignol, théorbe. Paul Agnew, ténor et direction.
Venite venite ! Monteverdi et ses contemporains. Violaine Le Chenadec, soprano. Adrien Mabire, cornet à bouquin. Gabriel Rignol, théorbe

Pour le week-end d'ouverture de la 13e édition du festival Dans les jardins de , proposent une représentation de Didon et Énée de Purcell sur la scène du Miroir d'eau. Et les jardins accueillent des concerts de poche pour une libre déambulation musicale.

Le charme de ce festival pas comme les autres tient d'abord au cadre enchanteur des jardins qui lui servent d'écrin. En outre, d'année en année, la fondation des Arts Florissants rachète et restaure des maisons du village de Thiré en Vendée pour y accueillir artistes et public. Deux week-ends encadrent traditionnellement une semaine de festivités à la fin de l'été. Dès le début de l'après-midi, le public s'égaille dans le parc qui entoure les jardins à la française, siège pliant à la main pour les plus prévoyants, et déambule de rendez-vous musical en rencontre pédagogique dans une ambiance détendue et bucolique. Les promenades musicales de ce premier week-end permettent de découvrir par petits groupes les musiciens qui se produiront dans les concerts du soir : membres confirmés des Arts Florissants, chanteurs du Jardin des Voix et étudiants de la Juilliard School de New York. Un des maîtres-mots de ces rencontres est la transmission, chère à et à son co-directeur .

Deux ateliers participatifs sont proposés au public : l'un autour du thème du « chant des oiseaux » animé par la chanteuse , et un parcours chorégraphique proposé par le danseur Pierre-François Dollé, qui entraine les spectateurs dans une noble pavane à travers le parc. Sous la frondaison des bosquets ou le couvert d'un chapiteau en cas d'averse impromptue, les musiciens se rassemblent pour des petits concerts qui durent un quart d'heure. Il est impossible de tout citer, mais on peut entendre au fil de la promenade des canons de Purcell pleins d'humour, une « fête des chaconnes » par les étudiants de la Juilliard School, des madrigaux amoureux, des airs de Monteverdi où dialoguent la voix et le cornet à bouquin… Un duo formé de Thomas Dunford et Douglas Balliett, où les deux complices chantent leurs propres compositions en s'accompagnant au théorbe et au violone en pizzicati, nous entraîne du côté des rythmes de jazz. Ces déambulations musicales bénéficient, comme l'ensemble du festival, d'une organisation impeccable, grâce à une armée de bénévoles. En clôture de l'après-midi, tout le monde se retrouve au pied des terrasses de la maison du maître des lieux pour le Concerto brandebourgeois n° 4 de Johann Sebastian Bach donné par un effectif inter-générationel qui réunit membres « historiques » des Arts Florissants et étudiants, à l'image du duo de flûtes solo jouées par Sébastien Marq et le très jeune et déjà virtuose Raphaël Cohen-Akenine, fils de Béatrice Martin qui tient la partie de clavecin.

Une fête vespérale au Miroir d'eau

Après The fairy Queen l'année dernière, c'est Didon et Énée, de nombreuses fois au répertoire des Arts Florissants, qui a été choisi cette année. La dernière production date de 2023 (Dijon, Versailles, Barcelone, Beaune, Madrid…) et c'est la même distribution que l'on retrouve ce soir. Mais la chorégraphie de Bianca Li est ici absente, remplacée par une très convaincante « mise en mouvement » des chanteurs due à . En guise d'ouverture, nous propose l'ode de Purcell Celestial music qui célèbre la nature et les dieux, parfaitement adaptée au cadre champêtre de la scène en plein air. On y découvre la basse puissante de l'Irlandais Padraic Rowan et un bel air de ténor chanté par sur un tapis de flûtes à bec. Avec Didon et Énée, Purcell réussit en une heure de musique à mêler les genres de la tragédie et du burlesque, en digne héritier du théâtre élisabéthain. C'est ici à deux chanteurs lauréats du Jardin des Voix que William Christie confie les rôles-titres : la mezzo-soprano britannique et le baryton italien Renato Dolcini. Troublante surprise : au début de l'acte II, Renato Dolcini passe du rôle du héros à celui de la Sorcière, celle-là même qui va précipiter la fin tragique de l'amour naissant entre Énée et la reine ! Une note d'intention nous apprend que ce choix original souligne la duplicité du héros qui sacrifie son amour pour Didon à l'accomplissement de son grand destin de fondateur de Rome. On reste un peu perplexe devant cette schizophrénie … Il n'en demeure pas moins que Renato Dolcini est vocalement impeccable dans les deux rôles, particulièrement à l'aise lorsqu'il travestit sa voix pour coller à la folie de la magicienne.

