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Nouvelle production de Tristan und Isolde à Bayreuth : jusqu’au bout de la mémoire…

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Bayreuth. Festspielhaus. 18-VIII-2024. Richard Wagner (1813-1883) : Tristan et Isolde, action dramatique en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Thorleifur Örn Arnarsson. Scénographie : Vytautas Narbutas ; Costumes : Sibylle Wallum. Lumières : Sascha Zauner. Avec : Andreas Schager, Tristan ; Camilla Nylund, Isolde ; Olafur Sigurdarson, Kurwenal ; Christa Mayer, Brangäne ; Günther Groissböck, Marke ; Birger Radde, Melot ; Daniel Jenz, un pâtre ; Lawson Anderson, Le pilote ; Matthew Newlin, Le matelot. Chœur et orchestre du festival de Bayreuth, direction : Semyon Bychkov

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Pour ses débuts à Bayreuth, le metteur en scène islandais déconstruit la légende de Tristan et Isolde en centrant son propos sur la mémoire : une lecture audacieuse, complexe mais quelque peu inaboutie qui ne doit finalement son salut qu'à la musique superbement servie par à la baguette, et dans les rôles-titres.

Force est de reconnaitre que cette mise en scène (succédant à celle de Roland Schwab), téméraire et sans espoir, ne manque ni de force, ni d'originalité, s'autorisant toutefois quelques libertés avec le livret, à l'origine de nombre d'incohérences qui apparaissent progressivement tout au long des trois actes. Le propos en est altéré d'autant et l'on peut se demander si cette interprétation n'est pas finalement une fausse bonne idée. Faisant fi de toute magie et de tout romantisme (pas de philtre d'amour mais un philtre de mort au I ; pas de duo d'amour extatique au II ; pas de Liebestod mais un suicide des deux amants au III), cette vision d'Arnarsson, wagnérien reconnu (Lohengrin à Augsbourg, Siegfried à Karlsruhe et Parsifal à Hanovre) se caractérise à la fois par la désolation qu'elle étale à loisir et par le pessimisme schopenhauerien le plus noir dont elle se nourrit, conduisant nos deux héros à la mort dans la solitude la plus désespérante, affirmant l'impossibilité à faire renaitre l'amour. Et pourtant tout avait bien commencé…

Après une Ouverture magnifique de retenue (tempo lent), chargée de nuances inquiètes, conduite de façon hypnotique par sur un phrasé très souple, transparent, quasi chambriste, donnant à entendre toutes les lignes instrumentales, le rideau se lève sur une scénographie élégante et épurée, sombre, évoquant un navire par les imposants cordages tendus depuis les cintres, sur le pont duquel se dresse majestueusement Isolde, enserrée dans une robe claire semblable à une immense corolle de fleur sur laquelle elle écrit son histoire à la plume d'oie, prisonnière de sa mémoire et de son passé. Intelligente manière de nous conter les évènements antérieurs qui expliquent le drame (Tristan blessé, meurtre de Morold le fiancé d'Isolde, la guérison par les soins de la magicienne, l'amour refoulé). Cette robe dessinée par sera présente sous différentes formes (lambeaux, chiffon) tout au long de l'opéra rappelant comme un leitmotiv l'impuissance à faire renaitre le passé.

À la fin de l'acte, Tristan refuse le philtre avant que les deux amants ne se retrouvent autour d'un vaste trou béant, véritable « trou noir » abyssal conduisant au néant…  Le décor de l'acte II est figuré par un immense bric à brac fait d'objets hétéroclites (sculptures, tableaux dont le possible Port de Greifswald de Caspar David Friedrich, animaux empaillés, gramophone…), tous stigmates d'une mémoire ancienne, sorte d'inventaire à la Prévert (où un raton laveur ne détonnerait pas !) au sein duquel les amants se meuvent, chacun restant sur son quant à soi, en ayant soin d'éviter tout rapprochement sensuel. Les interactions entre chanteurs-acteurs sont réduites au maximum. La fameuse robe, à présent déchirée, reste soigneusement enfermée dans un coffre volumineux malgré plusieurs tentatives de l'en faire ressortir. Le duo d'amour extatique et l'hymne à la Nuit se limitent théâtralement à leur plus simple expression, et seule la musique (orchestre et chanteurs) apporte cette touche de sensualité tant attendue, sans laquelle l'histoire ne serait pas.

