Tannhaüser au festival de Bayreuth : réchauffé certes, mais toujours aussi savoureux
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Allemagne. Festival de Bayreuth. Festspielhaus. 22-VIII-2024. Richard Wagner (1813-1883) : Tannhäuser et le Tournoi des chanteurs de la Wartburg (1845), grand opéra romantique en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Tobias Kratzer. Scénographie et Costumes : Rainer Sellmaier. Lumières : Reinhard Traub. Vidéo : Manuel Braun. Avec : Klaus Florian Vogt, Tannhäuser ; Elisabeth Teige, Elisabeth ; Ekatarina Gubanova, Venus ; Markus Eiche, Wolfram von Eschenbach ; Günther Groissböck, Herman de Thuringe ; Siyabonga Maqungo, Walter von der Vogelweide ; Olafur Sigurdarson, Biterolf ; Jens-Erik Aasbo, Reinmar von Zweter ; Flurina Stucki, Ein Hirt. Chœur et orchestre du Festival de Bayreuth, direction : Nathalie Stutzmann.
Car il faut bien avouer qu'on se délecte chaque fois un peu plus à l'écoute de cette production de Tannhäuser mise en scène par Tobias Kratzer, tant décriée lors de sa création en 2019, qui fait aujourd'hui les beaux jours du festival, servie par Nathalie Stutzmann à la baguette, Klaus Florian Vogt, Elisabeth Teige et Ekatarina Gubanova dans les rôles principaux.
Originale sans nul doute cette façon d'envisager un spectacle total scindé entre l'intérieur et l'extérieur du Festspielhaus avec, de plus, une performance extérieure au bord du lac réunissant Vénus, le Gâteau chocolat et Oscar entre le premier et deuxième acte ; intelligente et diablement d'actualité l'idée de substituer à la sempiternelle rédemption hantant tous les opéras de Wagner, l'opposition de deux mondes, celui des marginaux et celui des nantis, entre lesquels Tannhäuser va osciller sans finalement choisir dessinant un parcours ambigu qui retrace en filigrane la vie du compositeur lui-même, dans une véritable quête initiatique, celle d'un jeune homme qui cherche sa voie ; émouvant cet hommage rendu dans un clin d'œil à Stephen Gould récemment disparu qui marqua Bayreuth de sa présence et de son talent pendant de nombreuses années, notamment 2019 où il incarna le rôle-titre ; cohérents cette transposition magistrale actualisée et cet usage virtuose de la vidéo (Manuel Braun) à laquelle on adhère sans sourciller ; humoristique enfin, cette vision décapante agrémentée de nombreux de gags où l'on se prend à sourire malgré l'âpreté dramatique du propos.
L'Ouverture donne d'emblée le ton mêlant poésie, sensualité et drame, tandis que défilent devant nos yeux ébahis, sur écran géant, les magnifiques images de la mythique Wartburg et de la campagne de Thuringe au sein de laquelle roule à vive allure une vieille camionnette Citroën TUB transportant Tannhäuser déguisé en clown accompagné de Vénus habillée d'une combinaison scintillante, du nain Oscar (Manni Laudenbach) inséparable de son tambour, en référence à Günther Gras, escortés de la drag-queen d'origine nigérienne Le Gâteau chocolat, toute en frou-frou et voiles luminescents (costumes somptueux de Rainer Sellmaier) ; tous les quatre réunis dans une sorte de road trip synchrone de la musique, errance épique et déjantée margino-circassienne faite de rires, de rapine, de rails de coke et de pulsions sexuelles …Mais cette joie apparente ne saurait avoir qu'un temps malgré la triade wagnérienne répétée comme un leitmotiv « Frei im Willen, Frei im Thun, Frei im Geniessen » (Libre de penser, libre d'agir, libre de jouir) car les gros plans de la vidéo ne tardent pas à laisser sourdre l'inquiétude et la lassitude sur le visage de notre héros qui bientôt quitte ses compagnons pour retrouver, comme par hasard (!) ses anciens complices Minnesänger, déguisés en employés du festival, réunis pendant une pause dans les jardins du Festspielehaus (reproduit en maquette !) encombrés de spectateurs en smoking qui rappellent les plus belles heures du festival (ne manquent au tableau que le Bretzel, la Wurst et le verre de vin blanc !). L'acte II nous propose une mise en abyme entre plateau et coulisses avec une vidéo occupant la partie supérieure de la scène qui nous donne à voir l'envers du décor et quelques images cultes (Katharina Wagner) tandis que la partie inférieure figure la grande salle de la Wartburg où aura lieu le Tournoi des chanteurs. L'acte III laisse place à la désolation, celle d'Oscar seul au milieu d'un terrain vague où git la carcasse délabrée de la camionnette comme un souvenir des temps heureux, désormais révolus, genre de no man's land qui verra le retour des pèlerins en guenilles, l'arrivée penaude d'un Tannhäuser clochardisé et le suicide sacrificiel d'Elisabeth, tandis que Wolfram chante la belle et dérisoire Romance à l'étoile à vous tirer les larmes…
Dans la fosse, pour sa seconde année à Bayreuth, Nathalie Stutzmann fait honneur, ô combien, à sa réputation de meilleure cheffe wagnérienne du festival et on ne sait qu'admirer le plus de la maestria de la direction, équilibrée, précise, et parfaitement en phase avec la dramaturgie, ou de l'excellence de l'orchestre du festival, tous pupitres confondus (harpe, vents, cordes).
La distribution vocale ne souffre aucun reproche, particulièrement homogène et superlative. Klaus Florian Vogt porte avec ardeur le rôle-titre par son timbre angélique, son endurance (Récit de Rome) son souffle inépuisable et la souplesse de son chant ; Elisabeth Teige est une Elisabeth de haute volée, élégante et charismatique arguant d'un timbre d'une beauté diaphane, capable de donner à son chant toutes les nuances nécessaires depuis son entrée puissante à l'acte II («Dich, teure Halle ») , parfaitement assumée, jusqu'à son implorante et émouvante prière « Allmächt'ge jungfrau » au troisième acte. La Vénus espiègle et virevoltante de Ekatarina Gubanova accorde ramage et plumage dans une prestation vocale et scénique pleine d'allant et de fougue. L'émouvant et très présent Markus Eiche en Wolfram, l'autoritaire Günther Groissböck en Landgrave, sans oublier le délicat Siyabonga Maqungo en Walter, l'ardent Biterolf d'Olafur Sigurdarson et le joli pâtre de Flurina Stucki, tous bien chantant, complètent avec bonheur cette éblouissante distribution. Loin de faire les utilités, l'excellent chœur du festival se révèle un partenaire à part entière, participant largement au triomphe de cette production dont témoigne une standing ovation très, très prolongée au moment des saluts.
Crédits photographiques : © Enrico Nawrath : Bayrether Festspiele
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Venus, c’était Irene Roberts. Ekaterina Gubanova n’a chanté que Kundry cette année.