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András Schiff entre fantaisies et sonates à Salzbourg

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Salzbourg. Mozarteum. 15-VIII-2024. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Aria (Petit livre d’Anna Magdalena Bach) ; Fantaisie chromatique et fugue BWV 903 ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Fantaisie KV 475 ; Joseph Haydn (1732-1809) : Fantaisie Hob. XVII:4 ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonata quasi una fantasia op. 27/1 ; Felix Mendelssohn (1809-1847) : Fantaisie (Sonate écossaise) op. 28 ; Robert Schumann (1810-1856) : Fantaisie op. 17. András Schiff, piano

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Sur un instrument historique, le pianiste reste fidèle à ses compositeurs de choix, avec un sens du chant et de la poésie qui donne son unité à plus d'un siècle de musique entre classicisme et romantisme.

Le programme, comme c'est souvent le cas, n'est pas annoncé à l'avance, seule la liste des compositeurs est indiquée. Mais le texte de Monica Mertl qui figure dans le programme de salle nous laisse seulement la surprise de l'ordre, finalement strictement chronologique, jusqu'au bis tiré de l'op. 118 de Brahms. Si les compositeurs sont les mêmes que pour le concert parisien de mars dernier, les œuvres sont différentes, à la seule exception de la Fantaisie KV 475 de Mozart ; différent aussi est le piano, cette fois non l'habituel et magnifique Bösendorfer qu' utilise le plus souvent, mais un piano Blüthner de 1859, dont le premier propriétaire aurait pu jouer toutes les œuvres de la soirée.

Qui dit programme surprise dit annonces et commentaires par le musicien, équipé d'un micro adéquat, en allemand et en anglais : c'était déjà le cas lors de son précédent récital salzbourgeois, en 2022, déjà au Mozarteum que Schiff semble préférer aux plus grandes salles du festival. Cette fois, avec un débit toujours plus lent, il faut bien avouer que l'exercice se révèle moins enrichissant : son commentaire sur la Fantaisie de Mozart, qu'il rapproche de Don Giovanni et du thème de l'Offrande musicale de Bach, est utile, répéter sans cesse que Bach est le plus grand compositeur de tous les temps ou que le titre courant de la sonate Clair de lune de Beethoven est idiot n'apporte au contraire pas grand-chose.

Avant de parler, Schiff commence toutefois par la musique, avec l'Aria du Petit livre d'Anna Maria Magdalena, autrement dit à très peu de choses près celle utilisée quelques années plus tard comme fondement des Variations Goldberg. Le thème de la soirée, lui, était déjà présent dans le programme du festival : Sonata quasi una fantasia, Fantasia quasi una sonata, soit le titre commun des deux sonates de l'opus 27 de Beethoven et son retournement. À travers un bon siècle de musique pour piano issue de l'aire germanique, Schiff interroge ainsi les allers-retours entre forme libre et forme contrainte, dès la première œuvre du programme : pas de sonate du tout dans la Fantaisie chromatique et fugue de Bach, mais le contraste entre invention formelle et construction savante de la fugue illustre bien cette tension. Le piano Blüthner montre un peu ses limites dans la fantaisie, où les lignes se perdent parfois en un amas de notes : peut-être un mélomane de 1859 aurait-il aimé entendre cette puissante vague sonore dans une musique qui ne lui était pas familière, mais nos oreilles habituées aux sonorités baroques aimeraient un peu plus de clarté : Schiff fait clairement le choix d'une expressivité qui n'est pas très habituelle pour nous, et il la défend avec toute la palette de nuances du vrai virtuose, mais le retour à une plus grande lisibilité dans la fugue fait du bien.

La Fantaisie KV 475 de Mozart qui suit est pour Schiff Don Giovanni en 8 minutes, « et sans metteur en scène » – en réalité une bonne dizaine de minutes. Il est bien naturel, puisque nous sommes à l'opéra, que Schiff y souligne la fluidité cantabile, mais aussi l'émotionnalité à fleur de peau : là où il voit entrer la figure autoritaire du commandeur, il donne au drame une force sévère qui rompt avec ce qui précédait. La courte fantaisie de Haydn qui suit, composée en 1789, trouve sous ses doigts une virtuosité fière et bondissante.

Des deux sonates de l'opus 27 de Beethoven qui donnent le titre au concert, choisit la première, pour sa liberté qui se préoccupe bien plus de trouver sa propre forme que de produire une sonate de plus : pas de liberté sans ordre, comme le dit Schiff en citant Pablo Casals, mais l'ordre n'est pas toujours dans le respect des traditions. Si grande qu'en soit la liberté d'invention, Schiff se garde bien de toute forme de romantisme facile : au contraire, la clarté des lignes, le souci d'un piano qui chante, la modération des tempi sans jamais de sur-place, tout cela va dans la logique du programme qui place Beethoven dans une longue continuité plutôt que de souligner les ruptures. C'est sans aucun doute le sommet poétique de la soirée.

La deuxième partie est consacrée à deux œuvres publiées sous le nom de fantaisie, mais pour lesquelles leur compositeur a envisagé aussi le nom de sonate, plus précisément Sonate écossaise pour la Fantaisie op. 28 de Mendelssohn. La poésie du piano de Schiff, qui tire ici pleinement profit des qualités de l'instrument qu'il a choisi, se fait ici par moments plus inquiète, plus directement émotionnelle, sans oublier pour autant son naturel chanté.

Enfin, il n'est que logique que le concert se termine avec la Fantaisie op. 17 de Schumann, la plus grande des fantaisies du répertoire, même si elle aussi aurait pu, dans les intentions du compositeur, être qualifiée de sonate. On l'a souvent entendue comme un monument aux impressionnantes dimensions (à Salzbourg même il y a quelques années sous les doigts de Grigory Sokolov par exemple) ; Schiff en met certes en évidence lui aussi la puissante architecture, mais il souligne également que c'est bien l'œuvre d'un Schumann pas même encore trentenaire, une œuvre où la structure ne doit pas prendre le pas sur les émotions, changeantes et pudiques. Fort heureusement, la force et la cohérence du programme choisi par Schiff, tout comme la qualité poétique de son piano, ne pâtissent pas de sa moindre inspiration comme commentateur de ses propres concerts.

Crédits photographiques : © SF/Marco Borrelli

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Salzbourg. Mozarteum. 15-VIII-2024. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Aria (Petit livre d’Anna Magdalena Bach) ; Fantaisie chromatique et fugue BWV 903 ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Fantaisie KV 475 ; Joseph Haydn (1732-1809) : Fantaisie Hob. XVII:4 ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonata quasi una fantasia op. 27/1 ; Felix Mendelssohn (1809-1847) : Fantaisie (Sonate écossaise) op. 28 ; Robert Schumann (1810-1856) : Fantaisie op. 17. András Schiff, piano

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