Répertoire sacré et varié pour les 24e Rencontres musicales de Vézelay
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Vézelay. Basilique Sainte-Marie-Madeleine. 22-VIII-2024. Claudio Monteverdi (1567-1643) : Vespro della Beata Vergine. Chœur de chambre de Namur (solistes : Mariana Flores, soprano ; Gwendoline Blondeel, soprano ; Leandro Marziotte, contre-ténor ; Valerio Contaldo, ténor ; Pierre-Antoine Chaumien, ténor ; André Morsch, basse ; Salvo Vitale, basse), Cappella Mediterranea, direction : Leonardo García Alarcón
Vézelay. Basilique Sainte-Marie-Madeleine. 23-VIII-2024. Roland de Lassus (1532-1694) : Domine, ne in furore tuo arguas me (Psalmus Primus Pœnitentialis), Domine, ne in furore tuo arguas me (Psalmus Tertius Pœnitentialis), Beati, quorum remissae sunt iniquitates (Psalmus Secundus Pœnitentialis). Arvo Pärt (né en 1935) : Kanon Pokajanen (Ode I, Ode VI, Kontakion, Ikos, Prayer after the canon). Cappella Amsterdam, direction : Daniel Reuss
Vézelay. Basilique Sainte-Marie-Madeleine. 24-VIII-2024. Johannes Brahms (1833-1897) : Begräbnisgesang, op. 13 ; Anton Bruckner (1824-1896) : Messe n° 2 en mi mineur pour chœur et instruments à vent, WAB 27 ; Igor Stravinsky (1882-1971) : Pater Noster, Symphonie de Psaumes. Les Métaboles ; Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Léo Warynski
« Vêpres de la Vierge », « Pénitence » et « Symphonie de psaumes » : un programme centré sur la foi chrétienne mais tout de même varié, puisqu'il appelle des compositeurs aussi différents que Claudio Monteverdi, Roland de Lassus, Igor Stravinsky ou encore Arvo Pärt.
Les Vêpres de la Bienheureuse Vierge (Vespro della Beata Vergine, 1610) de Claudio Monteverdi sont un monde ou plusieurs mondes. L'auditoire y pénètre par l'introduction instrumentale joyeuse, voire triomphante et toute profane qu'il a sans doute reconnue comme étant celle également de L'Orfeo, le premier grand opéra de l'Histoire, créé trois ans plus tôt. La Cappella Mediterranea est rejointe immédiatement après, dans l'« Intonatio », par le Chœur de chambre de Namur, les deux ensembles sous la direction énergique de Leonardo García Alarcón. Le chef et claveciniste (ce soir, jouant de son instrument debout) donne du chef-d'œuvre une lecture historiquement informée, comme on dit, évitant toute bouffissure (la partition est déjà suffisamment dense), dans un spectacle bien rodé, cela se sent, puisqu'il l'avait dirigé en janvier avec les deux mêmes phalanges à l'Arsenal de Metz. On retiendra surtout de cet incroyable millefeuille recourant au plain-chant, à l'alternance de psaumes et de concertos, aux parties chorales, aux solos vocaux ou instrumentaux, aux dissonances, aux décalages rythmiques, à l'utilisation de l'écho et de l'ornement emprunté au quilisma grégorien (répétition rapide d'une même note par une voix soliste), au déplacement de chanteurs solistes comme dans le « Duo Seraphim », etc., la voix puissante et bien timbrée du ténor Valerio Contaldo (connu par ailleurs pour son incarnation d'Orfeo), la couleur particulière que donnent les sacqueboutes et surtout les deux cornets à bouquin, souvent dans des interventions virtuoses (excellentissime Doron Sherwin), pareillement les solos des violons (Tami Troman et Laura Corolla) qui offrent eux aussi des respirations. Sans oublier la vitalité ni le parfait équilibre des masses maintenus à bout de bras par García Alarcón. Dommage que la nef de la basilique paraisse étroite dans ce rassemblement de quelque 45 interprètes et que son acoustique marie si mal les voix aux instruments !
