Anniversaire Schoenberg à Salzbourg : transcriptions et influences
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Salzbourg. Mozarteum. 16-VIII-2024. Alban Berg (1885-1935) : Adagio (deuxième mouvement du Kammerkonzert transcrit pour violon, clarinette et piano) ; Anton Webern (1883-1945) : mouvement pour trio à cordes ; Arnold Schoenberg (1874-1951) : Kammersymphonie n° 1 pour 15 instruments op. 9, transcription pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano d’Anton Webern ; Ode to Napoleon Buonaparte op. 41, version pour quatuor à cordes, piano et récitant ; Johannes Brahms (1833-1897) : quintette pour clarinette et cordes op. 115. Isabelle Faust, Meesun Hong Coleman (violons), William Coleman (alto), Julia Hagen (violoncelle) ; Júlia Gállego (flûte), Pascal Moraguès (clarinette), Florent Boffard (piano), Georg Nigl (récitant)
Parmi les musiciens réunis pour un programme enthousiasmant, Pascal Moraguès n'a guère de mal à voler la vedette à Isabelle Faust et on retrouve Georg Nigl, toujours aussi captivant.
Voilà un vrai programme de festival : de la musique aussi essentielle que rare, présentée par des interprètes de premier plan, et rencontrant son public dans une salle du Mozarteum quasiment pleine. L'année Schoenberg est décidément célébrée à Salzbourg avec un enthousiasme qui marque l'entrée dans le répertoire classique et dans le cœur du public d'un compositeur si longtemps accusé d'écrire de la théorie plutôt que de la musique. Cette fois, c'est un ensemble réuni autour d'Isabelle Faust, invitée habituelle du festival, qui assure les configurations diverses demandées par le programme.
L'art de la transcription, encore une fois, occupe une partie importante du programme, à travers les deux grandes transcriptions faites au sein même de l'école de Vienne, Berg se transcrivant lui-même, puis Webern transcrivant le maître, pour deux œuvres dont on aurait d'ailleurs aussi aimé entendre les versions originales. L'Adagio du Kammerkonzert d'Alban Berg expose immédiatement le problème crucial du concert : Isabelle Faust reste très en retrait, ce qui n'encourage pas ses partenaires Florent Boffard et Pascal Moraguès à beaucoup d'allant ; les auditeurs qui ne connaissent pas la partition ont dû la trouver bien fade.
Mais la vraie merveille de l'art de la transcription est bien la Kammersymphonie d'Arnold Schoenberg transcrite par Anton Webern pour cinq instruments seulement, à la fois fidèle à l'œuvre originale et éminemment webernienne. On l'avait déjà entendue à Salzbourg en 2019, avec des musiciens du Klangforum, qui en avaient livré une interprétation pétillante, enivrante, qu'on ne retrouve pas ici. À force de ne pas assurer son rôle de leader, Isabelle Faust joue petit, sacrifiant la qualité du son pour une délicatesse exsangue ; les autres solistes restent par la force des choses sur la même longueur d'onde, quoique avec un peu plus de présence et de nuances.
Après l'entracte, c'est le grand moment de Georg Nigl, décidément le héros de cette édition du festival : non seulement il réédite, avec trois nouveaux programmes, les merveilleuses Nachtmusiken où il chante accompagné au clavicorde (nous en avions rendu compte en 2023), mais il déclenche les passions pour la musique du XXe siècle, avec un Prisonnier de Dallapiccola brûlant, avec les délicatesses infinis du Livre des jardins suspendus de Schoenberg, et ce soir avec la rare Ode to Napoleon, composée par Schoenberg sur un brûlot de Byron en 1942, avec en ligne de mire un tout autre tyran beaucoup plus actuel pour l'exilé qu'il était. Certes, il n'est pas question de chant ici, mais d'un récitant. Georg Nigl ne s'en laisse pas compter : il joue à fond la carte de l'extériorisation, tombant dans l'histrionisme sans fausse pudeur, tout en dirigeant ses partenaires. La satire du grand homme tombé plus bas que terre (qui, en ces temps de napoléonolâtrie décomplexée, est cruellement actuelle) prend un relief saisissant, que des interprètes plus retenus n'atteignent pas.
Mais cet ambitieux programme attendait encore son apogée, sous forme d'un retour en arrière : du Schoenberg américain on revient à l'une de ses grandes admirations, la musique de Brahms, en l'occurrence son Quintette pour clarinette et cordes op. 115. Comme dans le reste du programme, Isabelle Faust se place en retrait dans cette dernière œuvre, mais ce n'est plus très gênant, parce que cette discrétion conduit à un son très fondu du quatuor, qui laisse toute sa place à la clarinette de Pascal Moraguès. On pense parfois plus à un concerto qu'à un dialogue chambriste, mais le soliste n'est pas en cause : le régal de musicalité, de délicatesse expressive et de rondeur du son auquel parvient Moraguès, dans cette œuvre presque contemporaine des premiers essais de Schoenberg, conclut avec une irrésistible nostalgie une soirée dont l'intelligence programmatique aura été la grande force.
Crédits photographiques : © SF/Marco Borrelli
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