Loris Barrucand et Clément Geoffroy transcrivent Bach pour deux clavecins

Après de brillantes incursions chez Rebel, Boismortier et Rameau, les deux amis clavecinistes Loris Barrucand et Clément Geoffroy continuent de construire un répertoire pour deux clavecins, en abordant maintenant l'œuvre de J-S Bach.

Les arguments ne manquent pas pour justifier toutes ces adaptations pour deux clavecins, à commencer par les transcriptions que Bach lui-même faisait à volonté, à partir des ouvrages italiens de la bibliothèque de Weimar, pour l'orgue ou le clavecin. De même, il est prouvé qu'une grande liberté existait en ce début de XVIIIème siècle pour transcrire en fonction de la disponibilité de tel ou tel instrumentiste, et s'il a existé des concertos pour trois ou quatre claviers, il y a très certainement eu des concerts avec deux clavecins. L'idée est bonne de se positionner dans le souvenir des étés musicaux du café Zimmermann Unter den Linden, où se mélangeaient allègrement les œuvres profanes et sacrées. Tout est donc permis pour nos deux clavecinistes, et surtout, la bonne humeur et le bon goût.

C'est dans un bel esprit festif qu'on entend les deux concertos pour orgue BWV 593 et 596, tous les deux retranscrits d'après Vivaldi. La bonne humeur sied au clavecin : le timbre brillant et argenté de l'instrument s'accommode à merveille de la pétulance et de la joie. Un clavecin fait l'orgue, l'autre l'orchestre, et le dialogue est très clair. On peut même dire que l'équilibre entre les deux s'impose plus facilement, d'égal à égal.

Étonnamment, les pièces religieuses, chorals ou sonatine extraite de l'Actus Tragicus, s'insèrent très bien dans ce programme joyeux mais concentré. C'est peut-être dans cette sonatine qu'on comprend quel est le vrai défi que se sont posés Loris Barrucand et Clément Geoffroy : montrer qu'à deux clavecins, ils peuvent faire pour le répertoire « baroque » le même travail que le piano du XIXème siècle, et imiter un orchestre ou un orgue. Effectivement, la façon qu'ils ont de simuler les cordes, puis l'entrée des deux flûtes de l'Actus Tragicus est saisissante. Jouer sur deux instruments et mixer leurs registres permet un travail très délicat sur les couleurs, et même des nuances, ce qui est impossible à un seul clavier. De même, ils arrivent à enfler le son pour simuler l'orgue de façon très convaincante, et sans doute la qualité de la prise de son y aide beaucoup.

Très convaincante également est la version sans orchestre du Concerto BWV 1060 pour deux clavecins. Là encore, les justifications musicologiques et historiques sont recevables, mais ne font que soutenir nos justifications subjectives : c'est beau, riche, puissamment charpenté et on n'a absolument pas l'impression qu'il manque un orchestre derrière les deux clavecins. Alors si défi il y a eu, il est remporté haut la main, pour ce disque comme pour les précédents: voilà un programme très agréable, qui donne envie de revenir le déguster, devant un bon café et sous les tilleuls de l'été.