Le lendemain, pour le concert « Pénitence », le public est plutôt à la fête, car il va écouter l'un des meilleurs chœurs au monde autour de deux compositeurs, Roland de Lassus (1532-1694) et Arvo Pärt (né en 1935), interprétés en alternance. Du premier sont chantés les trois premiers Psalmi Davidis Pœnitentiales : Domine, ne in furore tuo arguas me (Psalmus Primus Pœnitentialis), Domine, ne in furore tuo arguas me (Psalmus Tertius Pœnitentialis) et Beati, quorum remissae sunt iniquitates (Psalmus Secundus Pœnitentialis). Du second est donné le Kanon Pokajanen (Ode I, Ode VI, Kontakion, Ikos et Prayer after the canon, 1997), le Canon de Repentance, composé sur un texte d'André de Crète (v. 660-740). Daniel Reuss dirige dans sa gestuelle élastique et tout en rondeur la Cappella Amsterdam, dont on perçoit tout de suite la miraculeuse homogénéité. Cette fois-ci, l'acoustique la met en valeur. Sur les 24 chanteurs, 11 entonnent les airs de Lassus (derrière, de gauche à droite : 2 ténors, 3 basses, 2 ténors ; devant : 2 soprani et les 2 contre-ténors), que rejoignent 2 soprani juste avant le Gloria final. On ne peut qu'être touché par cette musique très expressive qui épouse le texte et son sens. Arvo Pärt a également écrit un chant syllabique, lequel est encore plus dramatique, car entièrement axé sur la personne humaine, sa petitesse devant la grandeur divine. Le texte (en slavon ecclésiastique, langue officielle de la liturgie orthodoxe russe) est tour à tour psalmodié sur des phrases simples sans développement, hérissé d'intonations imitant les pleurs et la supplication, chanté par les voix féminines reprises en écho par les ténors dans une progression débouchant sur une acmé très forte avant la brutale retombée, ou encore brodé par les voix aiguës avec soutien du bourdon « mmmm » des voix masculines. La profondeur des voix basses, esthétique orthodoxe oblige, ajoute encore à la théâtralité de ce Canon.
Le jour suivant, interrogé par Emmanuelle Giuliani avant le concert « Symphonie de Psaumes » lors de l'habituelle « mise en oreille » de 18h, Léo Warynski justifie ses choix en affirmant sa très grande admiration pour Igor Stravinsky, dont Pater Noster, Symphonie de Psaumes (1930) est le pivot autour duquel s'est construit le menu de la soirée. Ce compositeur mêlant ici le profane et le sacré a pour point commun avec Johannes Brahms et Anton Bruckner le souci de la grande forme, la maîtrise de l'écriture pour orchestre et la référence à la musique d'harmonie qui ce soir fait se rejoindre le souffle instrumental et le souffle vocal. Auparavant, Nicolas Dufetel (en outre signataire, dans le livret du programme, d'une admirable présentation des Vêpres de la Vierge) est revenu sur la tradition de l'Harmoniemusik afin d'introduire les pièces des deux autres musiciens, respectivement Begräbnisgesang (1858) et la Messe n° 2 en mi mineur pour chœur et instruments à vent (1866). Les Métaboles et l'Orchestre philharmonique de Strasbourg feront bien sentir quant à eux les différences de caractères entre les trois œuvres : la sévérité toute protestante du chant funèbre de Brahms, l'emphase dramatique parfois grandiloquente de la messe catholique de Bruckner, avec ces cors et ces hautbois répondant aux voix, et le génial bariolage d'une Symphonie de Psaumes suivant tout un parcours des ténèbres vers la lumière. Le chef a une science consommée de la dynamique, faisant ressortir sans emphase ce qui se joue là de tragique. En bis, il gratifie l'assistance d'un morceau a cappella : le touchant Libera me d'Ignaz von Seyfried, composé pour les funérailles de Beethoven et s'inspirant de Mozart. L'auditoire est ravi.
Crédits photographiques © Vincent Arbelet
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