L'acte III se poursuit dans la même veine, se déployant dans un amoncellement ruiné d'objets, ébréchés et dégradés sur lequel Tristan agonise après qu'il a bu le philtre de mort à la fin de l'acte précédent. Nouvelles incohérences, car dès lors, Melot se retrouve sans emploi puisqu'il ne blesse pas Tristan, et la rédemption du Roi Marke au III parait alors bien inutile, sans objet et incompréhensible. L'épilogue n'est pas plus réjouissant puisque Isolde finalement se suicide en absorbant le philtre de mort (maudit philtre !) plutôt que de mourir d'amour, finissant ses jours dans la solitude, drapée dans ce qui reste de sa merveilleuse robe de mémoire, seul symbole signifiant d'un impossible amour. Bien triste fin !

Face à une telle morosité, la musique, fort heureusement, apporte son lot d'émotion et de poésie. À commencer par une distribution vocale superlative et homogène : pour sa première Isolde bayreuthienne obtient un triomphe aux saluts, qui sanctionne ainsi une prestation vocale et théâtrale irréprochables où l'on admire, à égale mesure, la beauté du chant (timbre clair, sublime legato, souplesse de la ligne, richesse en nuances, projection sans faille) et l'engagement scénique, allant de la vindicte la plus âpre au I, à la douceur de l'adieu au III. Face à elle, est un Tristan de haute volée, au souffle long et à l'endurance phénoménale, incontournable dans ce rôle depuis la disparition du regretté Stephen Gould. S'il se cantonne dans une retenue prudente à l'acte I, sa montée en puissance impressionne au II, dans le célèbre duo, et plus encore dans l'acte III où il livre une interprétation véritablement habitée et hallucinée de l'agonie de Tristan, exaltée par une joute vocale serrée avec le très bon Kurwenal d'. est une Brangäne puissante, à la projection large et au timbre chaud qui s'apparie parfaitement, dans un saisissant contraste, avec celui d'Isolde. incarne un roi Marke bien chantant qui manque un peu de compassion au II, mais qui donne toute la superbe de sa basse dans un émouvant pardon au III. Les rôles secondaires : (Melot), Daniel Jenz (un pâtre), Lawson Anderson (Le pilote) et Matthew Newlin (Le matelot) complètent avec bonheur cette belle distribution.

Dans la fosse, et l'excellent orchestre du festival renforcent et soutiennent en permanence la dramaturgie en parfait équilibre avec le plateau pour faire de cette nouvelle production, qui pour le moins interroge, une indiscutable réussite dont témoigne l'ovation prolongée du public au moment des saluts.

Crédit photographique : © Enrico Nawrath / Bayreuther Festspiele

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Bayreuth. Festspielhaus. 18-VIII-2024. Richard Wagner (1813-1883) : Tristan et Isolde, action dramatique en trois actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Thorleifur Örn Arnarsson. Scénographie : Vytautas Narbutas ; Costumes : Sibylle Wallum. Lumières : Sascha Zauner. Avec : Andreas Schager, Tristan ; Camilla Nylund, Isolde ; Olafur Sigurdarson, Kurwenal ; Christa Mayer, Brangäne ; Günther Groissböck, Marke ; Birger Radde, Melot ; Daniel Jenz, un pâtre ; Lawson Anderson, Le pilote ; Matthew Newlin, Le matelot. Chœur et orchestre du festival de Bayreuth, direction : Semyon Bychkov

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1 commentaire sur “Nouvelle production de Tristan und Isolde à Bayreuth : jusqu’au bout de la mémoire…”

  • FRICK André dit :

    etait a cette representation
    pleinement d accord sur l interprétation musicale avec toutes ces nuances spécifiques à l’accoustique de Bayreuth. Tristan et Isolde en pleine possession de leur voix a la nuance que Isolde dans le champs de bravour de sa mort n’a pas pu toucher son contre ut souhaité. Je trouvais personnellement cette énorme robe une très bonne idée. par contre, le 2ème et 3ème acte étaient remplit d’énormes objets inutil. Je reste très réservé sur les scénes finales de la mort des deux amoureux.

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