Au début de la représentation, le vent dans les frondaisons vient un peu perturber l'écoute des passages les plus subtiles entre Didon et Belinda (excellente ). Mais une très discrète amplification rétablit les équilibres, cependant que le vent se calme peu à peu et que la nuit tombe lentement sur le drame qui se noue. Les sorcières, interprétées par et , sont truculentes à souhait, accompagnées par le grincement des violons. L'acte III nous offre de beaux moments burlesques avec la scène des marins, parfaits, et le jeu de scène comique du jeune ténor lituanien . Le départ d'Énée est prétexte à un poignant chœur a cappella. Et quand arrive le climax de la mort de Didon, on est suspendu à la voix profondément habitée d', dans un admirable lamento qui ne déçoit pas. Le chœur de déploration final, accompagné par les pianissimi de l'orchestre, est à l'unisson de l'émotion suscitée par ce chef d'œuvre absolu.

Soirée de musique sacrée aux chandelles

Le lendemain soir, c'est à l'église du village voisin de Saint-Juire-Champgillon que a programmé Les Prophéties des Sybilles de Roland de Lassus. Coup de théâtre : on apprend le matin même que la soprano se retrouve aphone et qu'il faut de toute urgence rebâtir un nouveau programme. Quelques heures seulement pour réunir une nouvelle équipe et monter un programme de pièces sacrées de Purcell : un véritable tour de force pour un directeur musical ! Six chanteurs, Florian Carré à l'orgue, au théorbe et des motets anglais qu'on croirait travaillés depuis des mois tant l'interprétation fervente plane au sommet de la qualité musicale. On le sait, c'est pour l'abbaye de Westminster, dont il était l'organiste, que le jeune Purcell compose un important corpus de musique sacrée. Dans le programme de ce soir, il est beaucoup question de mort, et les déplorations des Funeral sentences présentent des harmonies déchirantes, rendues palpables à travers l'extraordinaire pâte sonore de l'ensemble des chanteurs. nous offre en soliste une hymne très touchante de , accompagné par le seul théorbe, qui nous permet d'apprécier sa diction impeccable et la parfaite projection de sa belle voix de ténor. Mais c'est le Miserere mei de Purcell, chanté a cappella avec des pianissimi remarquables, qui est le sommet de ce programme chargé d'émotion et repris en bis pour le plus grand plaisir du public.

Un dernier épisode musical vient clôturer la soirée aux chandelles : une « méditation à l'aube de la nuit », comme une invitation au recueillement après une journée bien remplie. C'est le duo que forment la soprano (déjà fort appréciée dans le programme Purcell précédent) et le cornettiste Adrien Mabire, accompagné par le théorbe de , qui nous emmène du côté de Monteverdi et de ses contemporains dans un magnifique dialogue entre la voix et le cornet à bouquin. Comme une surprise à la fin du programme, Adrien Mabire chante lui-même le cantus firmus du Salve Regina de Monteverdi, et sa voix parfaitement projetée sonne comme un cornet… Un moment suspendu qui clôt en beauté un week-end riche en découvertes.

Crédit photographique : © Jay Qin et Julien Gazeau

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